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« Ceux qui restent » : le revers des migrations temporaires en Roumanie

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Sorti en 2019, le documentaire « Ceux qui restent » s’immisce dans les familles de Mâlăncrav, un village du coeur de la Roumanie, dont les habitants partent vers l'Europe de l'Ouest pour des emplois de courte durée. Ces migrations saisonnières et précaires affectent les populations qui restent.

Alors que la plupart des jeunes européens de son âge se lèvent le matin pour aller au lycée, c’est pour un troupeau d’une centaine de moutons qu’Andrei se réveille aux aurores. Il aime « monter aux moutons », mener le troupeau d’un des fermiers du village dans les hauteurs pour l'y faire paître. Il restera. Et achètera un troupeau à lui tout seul quand il sera grand. Mais les rêves d’Andrei cachent une autre réalité. Quand il rentre, c’est bien seul que le garçon d’à peine quinze ans doit préparer son dîner et terminer sa journée. Sa mère, Natalia n’a eu d’autre choix que de quitter l’usine où elle était ouvrière à 40 km du village de Mâlăncrav pour partir travailler trois mois de l’autre côté de la frontière en Autriche avant de rentrer à nouveau au village.

« C’est pour toi que je fais ça tu sais »

Comme Natalia, de plus en plus d’habitants des villages se décident à abandonner leur quotidien pour aller travailler en Allemagne, Autriche ou encore Belgique comme saisonniers. Des emplois précaires, à durée très limitée, souvent mal rémunérés qui perturbent toute l’harmonie du foyer. Les villageois qui aspirent à un mode de consommation tel qu’on peut retrouver dans les capitales européennes se retrouvent vite bloqués dans cette situation.

D'après l’Institut Bruxellois de Statistiques et d’analyses (IBSA), à Bruxelles les roumains occupent le plus fort pourcentage des immigrés (9%) après les français qui représentent plus de 20%. Dans le secteur horticole, Chris Bottermann, porte parole du secteur agricole belge affirme que l’on compte près de 45 000 travailleurs roumains saisonniers enregistrés dans toute la Belgique, la plupart en Flandre. Ces personnes que l’on côtoie dans les petits jobs du secteur tertiaire ont des horizons souvent pourtant bien différents. C’est ce qu’ont voulu nous montrer Anne Schiltz et Charlotte Grégoire dans « Ceux qui Restent ». Ce duo d’anthropologues s’est lancé dans une collaboration de réalisations cinématographiques après avoir étudié ces familles sous un angle scientifique pendant de nombreux mois. « On voulait s'intéresser à l’autre côté du miroir, et laisser les allers venus et le travail à l’étranger en hors champ du film », raconte Charlotte.

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Le duo de réalisatrices chercheuses a commencé à s’interroger sur la question des migrations saisonnières en Roumanie en 2015 où elles se sont rencontrées. Le phénomène a commencé dans les années 1990 et s’est fortement accentué dès lors que le pays est entré dans l’Union Européenne. « Dans chaque famille au moins une personne, voire deux dans ce village (Mâlăncrav, ndlr) part en Allemagne pour réaliser des travaux saisonniers ».

De l'étude anthropologique au documentaire

Accompagnées d’un cadreur et d’un fixeur, les deux cinéastes ont adopté le quotidien de personnes qui ont fait le choix de traverser les frontières le temps de quelques semaines, quelques mois, pour aller travailler comme auxiliaires auprès de personnes âgées ou encore ouvriers sur les exploitations agricoles. Dans le documentaire, on découvre le quotidien d'Andrei, mais aussi d'Alina, jeune mère de deux garçons qui doit jongler entre son rôle de mère et ses engagements à la ferme pendant que son mari est parti travailler en Allemagne.

Andrei, documentaire Ceux qui restent
Andrei, dans le documentaire Ceux qui restent

La migration ne concerne pas que le village de Mâlăncrav, mais le pays entier ainsi que la région de la Transylvanie globalement. La Roumanie est fortement frappée par la migration dans tous les milieux sociaux : les universitaires, les ouvriers, les paysans. Le pays est traditionnellement agricole, et aujourd'hui bon nombre de ses habitants n’arrivent plus à en vivre. Ils aspirent à un mode de vie « comme en métropole » et l’agriculture s’en voit fortement impactée.

Mais ces voyages intermittents n’ont pas pour objectif un changement de vie. Anne et Charlotte expliquent que les habitants ne souhaitent pas quitter leur vie au village pour autant, mais le phénomène vient perturber l’équilibre précaire au sein du noyau familial. « Ils n’ont pas trop le choix de faire ce qu’ils font, et chez eux il y a en fait une vie qui les attend ». Entre moments de vie simples, doutes, travail à la ferme et redéfinition des rôles au sein de la famille, « Ceux qui restent » nous emporte, ou plutôt nous fait rester pour découvrir le quotidien des hommes, des femmes et des enfants qui vivent une relation à distance.


Ce documentaire a été diffusé au festival Millenium à Bruxelles du 16 au 25 octobre. Il a déjà remporté le prix de la meilleure réalisation au Astra Film Festival en Roumanie en 2019.

Voir la bande annonce du film ici

Story by

Célia Péris

Mon aventure Cafebabel a commencé en 2018 et depuis lors on ne s'est plus quittés. Tant sur les événements que sur le papier, contributrice et coordinatrice, je me donne pour mission de dorloter la communauté babélienne.