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« Oleg » : l'esclavage moderne en Belgique

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Sorti en salles ce 1er juillet, le nouveau film du réalisateur Juris Kursietis « Oleg » retrace l'histoire vraie d'un travailleur letton en Belgique qui tombe sous l'emprise d'un criminel polonais. À travers des plans serrés et une ambiance anxiogène, le réalisateur a voulu ramener une réalité sur le devant de la scène : celle de l'esclavage moderne dans les sociétés occidentales.

Alors qu'il vient de se faire renvoyer à l'usine de viande où il travaillait à Gand, Oleg rencontre Andrzej, immigré polonais établi en Belgique. « On va t'aider Oleg », lui dit-il, dans un anglais approximatif. Le film « Oleg » raconte l'histoire du personnage éponyme, travailleur letton qui a rejoint la Belgique dans l'espoir de gagner sa vie et de rembourser ses dettes. Mais le rêve tourne vite au cauchemar sous l'emprise d'Andrzej.

Dans son pays, Oleg fait partie de ceux qu'on appelle les « non-citoyens ». Après l'indépendance de la Lettonie en 1991, le pays n'a donné la nationalité lettonne qu'aux personnes qui l'avaient déjà avant l'intégration à l'URSS. Les autres, d'origine russe souvent, mais aussi biélorusse, polonaise ou lituanienne ont reçu le statut de « non-citoyen », qui ne leur donne pas le droit de vote et restreint l'accès à certaines professions. Ils étaient encore 260 000 en 2015, malgré des naturalisations ces dernières décennies.

« Si tu t'enfuis, je te retrouverai »

Désormais en Belgique mais sans passeport européen, le personnage d'Oleg, interprété par Valentin Novopolskij, se trouve dans une situation précaire. Son unique espoir au début du film est incarné par Andrzej (Dawid Odgrodnik), qui lui promet du travail et un passeport polonais. Celui-ci héberge d'autres immigrés polonais et lettons qu'il envoie travailler sur des chantiers. Cette organisation hiérarchique paraît bien rôdée en Belgique. Selon un rapport d'étude de l'ULB réalisé en 2004, « Deux "niches" économiques polonaises se profilent à Bruxelles : le bâtiment pour les hommes et le nettoyage pour les femmes. Dans le bâtiment, " l’intermédiaire" polonais régit le marché du travail : il propose de la main-d’œuvre à l’employeur, touche une commission et vend ensuite ce travail aux clandestins ».

Oleg - Valentin Novopolskij et Andrzej -Dawid Odgrodnik
Oleg, à droite interprété par Valentin Novopolskij et Andrezj, interprété par Dawid Odgrodnik

Les conditions de travail difficiles, le salaire qui n'arrive jamais et le comportement agressif d'Andrzej font prendre conscience à Oleg de l'impasse dans laquelle il s'est engouffré. Alors qu'il vient d'obtenir un faux passeport polonais, il se le fait aussitôt confisquer par Andrzej dont les menaces et la violence ne laissent aucune place au doute : Il tient ses hommes par le chantage et la peur de finir à la rue.

Un film inspiré d'une histoire vraie

« Environ 80-85% de ce que vous voyez dans le film s'est passé dans la vraie vie. Dans certains cas, c'était même plus violent », affirme Juris Kursietis, réalisateur du film. Interpellé en 2013 par l'histoire d'un travailleur letton en Belgique ayant vécu l'enfer sous l'emprise d'un criminel, il a décidé de partir enquêter sur le terrain. « Je cherchais des contacts dans les industries, mais tout le monde me disait que je ne trouverais pas ce genre de cas en Belgique ». Il a suffit d'une visite dans une usine de viande à Gand pour débusquer une bande de Lettons qui travaillaient en tant que désosseurs. « On leur a rendu visite chez eux, on a discuté et on a découvert des histoires intéressantes ».

La demande en main d'oeuvre pour les travaux manuels difficiles et l'expérience plus ancienne de certains immigrés fait répéter ce schéma « exploitant - exploité ». Pour Juris Kursietis, il s'agit d'un engrenage entraîné à plusieurs niveaux. « Ces criminels, qu'on peut appeler maquereaux (le proxénétisme fait également partie de leurs activités, ndlr) ont souvent des problèmes d'argent, ils n'ont plus tellement le choix, et ils connaissent bien la situation, donc qui mieux qu'eux pour tromper les autres ? Et en même temps, l'industrie de la viande qui utilise ces intermédiaires, sait parfaitement que les gars qu'elle embauche ne sont pas totalement couverts. Mais cette industrie est demandeuse d'une main d'oeuvre à bas prix pour pouvoir ensuite vendre leur viande pas cher ».

« On devrait balayer devant notre porte »

Ce phénomène présent dans plusieurs pays d'Europe occidentale est pourtant méconnu de la population en général. Si l'esclavage moderne se concentre surtout sur les continents asiatiques et africains, l'Europe n'est pas épargnée. 23 000 personnes en seraient victimes en Belgique, selon une estimation du Global Slavery Index faite en 2016. Ce chiffre comprend « toutes les formes d'exploitation qu'une personne ne peut refuser par peur des représailles, par coercition, déception ou abus de pouvoir », y compris le trafic d'êtres humains et les mariages forcés. Le même index indique toutefois que la Belgique se trouve à la 5ème place des pays où le gouvernement met en place les actions les plus fortes pour combattre l'esclavage moderne.

À travers son film, le réalisateur soulève un sujet qui le dérange. Selon lui, « on devrait balayer devant notre porte. Pour nous Européens, il est temps de réfléchir à tout cela. Ce système n'est pas soutenable, des cas comme celui-ci arrivent tous les jours en Europe parce qu'on ne comprend pas ce qui se cache derrière le fait d'avoir des produits moins chers ».

Claustrophobie

Pour son film, le réalisateur a choisi d'utiliser une caméra à l'épaule pour toutes les scènes, afin de suivre Oleg et les autres acteurs dans leurs moindres mouvements, souvent improvisés. Les plans serrés sur Oleg et l'ambiance sombre reflètent la situation d'enfermement dans laquelle le personnage se trouve. « C'était aussi notre intention que le public puisse ressentir ce que le personnage ressent ».

Pour la co-productrice belge Isabelle Truc, la tension présente dans le film peut contribuer à diffuser un message encore méconnu du grand public. « On est dans un monde de bandits, il y a de la tension que l'on peut attribuer au thriller. Et je me dis que ca peut faire monter l'adrénaline ».

En 2019, le film a fait le tour du monde des festivals depuis sa première à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs. Il sort aujourd'hui dans les salles belges où il est très attendu selon Isabelle Truc.


Oleg est produit par Tasse Film (Lettonie) et co-produit par Iota Production (Belgique), InScript (Lituanie) et Arizona Production (France)

Avec le soutien de : Centre du Cinéma et de l’audiovisuel de la fédération Wallonie-Bruxelles, Centre du Cinéma Letton, Centre du Cinéma Lithuanien, U Media, LTV, Cinevera, CNC et Eurimages.

Story by

Léa Marchal

Babélienne depuis 2018, je suis désormais éditrice pour le nouveau média ereb.eu, et journaliste freelance dans les affaires européennes. J'ai piloté la série d'articles multimédia Generation Yerevan, ainsi que le podcast Soupe à l'Union, publiés sur Cafébabel.