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Camané : le fado ou la tristesse bienfaisante

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Default profile picture Camille Farnoux

Alors qu’une réputation un peu suspecte colle à la peau de la « Volksmusik » (musique populaire) allemande, le fado jouit d’une large reconnaissance, toutes générations confondues. Camané, figure de proue des nouveaux fadistas, raconte le parcours sinueux de ce genre musical.

Il a gagné le "Grande Noite do Fado" ( La Grande Soirée du Fado) à la fin des années 1970.La carrière de Carlos Manuel Moutinho Paiva dos Santos, dit Camané, né en 1967 près de Lisbonne, a commencé très tôt. A l’âge de sept ans en fouillant dans la collection parentale de vinyles, il tombe par hasard sur des chansons nostalgiques. Un peu moins de cinq ans plus tard, il gagne son premier concours amateur. A 17 ans, son choix professionnel est fait : il sera chanteur de fado. Enchaînant les concerts dans les clubs lisboètes et les apparitions dans des spectacles musicaux, il est aujourd’hui l’un des interprètes les plus connus de ce genre musical qui est, pour beaucoup d’étrangers, le seul accès à la culture portugaise.

Le fado, ambassadeur du Portugal ?

« Les sentiments comme l’amour, la perte, l’espoir existent partout bien sûr », concède le quadragénaire, « mais les façons de les exprimer diffèrent, dans le tempo ou le rythme. Les Argentins ont le tango, les Espagnols le flamenco et nous, les Portugais, nous avons le fado. » « Fado », ce mot est traduit le plus souvent par « destin ». Et c’est exactement la sonorité de la musique : une voix nostalgique chante sa plainte, accompagnée par une guitare à six cordes et par la guitarra portuguesa, sorte de luth à douze cordes. Dans les chansons, il est question d’adieux, de tristesse, de douleur mais aussi d’attente et d’espoir.

L’origine exacte du fado fait l’objet de discussions. Alors que certains historiens font des parallèles avec la musique nord-africaine et voient en lui un vestige de la domination mauresque, d’autres le rapprochent du Lundum brésilien et situent son apparition par conséquent au XIXe siècle. La seule certitude, c’est que le fado a commencé son ascension dans les quartiers pauvres de Lisbonne, dans les tavernes de l’Alfama (un des quartiers les plus anciens de Lisbonne) et de la Mouraria (quartier de Lisbonne dont le nom vient des Maures qui étaient nombreux à l’habiter) chanté par les marins, les vagabonds et les prostituées. Pour Camané, c’est le côté populaire qui est au cœur de ce genre musical : « le fado a toujours été une musique très urbaine. Au début, les morceaux racontaient des anecdotes de la vie des gens d’ici. On est même allé jusqu’à mettre en chanson les ragots du quartier. Plus tard, on est passé à la mise en musique de poètes célèbres. » Cette tradition s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui et l’éventail est très large, allant des poètes populaires comme Luís de Camões et Fernando Pessoa jusqu’aux poètes plus controversés comme Manuel Alegre.

La proximité entre musique et identité nationale a aussi été pendant un temps une entrave. Après avoir conquis les salons de la bonne société du XIXe siècle et avoir obtenu un succès international dans les années 1930, le fado est devenu un instrument politique du dictateur António Salazar. Personnellement, il n’appréciait pas cette musique qu’il trouvait trop plaintive mais il a su la transformer habilement en un symbole de la nation portugaise, avec la censure pour conséquence. En lieu et place de la critique ouverte s’est développée une imagerie conservatrice prônant la mentalité du « pauvre mais heureux ». A la fin de la dictature, à partir de 1974, l’identification de ce genre musical avec le système fascisant était si forte que les jeunes s’en sont détournés. Camané aussi se souvient de ces temps moins glorieux : « à l’époque, quand j’avais 17 ans et que je faisais la tournée des bar de fado, c’était une musique de vieux messieurs. On me regardait un peu bizarrement, ils avaient 60 - 70 ans ou même plus, personne dans ma génération n’écoutait de fado. »

En équilibre entre tradition et modernité

Aujourd’hui, la situation est différente, probablement en raison de la grande diversité qui caractérise ce genre. Mísia a ajouté l’accordéon, le piano et le violon à l’accompagnement habituel, des groupes comme A Naifa ou Donna Maria mêlent de la musique électronique aux morceaux classiques, Camané aussi s’éloigne de temps en temps du terrain traditionnel par exemple en participant au projet « Humanos » faisant hommage à la légende pop António Variações. La balance entre tradition et modernité semble être un élément incontournable de son succès actuel mais d’après Camané c’est un véritable numéro d’équilibriste : « il faut que le fado soit toujours reconnaissable en tant que tel, la tradition est extrêmement importante, en même temps, il faut aussi que la musique évolue, sinon elle ne peut pas survivre. Mais il faut qu’elle évolue de l’intérieur vers l’extérieur, de façon naturelle et ça, on ne peut pas le forcer, le plus important dans le fado c’est l’authenticité. »

« Le fado est paradoxal : lorsqu’il est joyeux, il nous fait pleurer et lorsqu’il est triste, il nous fait sourire.»

Qu’il soit accompagné par un orchestre ou par les instruments traditionnels, joué dans un stade ou dans la retraite d’une petite taverne, la constante du fado, c’est ce sentiment indéfinissable que l’on ressent en l’écoutant. Ce mélange de mélancolie, de spleen et d’espoir, la saudade (tristesse) portugaise si souvent évoquée.Mais il faut se garder de la rapprocher de la simple tristesse, ce sentiment est bien trop complexe dit Camané. « Le fado est paradoxal : lorsqu’il est joyeux, il nous fait pleurer et lorsqu’il est triste, il nous fait sourire. Il communique une force qui détourne la tristesse et peut changer la vie. Le fado nous permet de nous éprouver nous-mêmes, en tant qu’individu et en tant que peuple, c’est ça la grande force de cette musique. » Et c’est grâce à cette force que le fado est encore omniprésent dans le Portugal d’aujourd’hui.

Photos : Une ©camane.com; texte © Camané via MySpace/ videos: (cc) Youtube

Translated from Fadosänger Camané: eine Trauer, die guttut