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Brexit : le plaidoyer hésitant d'une gauche désenchantée

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Marie Eyquem

Les arguments dominants du débat reposent sur la peur et l'idéalisme. Une minorité de gauche se retrouve avec ce référendum face à un dilemme peu enthousiasmant.

Trois camps se sont formés autour de la question du Brexit : ceux qui souhaitent le maintien du Royaume-Uni dans l'UE, ceux qui préconisent son retrait, et ceux qui sont indécis. 

De part et d'autre du paysage médiatique, les architectes de la campagne pour le maintien et de celle pour le retrait, respectivement David Cameron et Boris Johnson, ont construit des raisonnements bancals, les deux camps diffusant arguments alarmistes et critiques personnelles mutuelles.

Dans l'ensemble, les médias ont essentiellement tendu le micro aux adversaires de ce conflit entre conservateurs, dont les cris ont surtout cassé les oreilles du public. Pas étonnant que les citoyens exigent constamment des hommes politiques des faits concrets. 

Trois discours dominants sur la question

À droite, on a un groupe de personnalités politiques en faveur du maintien, qui pense que la Grande-Bretagne gagne à faire partie de l'UE, principalement pour des raisons économiques. Le commerce avec les autres pays de l'UE profite à l'économie britannique : les clients bénéficient de marchandises disponibles à moindre coût car elles sont importées, et le commerce est également avantageux pour les grandes entreprises qui dépendent des exportations.

À l'inverse, ceux qui se situent encore plus à droite de l'échiquier politique ne sont pas d'accord avec ce point de vue, car ils se focalisent sur le problème de l'immigration. Quitter l'UE permettrait à la Grande-Bretagne de relever le pont-levis et de maîtriser le flot de migrants. Ils soulèvent également un autre problème, celui du manque de démocratie au sein de l'UE, dont le pouvoir exécutif (la Commission) n'est pas élu et le pouvoir législatif (le Parlement) est impuissant - moins de 20% de la population vote pour ces instances dans certains États.

À gauche, la majorité des Britanniques souhaite rester dans l'UE, mettant l'accent sur la paix entre les pays de l'Union depuis plus de cinquante ans. En outre, il est plus facile de faire passer par des moyens démocratiques des idées progressistes d'un bout à l'autre de l'UE afin de construire une Europe sociale qui profite à tous, et pas uniquement aux grandes sociétés les plus prospères.

Un optimisme aveugle

Malheureusement, l'optimisme est souvent insensible à la réalité. Et le plaidoyer dominant de la gauche pour le maintien repose sur les fragiles fondations de l'optimisme. L'UE n'est pas une force progressiste collective. Si certains des fondateurs de l'Union européenne imaginaient une Europe socialement engagée pour ses citoyens et travailleurs ordinaires, celle-ci ne s'est jamais concrétisée.

L'objectif au départ était d'intégrer certaines parties de l'économie de quelques États afin de tisser des liens de co-dépendance, de limiter les guerres et conflits potentiels, et de garantir la paix. L'Union s'est avérée extrêmement efficace en ce sens, et c'est là l'un des aspects positifs de l'Europe - bien que l'on puisse se demander pourquoi ce même rôle n'est pas joué par l'UE lorsque des États membres déclarent la guerre à des pays autres que ceux du continent et accentuent la crise humanitaire au Proche-Orient par leur désunion et leur passivité. Sur le plan social, l'impuissance du Parlement européen a entraîné une polarisation idéologique de l'électorat de nombreux Etats, qui se réfugie désormais derrière des idées nationalistes.

Les récents événements ont mis en lumière les principales failles de l'Europe. La crise économique a achevé de mettre en évidence le pouvoir d'un exécutif anti-démocratique lorsque celui-ci s'est aligné sur la position de la troïka concernant la sanction infligée à la Grèce, en lui imposant l'austérité, en détruisant son économie ainsi que sa fonction publique (privatisation et dérégulation sont des politiques courantes défendues par l'UE), en exigeant que les banques (dont certaines avaient vendu sciemment des actifs toxiques) soient remboursées avec les fonds injectés dans l'économie grecque pour éviter la faillite.

Une Union européenne pour le peuple ?

Alors qu'on lui demandait son point de vue sur la civilisation occidentale, Gandhi a un jour répondu : "En théorie, je pense que l'idée est bonne". Comme beaucoup d'autres, je rêve d'une Union européenne pour le peuple, pas pour les grandes entreprises. Je rêve d'une solidarité paneuropéenne, pas d'un retour au nationalisme. D'une Europe sociale et démocratique qui profite à tous sur les plans économique et social - et particulièrement aux personnes les plus vulnérables - plutôt que de l'actuelle destruction de la fonction publique et de la sécurité sociale dont beaucoup dépendent.

Sur les drapeaux qui flottent devant le siège des institutions européennes à Strasbourg, on peut lire : "Démocratie, droits de l'Homme, Etat de droit". Si dans les faits ils ne sont pas appliqués partout en Europe, ces principes ne devraient pas être destinés qu'aux habitants de l'UE. Ces trois droits fondamentaux sont universels, et les peuples qui fuient leur pays pour leur propre sécurité doivent pouvoir en bénéficier. Ils sont venus en Europe, car ils présument que nous défendons vraiment les droits de l'Homme et le droit de vivre dans la paix et la dignité. 

Un porte-parole des réfugiés et des migrants a récemment déclaré à Strasbourg : "Il y a deux types de personnes qui fuient : ceux qui se battent pour mieux vivre, et ceux qui se battent pour vivre". L'UE laisse tomber les deux, à tel point que j'ai honte de faire partie d'une telle union.

Une gauche désenchantée

Une sortie pour la gauche serait une sortie à contrecoeur. C'est un groupe indécis qui ne souhaite pas le retrait du Royaume-Uni de l'UE, car si le pays sortait effectivement, un gouvernement conservateur aurait quatre ans devant lui pour abolir les droits et la protection sociale des Britanniques en vigueur grâce à l'UE. 

Mais si des changements fondamentaux ne sont pas opérés dans l'architecture de l'Union européenne, et si celle-ci continue à traiter certaines des personnes les plus vulnérables de la planète de façon aussi inhumaine, le départ ne sera pas une immense déception.

Si l'on a observé dernièrement une montée de la droite nationaliste anti-immigration dans de nombreux pays européens, la gauche elle aussi s'est rapprochée de l'extrémité gauche de l'échiquier politique, principalement dans le sud, comme en Espagne, au Portugal, en Grèce, mais également en Grande-Bretagne au sein du Parti travailliste avec Jeremy Corbyn. On peut espérer que ces tendances à gauche de la gauche se développent et interagissent. Cependant, pour un citoyen paneuropéen critique de l'UE, le référendum offre un dilemme peu enthousiasmant.

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Cet article a été rédigé par notre équipe locale de cafébabel Aarhus.

Translated from Exit Left: A reluctant case for Brexit