Brexit : la nostalgie coloniale au cœur du débat
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Alexia BartoliniL’Empire britannique a longtemps fait partie du passé, mais le prochain référendum sur la sortie ou pas de l’Union européenne a ravivé le sentiment patriotique et une certaine nostalgie postcoloniale. cafébabel s'est penché sur l’utilisation de la rhétorique coloniale dans la campagne pro-Brexit.
Lors de sa visite éclair au Royaume-Uni, le président des États-Unis, Barack Obama, s’est concentré sur le sujet du prochain référendum concernant la sortie ou non du Royaume-Uni de l’Union européenne, dans l’espoir de convaincre le peuple britannique de voter pour son maintien.
Persuasif, Obama a mis en avant les avantages qu’auraient la Grande-Bretagne à rester dans l’UE, en avertissant qu’elle passerait « en queue de peloton » des échanges commerciaux si elle en sortait. En guise d’objection, Boris Johnson, qui fait campagne pour le Brexit et lorgne sur le poste de David Cameron, a avancé un argument tout aussi convaincant, quoique peut-être moins réfléchi. Dans un article pour le journal britannique The Sun, il qualifie Obama d’hypocrite et son intervention d’intrusive, en montrant du doigt la décision prise par la Maison Blanche de retirer le buste de Winston Churchill du Bureau ovale, considérée alors comme un pied de nez au Royaume-Uni.
Cependant, l’indignation nationaliste de Johnson a pris une curieuse tournure. Il explique cette décision par les origines ethniques du président des Etats-Unis en ajoutant : « Certains ont dit que c’était le symbole de l’aversion ancestrale d’un président en partie kényan contre l’Empire britannique, dont Churchill était un fervent défenseur ».
Bien que cette accusation soit hors de propos et franchement déconcertante, l’argument de Boris selon lequel Obama pourrait avoir une quelconque aversion inhérente révèle néanmoins l’importance de la dimension politique lorsque l’on tente de faire appel au sentiment nationaliste. Parler de l’Empire britannique dans le cadre du référendum sur l’UE peut sembler insignifiant, mais il ne s’agit pas d’un cas isolé chez les pro-Brexit. En effet, mêler l’histoire coloniale au débat actuel semble plutôt bien servir leur campagne.
Prenons par exemple le discours prononcé récemment par Nathan Gill, leader gallois du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni ou UKIP : « Dieu merci le Capitaine Cook n’a pas tenu compte des réticences de certains quant à sa première expédition, sous prétexte que c’était un saut dans l’inconnu… Scott, Hudson, Drake, Livingstone ou encore Riley ont tous contribué à façonner le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, et ce en prenant de grands risques… Notre peuple a toujours été téméraire ».
Ces images que Gill évoque font partie de la nostalgie coloniale : Vous souvenez-vous le temps où nous, le peuple britannique, entreprenions de grandes expéditions et osions nous aventurer en terre inconnue ? Où nous régnions sur les mers ? En rendant gloire aux explorateurs britanniques et leurs aventures intrépides, Gill passe sur les heures sombres de la période coloniale, et brosse plutôt un tableau romantique de l’empire qui séduit la population et insuffle un sentiment de fierté nationale.
Ensuite, le député conservateur Liam Fox affirme que « le Royaume-Uni est l’un des rares pays de l’UE à ne pas avoir besoin d’enterrer son histoire du XXème siècle ». Cette représentation incroyablement positive de l’histoire britannique reflète le déni dont fait preuve le pays face aux atrocités commises sous l’Empire colonial, et ce dénigrement du reste de l’Europe réaffirme un sentiment de fierté britannique qui pourrait être favorable au Brexit.
Même le néologisme Brexiteer - nom donné aux pro-Brexit - embrasse une certaine rhétorique coloniale : l’esprit pionnier des Britanniques, voguant vers l’inconnu par-delà les mers du globe, sans aucune aide de l’UE.
C’est une question de souveraineté, disent-ils. Comment une aussi grande nation que le Royaume-Uni, qui a régné sur d’innombrables territoires aux quatre coins du monde, pourrait-elle abandonner son autorité à une puissance extérieure ? L’histoire de leur empire sert apparemment à justifier une sortie de l’UE.
La vérité est qu’une majorité significative du peuple britannique croit que l'époque coloniale a été une période positive de leur histoire : un récent sondage réalisé par Yougov a révélé que 59 % des gens pensaient que l’empire est quelque chose dont ils peuvent être fiers, et 34 % souhaiteraient qu’il existe encore. Aussi choquantes soient ces statistiques pour des étrangers, particulièrement pour ceux dont les pays ont directement souffert de l’empire colonial, les vestiges de la grandeur impériale subsistent dans l’esprit de beaucoup de Britanniques.
La campagne pro-Brexit puise simplement dans cette force latente : en offrant un récit percutant et extrêmement positif de l’Empire britannique, les politiciens et les médias du camp pro-Brexit sont en mesure d’exploiter les courants sous-jacents de la nostalgie impériale et du nationalisme, ne laissant aucune place à une quelconque identité européenne.
Boris Johnson a beau avoir été largement critiqué pour ses commentaires racistes quant à Obama et ses origines ethniques, ses propos ont été résolument efficaces. En invoquant le fantôme de Churchill et en clouant l’irrespectueux gouvernement américain au pilori, Boris agit comme un noble défenseur de la souveraineté et de l’identité britannique. Et si le résultat du référendum sur l’UE est toujours incertain - en effet rien n’est joué ! - une chose est sûre : l'air de Rule, Britannia! résonne encore.
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Il nous a été officiellement interdit de citer les Clash, mais la question rappelle bel et bien cette fameuse chanson. Le 23 juin prochain, les citoyens britanniques se rendront aux urnes pour décider, ou pas, du maintien du Royaume-Uni dans l'UE. Huge. Tant et si bien qu’on a 2 ou 3 choses à dire sur le sujet... Retrouvez notre dossier très costaud sur la question du Brexit.
Translated from Rule Britannia? Colonial language in the Brexit debate