Bons baisers de Budapest : la scène européenne des start-ups
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Adrien SouchetDans les années 90, l'entrepreneur budapestois était un personnage louche qui tenait fermement une malette à l'arrière d'une Mercedes noire et qui faisait des affaires uniquement parce qu'il connaissait « les bonnes personnes ». Pourtant, aujourd'hui à Budapest, plein de jeunes gens vivent, travaillent et s'autoproclament entrepreneurs. Ce qui donne un tout nouveau sens à ce terme.
Choisis ta vie. Choisis de ne pas avoir de travail. Choisis d'être co-fondateur, manager, designer, chef des ventes, responsable du service après-vente ou tout cela à la fois. Ne choisis pas entre les amis ou la famille, au moins pas pour les prochaines années. Choisis de travailler tôt le matin et tard le soir, d'avaler ton dîner dans des boîtes en plastique et de travailler dans un espace de travail respectueux de l'environnement. Choisis des posters qui te motivent, un vélo à pignon fixe et une tasse à café « Do What You Love ».
Choisis de discuter marketing, amorçage, travail partagé et capital risque à chaque soirée. Choisis de te rendre à une pépinière d'entreprises plutôt qu'à une fête. Choisis un investisseur. Choisis le risque. Choisis la bonne application pour mesurer ton niveau de stress...
Choisis de ne pas avoir de profession mais quelque chose de plutôt différent : une start-up. Mais pourquoi quelqu'un choisirait-il cela ? Dans notre quête pour trouver une réponse, nous avons rencontré Bakó Zsolt, co-fondateur de Colabs – un espace de travail partagé qui rassemble plus de 120 personnes qui travaillent pour plus d'une douzaine de start-ups à Budapest.
« J'ai étudié l'économie mais j'ai compris assez rapidement que ce n'était pas fait pour moi. J'avais envie de créer quelque chose qui soit novateur et sympa. J'ai donc décidé d'arrêter mes études, sans attendre le temps nécessaire pour obtenir mon diplôme. Au cours des années suivantes, je me suis inscrit à toutes sortes de cursus universitaires mais, pour être honnête, malgré tous mes efforts et les objectifs fixés, je ne faisais rien de concret. Mener une vie d'étudiant me permettait d'avoir un petit budget car je vivais toujours dans une résidence universitaire. Mes parents étaient contents. J'apprenais la vie. »
En 2008, Bakó a passé 6 semaines aux États-Unis pour visiter San Diego et New York. C'est là-bas qu'il a découvert des « start-ups » et ce que c'était de travailler dans un open space. « Le buzz, la vitesse folle à laquelle les choses évoluaient et le fait que les gens étaient d'une grande ouverture d'esprit - tout cela était bouleversant pour moi. » À son retour à Budapest, Bakó a créé une plate-forme DIY (Do It Yourself, ndlr) et a commencé à organiser des réunions avec des personnes du monde de l'industrie. C'est à l'une de ces réunions qu'il a rencontré les partenaires avec lesquels il allait lancer Colabs.
« Nous avons annoncé que nous avions pour objectif de louer un appartement. Nous avons calculé que si nous réussissions à rassembler suffisamment de personnes, chacun n'aurait qu'à payer une faible somme d'argent sous la forme d'une souscription. Ainsi, nous pourrions tous travailler ensemble et apprendre les uns des autres. Nous avons rassemblé 15 personnes et loué un appartement de 120 m2. Maintenant, après plusieurs années, nous avons une liste d'attente de personnes désireuses de rejoindre Colabs et je suis actuellement en train de chercher un bâtiment de 600 m2 pour y installer notre troisième bureau. »
L'une des raisons principales au succès de Colabs vient du fait qu'au cours des dernières années, plusieurs start-ups hongroises, telles que Ustream, Prezi et LogMeIn, ont conquis les marchés internationaux en présentant des produits à succès et ont attiré l'attention d'investisseurs étrangers. Aujourd'hui, la réussite des start-ups à Budapest est l'une des plus brillantes en Europe, comme c'est le cas pour celles basées à Berlin et Londres.
La start-up de David Ottlik , Sinetiq, travaille au développement de logiciels dans le domaine du neuromarketing - une discipline dont le but est d'analyser et de comprendre le ressenti des personnes lorsqu'elles regardent une publicité, une émission télé ou un film. La société est située dans le second bâtiment de Colabs : une construction en briques rouges qui date du 19ème siècle et qui est située dans l'hypercentre de Budapest, à quelques mètres seulement du Danube. Le bâtiment est en fait une école à part entière dont les deux étages supérieurs ont été mis à disposition pour des bureaux de start-ups. Des posters roses et jaunes vous rappellent que « maintenant, c'est le bon moment pour créer votre entreprise ». Lorsque la sonnerie de l'école retentit, des enfants en uniformes noirs et blancs déferlent bruyamment dans les couloirs.
David est devenu accro aux neurotechnologies lors de ses études d'architecture à Paris. Un jour, il s'est rendu à un atelier de neuromarketing et a compris, au bout de cinq minutes, que ce serait le domaine dans lequel il voudrait travailler. Malgré le fait d'avoir obtenu une bourse pour un master en architecture à Barcelone et d'avoir réservé les billets d'avion ainsi qu'un logement, il a tout abandonné et est maintenant en plein projet pour monter sa quatrième société. « Le meilleur moyen d'apprendre sur les start-ups, c'est d'en monter une soi-même ! C'est pourquoi je crée des sociétés depuis l'âge de 14 ans », confie David.
Orsolya Forster, chargée de projets chez Kitchen Budapest est également responsable du développement de sociétés dès leurs premiers pas. Kitchen Budapest, ou KIBU en abrégé, est une pépinière d'entreprises établie en 2007 et entièrement parrainée par les services télécom hongrois. C'est là que la start-up hongroise la plus populaire, Prezi, a été créée. Elle propose un logiciel de création de présentations qui est actuellement utilisé par quelques 60 millions d'utilisateurs dans le monde entier. Le rôle d'Orsolya est de sélectionner, chaque année, plusieurs équipes de start-ups talentueuses qui reçoivent ensuite un financement à hauteur de 20 000 euros, ainsi qu'un bureau au sein de l'espace de travail partagé de KIBU, l'aide de conseillers et se voient octroyer une période de six mois au cours de laquelle elles peuvent développer leurs idées pour créer leur business.
« Tu dois être exhibitionniste », affirme Orsolya lorsqu'on lui demande la première qualité nécessaire pour créer une start-up à succès. « Par ailleurs, il est très important d'être prêt à sacrifier sa vie personnelle, son argent, ses relations. Je connais beaucoup de personnes talentueuses qui, avant leur succès, travaillaient constamment, 24h/24, 7j/7. Imagine que tu ne voies pas tes amis pendant un an et demi parce que tu es occupé à rédiger un code informatique ou à rassembler des idées pour monter un stratégie d'entreprise. »
Néanmoins, les médias ont tendance à ne présenter que le côté idyllique de la chose. C'est pourquoi nous lisons constamment des histoires sur le jeune de 19 ans qui a créé le nouveau Facebook ou le nouvel Airbnb et qui est devenu millionaire du jour au lendemain. Selon Bakó de chez Colabs, ceci n'est cependant que la partie visible de l'iceberg. Chaque année, il voit les 99% restants échouer mais personne n'évoque leurs histoires car ce n'est tout simplement pas intéressant. « Tout le monde essaie de créer le prochain Google, mais le fait est qu'il y a juste un nombre limité d'entreprises qui peuvent croître de la sorte. Ce n'est toutefois pas si alarmant. Même si vous ne gagnez pas des millions, vous pouvez toujours créer votre propre concept, votre propre équipe et trouver un sens à ce que vous faites. »
C'est ce que fait Abe Khan – un architecte de l'information originaire du Canada. Il vit à Budapest depuis 10 ans et a créé un portfolio d'art en ligne : works.io. L'idée lui est venu lorsqu'il créait un site web pour sa femme artiste. Elle avait toujours besoin d'ajouter de nouvelles toiles en ligne et Abe, qui devait développer le code en permanence, a décidé de créer un espace où cela serait possible rapidement et facilement. Bien que Abe ait conçu works.io comme le LinkedIn du monde artistique, il ne voit pas sa start-up comme une réussite de plus mais comme un moyen de satisfaire ses envies : « Ma start-up me donne un sentiment d'accomplissement. J'ai ainsi l'impression de faire partie de quelque chose de valorisant car mon travail soutient les artistes. Désormais, je ne commercialise plus de conteneurs à déchets ».
Peu importe le domaine de leur start-up, ce que tous ces jeunes entrepreneurs ont en commun, c'est qu'ils croient en leurs idées et au partage de celles-ci. Ils croient en eux-mêmes et en leurs équipes et pensent que l'erreur et l'échec font partie du jeu. Oui, ils partagent leur travail, font de l'amorçage et font partie d'une tendance que beaucoup de personnes trouvent ennuyeuse à cause du langage prétentieux et des événements tape-à-l'oeil qu'ils organisent. Mais, en réalité, ils font quelque chose de bien plus important que cela. « La situation dans l'industrie des start-ups est similaire à n'importe quel autre domaine d'activités, résume Orsolya. Il y a des gens qui parlent des start-ups et d'autres qui en créent. Nous sommes dans cette deuxième catégorie de personnes. »
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Cet article fait partie de la série de reportages « EUtoo 2015 », un projet qui tente de raconter la désillusion des jeunes européens, financé par la Commission européenne.
Translated from To the Budapest startup scene with love