Attentats de Paris : entre voyeurs et charognards
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Olivia Locher[Opinion] À peine le temps de se rendre compte de ce qu'il est en train de se produire, de regarder une scène à l'œil nu, que l'on se retrouve déjà, portable en main, à observer la réalité à travers un écran. C'est un réflexe « incroyablement immédiat ». Citoyens, voyeurs, touristes du macabre, chaînes de télévision ou médias : une réflexion qui nous concerne tous.
De la science-fiction ? Pas tant que ça. Dans un épisode de la série d'anticipation Black Mirror intitulé White Bear (La Chasse en VF), une femme se réveille tout à coup dans une chambre et doit échapper à un groupe d'hommes aux visages recouverts et armés de fusil qui veulent la tuer. Cette femme ne se souvient de rien et n'a aucune idée de l'endroit où elle se trouve. La ville, dans un premier temps, semble déserte et ses appels au secours restent sans réponse. Mais petit à petit, on découvre que les fenêtres des habitations sont pleines de personnes qui filment sa fuite désespérée avec leurs téléphones portables, sans bouger le petit doigt. Cela semble absurde, mais cette situation, ô combien paradoxale, ressemble étrangement à certaines scènes des attentats qui ont touché Paris vendredi dernier ou encore pendant l'assaut du Raid à Saint-Denis il y a deux jours.
Il faut le voir pour le croire
Cette semaine, Le Petit Journal de Canal+ a invité Florian, survivant du Bataclan. Les souvenirs de cette soirée étaient encore très douloureux et sa petite-amie, touchée pendant la fusillade, était encore à l'hôpital. C'est donc d'une voix émue qu'il a préféré lire son intervention. Son discours était assez froid et descriptif, à l'exception de paroles d'admiration qu'il a adressées à ceux qui l'ont aidé pendant sa fuite. Même pas un mot de ressentiment à l'égard des terroristes, « des gens comme nous, habillées comme nous, de notre âge ». Un seul mot de rage lui échappe, quand il raconte être sorti par l'arrière de la salle de spectacle, la fusillade toujours en cours, et s'être rendu compte que quelqu'un le filmait depuis sa fenêtre. Malgré la panique, Florian raconte lui avoir fait un doigt d'honneur. Comment lui donner tort ?
Comme un concert des One Direction
Mais ce n'est pas tout. Après l'intervention du raid à Saint-Denis, les chaînes all news ont utilisé les images et les commentaires d'un témoin oculaire qui a filmé l'action sur son téléphone portable pendant presque une heure : « Je me suis réveillé au milieu de la nuit, j'ai entendu des tirs, je suis allé à la fenêtre et j'ai tout filmé », raconte-t-il avec fierté sur BFMTV. À peine le temps de se rendre compte de ce qu'il se passe, d'observer la scène à l'œil nu, qu'il avait déjà le téléphone en main. Le réflexe est incroyablement immédiat.
L'exemple de Saint-Denis est un cas particulièrement éloquent. Le Petit Journal, en effet, a diffusé un document exclusif dans lequel des journalistes de premier plan se battent pour obtenir les vidéos amateurs des habitants du quartier au meilleur prix. On entend d'ailleurs, entre autres, des chiffres absurdes. Difficile de juger, mais la scène reste impressionnante.
Sans parler des lieux du centre de Paris touchés par les attentats. Dans les jours qui ont suivi les fusillades, des hordes de touristes ont envahi la terrasse du Carillon ou se sont préssées devant la façade du Bataclan pour avoir un souvenir en HD des lieux de la tragédie. Des fleurs et des pensées pour contraster les trous laissés par les kalachnikov.
La fierté d'y avoir été et de pouvoir partager ses photos sur les réseaux sociaux, avec ses proches et avec ses amis, typique de cette société 2.0, devient à mes yeux de plus en plus inquiétante à partir du moment où l'on compare un tragique attentat terroriste à un concert des One Direction.
C'est ainsi que l'on se rapproche terriblement et à grands pas d'un futur décrit dans Black Mirror.
Translated from Gli attentati di Parigi tra voyeurismo e sciacallaggio