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Athènes : soyez Grecs, soyez gais

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Default profile picture Sophie Ehrsam

SociétéPolitique

Une crise peut aggraver les antagonismes de type « eux contre nous », en particulier dans un contexte électoral. Avec 500 000 immigrants sans papiers*, la Grèce est l’un des trois pays (avec l’Espagne et l’Italie) situés en première ligne dans l’accueil des demandeurs d’asile. Dans une atmosphère de méfiance généralisée, les partis d’extrême-droite exploitent le filon « dehors les étrangers ».

5h du matin, un samedi, près de la banlieue de Tavros au sud-ouest d’Athènes. C’est un monde parallèle comparé à l’endroit où nous avons assisté à la quatrième nuit d'un événement organisé par « Busking in Athens » au Spirit Bar, dans le quartier tendance de Psyri. L’idée est de célébrer les rues grecques et leur multiculturalisme à travers des spectacles de rue et des jam-sessions. Non loin de là, les demandeurs d’asile font la queue tous les samedis, avant l’aube, pour montrer leurs papiers à la police. Le chauffeur de taxi nous conseille de cacher nos sacs et de « penser avec nos jambes, pas seulement nos têtes. » La semaine dernière, le poste de police a ouvert à 6h30 ; aujourd’hui nous avons raté le spectacle. Les 20 premiers - le maximum qu'ils peuvent prendre en charge - ont été pris à 4h. Une foule se disperse, en attendant le premier bus pour « rentrer », et chacun range ses papiers. Ces documents paraissent dérisoires : un permis de séjour de trente jours avec tampon officiel et une demande d’asile à laquelle il faut joindre des photos d’identité, le nom et la profession des parents.

Reggae et blues

Le problème de l’immigration dure depuis vingt ans en Grèce. Tout a commencé, plutôt bien, avec une vague d’immigrants légaux et voisins. « Les Albanais sortaient du régime de Hoxha et ils se sont assez vite fondus dans la société et l’économie grecques », selon les souvenirs de l’architecteKonstantinos Labrinopoulos. Il a quitté le quartier autrefois tendance de Psyri pour celui, plus chic, de Kolonaki après la montée de la violence du côté d’Omonia, l’une des trois places centrales qui forment un triangle dans le centre ville d’Athènes (les deux autres étant Montsirakis et Syntagma). « Au début de la décennie, les Irakiens, les Afghans, les Bengalis, les Pakistanais ont commencé à arriver. Le phénomène était différent de ce qu’on connaissait. » Mais la plupart des immigrants clandestins ne veulent pas rester dans un pays enlisé dans la crise, et dont le système ne différencie guère les immigrants des demandeurs d’asile.

Retour du côté de Tavros : trois Congolais font la queue en vain depuis deux jours. Ils survivent en buvant de l’eau. Ils parlent avec vivacité. « Il me faut des papiers pour aller voir ma sœur. Elle a22ans. » dit Coco, indiquant de la tête la prison d’en face. Ils se serrent les uns contre les autres pour se protéger du froid, la main sur le menton, tous très intéressés par ce que nous sommes en train de leur raconter à propos de la législation dans l’UE : un demandeur d’asile doit rester dans le premier État membre où il est arrivé. Ils ont soif de savoir. Tandis que la blessure d’un homme est photographiée par des membres d’Amnesty International, qui arrivent en voiture puis viennent s’entasser autour, Muhadin demande pourquoi « ce média » arrive toujours quand rien ne change. C’est sa 8ème semaine ici. Originaire du Bangladesh et âgé de 26 ans, il veut aller au Danemark. Tandis que nous longeons la prison, les officiers de police campent dans 3 ou 4 voitures et fument dans le noir. On voit la lumière de leur petit bureau allumée derrière eux. Leurs voix se croisent. « Revenez la semaine prochaine. Vous n’avez rien raté, c’est terminé. »

Rafles en rafale

« La Grèce était une société très fermée, et elle l’est toujours, d’autant plus avec le nationalisme et la religion orthodoxe dominante, » analyse Thanassis Kurkulas, qui a été candidat pour le parti d’extrême-gauche Syriza. Nous le rencontrons « au paradis », plaisante-t-il, c’est-à-dire à Six Dogs, un bar en plein air avec des arbres peu éclairés, des rangées de bancs en bois et des hamacs sur trois niveaux. Au moment même où nous parlons, des néo-nazissaccagent un département de mathématiques dans la banlieue de Zografou. Ce professeur d’informatique, brandissant son zippo en enchaînant les cigarettes, a fondé une institution indépendante, une école du dimanche pour les immigrants en 2004. Elle comporte 500 étudiants et 150 bénévoles.Ses bureaux sont dans le «quartier dangereux» d’Aghios Panteleimonas. « Depuis deux ans on voit moins d’immigrants nous solliciter.Au moins 90% d’entre eux s’en vont à cause du chômage. »

Le 29 mars le ministère de la protection des citoyens a annoncé que 30 000 immigrants clandestins seraient hébergés (la fameuse hospitalité grecque ?) dans une trentaine de « centres d’accueil » répartis dans le pays et aménagés dans des bâtiments militaires désaffectés. Le parti communiste les a très vite appelés « camps de concentration ». À Omonia, ce jour-là, une équipe-télé filme une rafle de clandestins. Dans un autre coin une petite manifestation se prépare pour demander des emplois en Grèce. Il y a de l’agitation, mais pas de tension. Un groupe de policiers m’indique sans le vouloir le centre communautaire afghan, géré par Yunus Mohammadi depuis 2007. Il fut l’une des 11 personnes à obtenir l’asile en 2004, sur 6 000 candidats. « Il m’a fallu un mois pour traverser le Pakistan, l’Iran et la Turquie quand j’étais réfugié politique en 2001. J’ai trouvé un travail dès mon deuxième jour. La communauté grecque était plus hospitalière à l’époque. »

Même Yunus, qui travaille dans un hôpital, aimerait pouvoir rentrer chez lui. « J’aime la Grèce, mais je ne veux pas la nationalité grecque. » Il se plaint du manque d’information. « On essaie de montrer aux Grecs que notre religion n’est ni Al-Qaïda, ni le terrorisme. Ce n’est pas ce que nous avons fui. » Mais Wazi (22 ans), qui tient un bureau au-dehors, explique comment il a quitté Kaboul après la mort de son père, tué parce qu’il « travaillait pour des infidèles ». Durant son voyage vers Athènes il y a neuf mois, il a dû porter un cadavre pour traverser la frontière montagneuse avec la Turquie. « Je tremblais en allant travailler aujourd’hui, » dit-il avec un sourire, en faisant référence aux « enlèvements policiers » qui se déroulent à quelques mètres de là.

Orage ô désespoir

En septembre 2011, un autre demandeur d’asile afghan, de deux ans son aîné, a été attaqué à Aghios Panteleimonos. Il suffit de mentionner le premier procès pour crime haineux depuis 1999 pour se souvenir du Grec poignardé à mort alors qu’il allait emmener sa femme enceinte à la maternité en mai 2011. De telles histoires entretiennent le succès du parti ultranationaliste Aube Dorée (Chryssi Avyi) , qui a gagné un siège au conseil municipal en 2010. 50% de l’électorat « trahi » par la coalition composée de Pasok (socialiste) et de Nouvelle Démocratie (centre-droit), « à la botte de la Troïka », vont voter pour ce parti néo-fasciste, qui a besoin de 3% pour entrer au Parlement, le 6 mai prochain.

« En prenant le bus avec les demandeurs d’asile, j'échappe à une tentative de vol. »

Le détail ultime, et ni la plupart des Grecs, ni les immigrants ne le savent, c’est qu’une fois que vous êtes en Grèce, vous y restez à moins d’être rapatrié. « Ils disent qu’ils vont me déporter, murmure Muhadin. C’est vrai ? » Les quelques Grecs qui le savent sont irrités par le règlement Dublin II, qui stipule qu’un seul État membre est responsable de l’examen d’une demande d’asile, si bien qu’un sans-papier ou un réfugié peut être renvoyé en Grèce à partir d’un autre pays de l’UE si la Grèce est considérée comme responsable de sa demande. En prenant le bus avec les demandeurs d’asile, j'échappe à une tentative de vol. C’est un homme « sans visage » près du métro Omonia. Dans la cohue désespérée qui précède le lever du soleil, je n’aurais pas su dire s’il était Grec, clandestin, ou autre.

* Source :Eliamep,Fondation hellénique pour les affaires étrangère et européennes

 Cet article fait partie de Multikulti on the Ground 2011-2012, la série de reportages réalisés par cafebabel.com dans toute l’Europe. Pour en savoir plus sur Multikulti on the Ground.Un grand merci à l'équipe locale d'Athènes.

Photos : Une et Texte © Colin Delfosse for 'MultiKulti on the ground Athens' by cafebabel.com/ outoffocus.be; place Omonia  (cc) flickr/ 612.gr ; Vidéo : (cc) Youtube/artanis2alatariel

Translated from Inner-city immigrant-city Athens: look Greek, look lively