Ahmad Farahani, réalisateur iranien : « Je ne pouvais pas mentir »
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Anne-Sophie De ClercqEn octobre dernier, durant le Festival International de Ferrare, dans le nord de l'Italie, le journaliste et réalisateur Ahmad Jalali Farahani a présenté un exposé sur la répression touchant les journalistes iraniens à l'occasion de la projection de son documentaire We are journalists, réalisé en 2014. Nous avons pu discuter avec lui de son travail.
La persécution systématique des journalistes a commencé en Iran dès la prise de pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad en 2005 et s'est poursuivie après sa réélection contre Mir-Hossein Mousavi en 2009. La réélection de 2009 avait d'ailleurs été entachée d'allégations de fraude électorale, ce qui avait généré de nombreuses protestations brutalement matées par les forces de sécurités nationales.
Le documentaire de Farahani dépeint une ambiance d'intimidation constante : les journalistes iraniens vivent dans la peur d'être arrêtés, emprisonnés, battus, torturés ou exilés. Le réalisateur a lui-même été directement confronté à cette réalité violente lors de son emprisonnement, en 2010. Après sa libération, sa famille et lui ont reçu des menaces qui les ont poussés à émigrer au Danemark.
Le Le réalisateur, qui a aussi été acteur pour le théâtre et le cinéma, reste pourtant convaincu de l'importance de la liberté d'expression et du journalisme. « La liberté d'expression est très importante pour la liberté dans le monde, et pas seulement en Iran ou au Moyen-Orient. We are Journalists est un film sur le sens du vrai journalisme. J'ai perdu mon travail, mon avenir ; le régime a saisi ma maison, mon compte bancaire... tout. Pourquoi ? Parce que je ne pouvais pas mentir. »
« En Iran, on a un journalisme à deux vitesses. D'un côté, il y a le vrai journalisme ; de l'autre, un journalisme de bon ton. Si tu fais du vrai journalisme en Iran, tu risques d'être torturé et emprisonné, tu es isolé. » Ahmad Farahani explique que, depuis 2009, plus de 150 journalistes ont fui l'Iran et plus de 300 professionnels des médias ont perdu leur travail. De plus, le régime d'Ahmadinejad a supprimé l'Association iranienne des journalistes et a ordonné la fermeture de nombreux journaux depuis 2009.
Et la répression continue aujourd'hui, sous le gouvernement de Hassan Rohani. Selon le Recensement pénitentiaire 2015 du Comité pour la protection des journalistes, l'Iran occupe le troisième rang dans le classement des pays comptant le plus de journalistes emprisonnés, haut placé dans une liste qui comprend l'Égypte, la Turquie, le Bahreïn, l'Érythrée et l'Arabie saoudite. L'une des forces du documentaire de Farahani, c'est son point de vue résolument personnel, puisque le réalisateur propose non pas une analyse distancée des processus de répression, mais bien des témoignages de victimes.
Durant notre discussion, Faharani a notamment parlé d'Ahmad Zeydabadi, le premier journaliste condamné à s'exiler dans une région reculée d'Iran depuis la Révolution de 1979, envoyé à Gonabad, au nord-est de la province de Razavi Khorasan. Ce journaliste renommé a été arrêté en juin 2009, peu de temps après la réélection d'Ahmadinejad. En novembre de la même année, il a été condamné à « à six ans de prison ferme et cinq ans d’exil dans la ville de Gonabad. Une peine assortie d’une interdiction d’activités politiques ou journalistiques » selon Reporters sans Frontières.
Avant les élections de novembre dernier, les experts de l'ONU avaient appelé l'Iran à mettre fin aux pressions pesant sur les journalistes suite à l'arrestation de cinq d'entre eux. Le même mois, Reyhaneh Tabatabaei, reporter et activiste politique, était condamnée à un an de prison pour propagande contre le régime.
La structure politique complexe de la République islamique d'Iran est l'une des clés qui permettent de comprendre les luttes de pouvoir actuelles et leurs effets internes en cette semaine électorale (les élections se tiendront ce 26 février).
Pour la première fois, les électeurs seront amenés à se prononcer non seulement sur la constitution de l'Assemblée consultative islamique, ou Parlement islamique, mais aussi sur celle de l'Assemblée des Experts, composée de théologiens chargés d'élire, de destituer et de superviser le Guide suprême.
Quant au scénario politique des prochaines élections, Faharani se montre critique envers l'attitude de l'Occident : « Les états occidentaux comme le Royaume-Uni espèrent pouvoir soutenir un parti modéré afin de changer la situation politique iranienne. Ce n'est pas une bonne idée. Si les états occidentaux pensent que ce genre d'action pourrait les aider à atteindre leurs propres objectifs, ils font erreur. Les partis réformateurs et modérés n'ont, en Iran, aucun pouvoir, aucun fonds... »
L'exclusion de la liste des candidats à l'Assemblée des Experts de Hassan Khomeini, religieux modéré et petit-fils du fondateur de la République islamique, ainsi que d'autres candidats réformateurs et modérés confirme d'ailleurs ses dires.
Selon Farahani, les acteurs externes à l'élection feraient mieux de soutenir les organisations iraniennes directement impliquées. « [Les ONG, les lobbyistes et autres occidentaux] devraient se souvenir que le changement doit venir des iraniens eux-mêmes. Bien sûr, il faut soutenir les journalistes iraniens hors des frontières du pays, mais il faut aussi créer et entretenir des liens avec les journalistes et les activistes politiques qui vivent en Iran. Il faut aussi que les politiques parlent sérieusement des droits de l'homme, et pas que des accords nucléaires. »
« [Les Iraniens] sont fatigués des révolutions », conclut-il. « Nous avons tous vu comment elles ont tourné en Syrie, en Afghanistan, au Yémen et dans d'autres pays voisins. Je n'ai pas envie de discuter de ça avec des intellectuels occidentaux, mais plutôt avec des personnes ordinaires, normales. Si le monde veut que le régime iranien change d'attitude, il doit nous soutenir... parce que nous sommes journalistes. We are Journalists. »
Translated from Iranian filmmaker Ahmad Farahani: "I could not tell myself the lie"