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À la recherche de l'économie souterraine de Naples

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Véronique Mazet

PolitiqueEU in MotionEu in Motion à Naples

Bienvenue à Naples, ses pizzas, sa Camorra et Pompéi (presque). Au-delà des clichés, Naples possède l’une des pires réputations en Europe. Il est temps d’apprendre comment les vrais Napolitains, les originaux  débrouillards s’en sortent. Reportage dans la cité où la police ne va plus.

Naples. Cette ville est définie par une pléthore d’adjectifs : dangereuse, sale, pauvre, bruyante. Et c’est justifié. En zigzagant dans les rues étroites du Quartieri Spagnoli – l’un des quartiers les plus défavorisés de la ville -  les bruyantes Vespa menacent de renverser les piétons comme des quilles de bowling, les façades des immeubles sont fatiguées, la Camorra est tapie dans l’ombre, pendant que les mamma italiennes braillent  en napolitain avec leur progéniture, leurs efforts ont autant de succès que d’essayer de rassembler des chats en troupeau.

Cela serait simple pour moi, journaliste originaire du nord de l’Italie, d’écrire pour sortir Naples de l’incarnation des stéréotypes négatifs du  sale sud. Mais après avoir gratté sous le vernis ternis, Naples est une ville électrique, berceau de l’entreprenariat, du travail acharné et des débrouillards de rue astucieux. Ici, tout le monde est toujours occupé, agité, et engagé dans un quelconque échange commercial. C’est beaucoup pour le soi-disant sud paresseux.

Une (sur)vie en cash

Pendant la majeure partie de ses 5000 ans d’histoire, Naples a bénéficié d’une économie forte, soutenue par un commerce important. Des restes de sa grandeur passée jalonnent la ville, comme la stupéfiante Piazza del Plebiscito. Mais le faste de Naples s'est peu à peu essoufflé avec l’unification de l’Italie et l’économie napolitaine est depuis à la traîne. Cette crise à long terme a perpétué une économie souterraine, informelle, basée sur les espèces, où les frontières entre les activités illégales et criminelles sont floues.

Pendant que les autres pays européens ont adopté le paiement électronique, c'est le cash qui règne à Naples. Oublie ta carte visa pour payer la délicieuse pizza margherita à L’Antica Pizzeria de Michèle. Chiara vient d’ouvrir une boulangerie où elle accepte uniquement les espèces. Elle parle en général de l’économie informelle, mais s’abstient de parler de son business.

« L’économie informelle est un phénomène envahissant créé par les personnes qui n’ont pas de travail stable, comme les immigrés, ou par ceux qui font de petits boulots pour joindre les deux bouts », explique-t-elle. « L’économie informelle a des avantages, comme la pratique des prix bas, mais aussi des inconvénients, comme le manque de sécurité dans le travail. »

« Cela est habituel pour les jeunes de travailler dans un restaurant afin de financer leurs dépenses pendant leurs études. Presque tous ces emplois sont payés en liquide et sont exercés sans contrat », nous dit Mario, un étudiant local qui travaille au noir dans un restaurant. » « Cette pratique est répandue et connue. Est-ce vraiment informel ou illégal ? »

« Payer en liquide est lié aux problèmes généraux en Italie aujourd’hui. C’est là que le légal et l’illégal se rencontrent et ne peuvent pas être séparés », explique le professeur Nicholas DeMaria Harney, de l’Université d’Australie occidentale, expert en relations entre l’économie, la société et la culture à Naples. « Un grand nombre de règlements sont bien intentionnés, mais ont abouti à une structure très complexe du travail qui rend l’embauche d’une personne très coûteuse. C’est devenu une stratégie pour se décharger de certaines responsabilités chez les petites entreprises. Puis, une grande partie de l’économie en espèces va permettre de ne pas tout déclarer. »

Les migrants sont aussi poussés vers l’économie informelle. Henry, originaire du Nigéria, est arrivé à Lampedusa il y a six ans après un voyage périlleux pour traverser la Méditerranée. Il survit grâce à un boulot au noir qui consiste à aider les clients à faire leurs courses. Il gagne environ 20 euros de pourboire par jour, à peine assez pour survivre.

« Quand je suis venu en Italie, je rêvais d’une vie meilleure avec un bon travail. Ici, je suis traité comme un chien », explique-t-il. « Il n’y a pas d’opportunités ici, même pas pour les Italiens. J’ai des papiers, mais je n’arrive pas à trouver un emploi normal avec un salaire basique. Si je pouvais aller en Allemagne, je vendrais des vêtements italiens de qualité aux magasins et je paierai mes impôts à l’Italie. Ensuite, je pourrais louer un appartement correct et faire vivre ma famille. Mais, aujourd’hui, tout ce que j’ai c’est ce petit boulot pour me nourrir. »

L’économie souterraine

L’importance de l’économie souterraine a un impact préjudiciable sur l’économie formelle à cause de la perte d’impôts pour le gouvernement. En 2013, le PIB de l’Italie s'élèvait à 1576 milliards d’euros, le quatrième de l’Union européenne. L’Italie possède l’une des plus importantes économies souterraines d’Europe de l’Ouest, avec un total de 333 milliards d’euros, soit 21.1% du PIB, deuxième derrière la Grèce avec 23.6% du PIB. Les chercheurs ont aussi trouvé une corrélation entre les paiements électroniques et la taille de l’économie souterraine : les pays avec le plus de paiements électroniques ont les économies souterraines les plus petites.

Certains secteurs de l’économie sont plus propices au travail au noir, soit pour éviter les impôts ou pour blanchir de l’argent. Selon un rapport de Visa Europe, les industries sont plus vulnérables à cause de pratiques culturelles et de petites transactions en espèces.

Gouvernement, où-es-tu ?

En explorant le cœur de la ville, j’aurais plus de chance de rencontrer un fantôme de Pompéi qu’un agent du gouvernement. Des marchés tentaculaires envahissent les rues où se presse la foule, les vendeurs colportent des sacs Gucci et Prada à bas prix en tirant nonchalamment sur une cigarette. La plupart de ces activités informelles sont illégales. Mais ici, la police ne vient plus.

« La présence de l’État est si irrégulière que les gens ont dû trouver d’autres moyens de survivre parce qu’ils ne peuvent pas faire confiance aux agences gouvernementales pour suivre les règles pour faire les choses », nous a expliqué Nicolas. « Les Napolitains ont du mal à en parler parce qu’ils sont exaspérés par cette situation. »

« L’État embête les travailleurs avec les impôts et ne fournit pas de sécurité pour l’avenir », confie Chiara. « Je pense que le seul moyen de changer la situation serait de retourner à un gouvernement plus dur ou de faire une révolution violente. »

Le Guardia di Finanza, la force policière la plus prestigieuse d’Italie, fait peur à beaucoup de Napolitains à cause de son pouvoir incomparable sur l’économie informelle. C'est eux les  responsables de la lutte contre les crimes financiers et la contrebande. En même temps, certains spéculent aussi sur la corruption du département. Au Regional Office for Campania, je n’ai pas réussi à obtenir un entretien avec un fonctionnaire mais, plusieurs officiers de haut rang ont fourni des informations générales sur leur travail et ont partagé leur passion pour l’art moderne.

L’art d’arranger

En me promenant dans les rues pavées, je ne me suis jamais vraiment sentie seule. Il y avait toujours des yeux qui m’observaient, regardaient, attendaient. Ici, les gens regardent les autres pour voir s’ils font partie de la Camorra. Entretenir des relations sociales étroites est essentiel pour survivre, et les Napolitains sont les maîtres de l’art d’arriangiarsi. En français, cela veut dire l’art de s’en sortir, surtout dans l’adversité. Pendant que Rome tente frénétiquement de sortir l’Italie de la crise, Naples continue de s’en tirer, avec ou sans l’aide de la capitale.

L’auteur voudrait remercier le travail de Dario Oropallo pour cet article qui n’aurait pas été possible sans lui, ainsi que l’équipe de cafébabel Napoli.

CET ARTICLE FAIT PARTIE D’UNE SÉRIE SPÉCIALE CONSACRÉE À NAPLES DANS LE CADRE DE L’EU-IN-MOTION, UN PROJET LANCÉ PAR CAFÉBABEL AVEC LE SOUTIEN DU PARLEMENT EUROPÉEN  ET DE LA FONDATION HIPPOCRÈNE.

Translated from The Hustle Napoletano: Chasing the Shadow Economy in Naples