A 63 ans, l'UE est-elle sénile ?
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Pauline BakerMalgré les efforts mis en œuvre par un certain nombre d’institutions à travers l’Espagne, seule une poignée d’Espagnols connaissent la date de la Journée de l’Europe et la raison pour laquelle on la célèbre. Comme l’indique Marta Roqueta, selon la dernière enquête Eurobaromètre effectuée à l’automne 2012, 51 % des Espagnols ne connaissent rien des droits qui sont les leurs en tant qu’Européens.
Le manque de connaissance de ces droits, associé à la faible participation aux élections du Parlement européen (qui ont lieu tous les quatre ans, la prochaine étant prévue pour 2014 — NDLR), peut conduire à la conclusion que les Espagnols ne se préoccupent guère de l’UE. Or, selon le même Eurobaromètre, les Espagnols font partie des citoyens qui ont le plus le sentiment d’être Européens, et ils pensent d’ailleurs que l’UE constitue la réponse à la crise. Trois journalistes spécialistes des Affaires internationales et appartenant à trois générations différentes tentent d’expliquer ces contradictions.
« Les gens pensent que l’UE les aide à avoir un bon niveau de vie, mais qu’elle n’a aucun pouvoir décisionnel en matière de politiques importantes »
Cela fait dix ans que Martí Anglada, 63 ans, est correspondant étranger pour la chaîne de télévision publique catalane TV3. Il a fait des reportages en Italie, au Royaume-Uni et, au cours des deux dernières années de sa carrière, a couvert Bruxelles et Berlin. « En Espagne il y a cette idée que l’UE permet aux individus de vivre correctement, tant sur le plan économique que démocratique », déclare Anglada. « Mais on sait que, dans les faits, ceux qui prennent les décisions dans l’UE sont Angela Merkel et François Hollande. Les gens estiment que la seule façon de pouvoir peser sur les décisions politiques de l’UE est de voter pour un président espagnol. » De ce point de vue, c’était une erreur de voter pour la constitution européenne en organisant des référendums nationaux : « Les Européens ont eu le sentiment que leurs votes n’avaient aucune importance, puisque le résultat obtenu dans un seul pays pouvait mettre un terme à l’ensemble du processus. »
La crise économique peut également modifier l’image positive que les Espagnols ont le l’UE. Selon Anglada, les trois principales réalisations qui ont aidé à la création d’un état d’esprit européen ont été la fondation de l’espace Schengen, le programme d’échange d’étudiants Erasmus, et la monnaie unique européenne. Elles sont toutes mises à mal par la crise. Anglada se veut optimiste : « Les gens ne veulent pas sortir de l’UE, seulement en changer la direction ». Il souligne deux objectifs importants : « Il nous faut créer un gouvernement économique européen, et supprimer la règle de l’unanimité dans les politiques de défense et d’affaires étrangères ».
« La génération la plus pro-européenne, c’est-à-dire les jeunes, est celle qui se montre la plus critique à l’égard de l’UE »
Xavier Mas de Xaxàs, 48 ans, est journaliste au service international de La Vanguardia, le journal catalan de référence. En raison des récentes élections italiennes, il a écrit des articles sur les mouvements populistes du sud de l’Europe, et tire la conclusion que les résultats obtenus par Silvio Berlusconi et, en particulier, par le leader populiste Beppe Grillo « sont une punition contre les mesures d’austérité ». C’est quelque chose dont la Grèce a déjà fait l’expérience avec la montée de Syriza.
Vous voulez en savoir plus sur le rôle de l’Espagne au sein de l’Union européenne ? Consultez notre chronologie interactive.
Qu’en est-il de l’Espagne ? « Le modèle électoral a tendance à privilégier les deux grands partis, donc cela va être plus difficile », nous fait remarquer Xavier. « Malgré cela, les élections auront lieu dans trois ans (en 2016), et si les groupes de mouvement civique qui sont en train de voir le jour décident de se liguer pour les élections, il est possible qu’on ait une surprise. » Lors des dernières élections catalanes de 2012, le parti radical de gauche Candidatures d’Unité Populaire (CUP), qui se présentait pour la première fois, a obtenu trois sièges au parlement. Ils sont en faveur d’une alternative au capitalisme actuel et ne veulent pas faire partie de l’UE. Xavier Mas de Xaxàs souligne que la plupart de ces groupes bénéficient du soutien des jeunes. « Ce sont ceux qui sont les plus pro-européens, mais également ceux qui se montrent les plus critiques. Ils désirent vraiment trouver des alternatives à un système qui a conduit à une crise qui les affecte rudement. » Dans le sud, la plupart des mouvements populistes ont également une idéologie de gauche : « Ils réclament une démocratie plus participative et s’opposent au modèle de croissance économique dominant. C’est pourquoi il est essentiel de donner le pouvoir au Parlement européen afin d’élaborer des règles et de construire des partis politiques européens ».
« L’UE privilégie les intérêts des grandes puissances économiques, pas ceux de son peuple »
Marc Miras, qui est âgé de 27 ans, est l’un des six cofondateurs d’Extramurs, un journal en ligne qui publie des informations internationales en catalan, en offrant des points de vue différents de ceux des agences de presse internationales. Miras est en faveur d’une Europe qui serait perçue comme une communauté de personnes. Cela n’est malheureusement pas le cas de l'UE : « C’est un marché qui a tendance à privilégier les intérêts des grandes puissances économiques », dit-il, en citant comme exemple le processus de Bologne. « On nous a dit que cela permettrait aux étudiants de s’inscrire gratuitement dans des universités européennes, mais ce que l’on a eu en réalité c’est une augmentation des frais de scolarité. » On peut également reprocher à l’UE son manque de pouvoir juridique. « La plupart des pays européens enfreignent les règles concernant les politiques d’immigration, ou ne respectent pas les peines prononcées par la Cour européenne de Strasbourg, mais l’UE n’a aucun moyen de les punir. » Selon Miras, c’est ce qui donne aux gens l’impression d’avoir été dupés. Si l’UE n’a pas tenu toutes les promesses qui avaient été faites aux Européens, cela n’est pas non plus du goût des non-Européens. « Le conflit au Mali dure depuis six ans. C’est seulement quand les intérêts français ont été menacés que l’UE a décidé de réagir. Pendant ce temps, ils vendaient des armes aux combattants. »
Cet article fait partie d’une édition spéciale sur la « Journée de l’Europe » créée grâce aux membres du Forum pour les étudiants européens en journalisme (FEJS), en collaboration avec cafebabel.com (avril 2013)
Photos : (cc) Anant N S/ thelensor.tumblr.com/ Anant Nath Sharma/ flickr
Translated from Vox-pop: Three Catalan journalists analyse EU as it turns 63