Zeitung
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Les 5 et 6 janvier derniers, la Comédie de Clermont-Ferrand nous présentait Zeitung, spectacle de danse créé par la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker, la compagnie Rosas, ainsi que par Alain Franco (pianiste dans ce spectacle).
© <http://www.ladanse.eu/local/cache-vignettes/L510xH341/DeKeersmaeker_Zeitung-942b8.jpg>
La particularité de Zeitung tient au fait qu'il n'y a pas nécessairement de cohérence entre la musique et la danse, c'est-à-dire qu'elles cheminent différemment, se croisant parfois, s'évitant quelquefois, ou se contemplant l'une l'autre.
Il conviendra donc de dire que les danseurs ne dansent pas sur la musique, mais plutôt avec elle, quoique la musique ne doive pas non plus être réduite à un simple accompagnement.
Dans Zeitung, la danse semble accéder à une certaine musicalité, dans son expression et sa structure, et peut-être toute la chorégraphie n'est-elle qu'une vaste partition musicale – non celle de la musique à laquelle elle se confronte cependant. On peut être tenté de voir ce spectacle comme une danse étrange entre danse et musique, ou alors une symphonie dont la danse est un instrument supplémentaire. En somme, l'alchimie entre danse et musique est surprenante et saisissante, éblouissante ou obscure, mais quelle alchimie !
La musique baroque de Johann Sebastian Bach tient une place assez privilégiée dans ce spectacle, voire centrale. Les morceaux du compositeur choisis par Anne Teresa De Keersmaeker sont principalement des fugues. La fugue, très en vogue au XVIIe siècle, consiste en le développement d'un motif, chanté par différentes voix, allant du grave à l'aigu, répété, alterné et étoffé. On obtient ainsi des morceaux complexes et techniques, véritables petites symphonies pour piano – clavecin à l'époque.
On retient à ce propos un magnifique passage au cours duquel les danseurs semblent suivre une véritable fugue chorégraphique (au son d'une fugue de Bach !), tant et si bien qu'ici la danse exprime pleinement la musique et vice versa. Mais de façon générale le contraste entre une musique baroque rigoriste et technique – mais non dénuée de charme – et une danse contemporaine libérée et sensible, est superbe.
L'apothéose du spectacle semble se dérouler avec la fugue adaptée pour orchestre – entendue plus tôt par le piano –, accompagnée d'une danse aux accents épiques et envoûtants.
Les compositeurs Webern et Schoenberg font aussi partie de cette danse, et apportent tantôt grandiose, tantôt mystique, musique contemplative ou musique intimiste, sons mélodieux ou sons hermétiques. À l'instar de la danse...
Il serait difficile de qualifier définitivement ce spectacle, tant il peut complexifier le rapport entre la danse et la musique. On est assez libre de faire ce rapport, mais il est d'une évidente ambiguïté. Tout comme les danseurs au cours du spectacle, elles s'entremêlent, se repoussent, se défient, s'ignorent ou s'observent. Elles rivalisent parfois d'expressivité, ou s'accordent pour un moment, majestueuses. L'une se tait, l'autre parle ; l'une commence, l'autre s’achève. Musique et danse se complètent ou se combattent.
Zeitung, c'est peut-être un concerto pour musique et danseurs, ou alors une fugue, dont les danseurs sont autant de mélodies. C'est un vibrant hommage à la musique et à la danse, confrontée pour de bon l'une à l'autre, dans un dialogue pur, avec ses indifférences, ses heurts et ses accords. C'est un chemin qui relie danse et musique, où l'on se perd parfois, mais l'on ne peut que contempler la beauté de ce chemin.