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Youth : Sorrentino ou la manie de la performance

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Translation by:

Elise Wznk

CultureCiné Babel

Le dernier film de Paolo Sorrentino, Youth, a peu fait parler de lui, contrairement à La grande bellezza, mais reste néanmoins dans la lignée des aspirations de son auteur. Que nous dévoile cette oeuvre sur les manies, l’ego et la carrière de l’un des réalisateurs les plus internationaux du cinéma italien ?

Tout comme pour La Grande Bellezza, qui, malgré un Oscar l’année dernière, avait déclenché bien des polémiques, Paolo Sorrentino est de retour avec son nouveau film (sorti le 9 septembre dernier en France, ndlr), Youth-La giovinezza, et continue de diviser les critiques. D’un côté, on admire l’ambition et le courage du réalisateur napolitain, véritable habitué des festivals mondialement connus. De l’autre, on n’hésite pas à le taxer de mélomane pistonné et peu inspiré. Le grand public, quant à lui, place Sorrentino au cœur du débat, attirant les regards de ceux qui le voient et le jugent comme une vedette.

Un réalisateur que l'on aurait imaginé plus jeune

Youth se révèle être plus intimiste, plus apaisé, contrairement à La grande bellezza. Un petit film qui aborde de grands thèmes - la paternité, la sénilité, la jeunesse, la carrière artistique - que ce soit au bord de la piscine ou à un cocktail des deux protagonistes octogénaires (un compositeur et un réalisateur, brillamment interprétés par Micheal Caine et Harvey Keitel), accompagnés d’un tout autre tas de personnages excentriques, en vacances dans un hôtel luxueux au cœur des Alpes suisses. Le plus surprenant dans ce film, c’est la façon dont Sorrentino a fourni une œuvre de synthèse et signe le travail d’un réalisateur que l’on aurait imaginé plus jeune. Une fin de carrière à l’image de celle des deux personnages principaux, qui vivent la vieillesse comme une finalité à ne pas atteindre, une fin à fuir pour retrouver une certaine jeunesse, ou du moins une place parmi les vieux souvenirs…

On pourrait presque penser que l’auteur souhaitait réaliser un film testament (exactement comme le personnage, réalisateur dans le film, qui souhaite tourner Harvey Keitel/Mick Boyle, ndlr), quitte à confier ensuite à la presse que Youth représente un nouveau début dans sa cinématographie. Sorrentino est également connu pour son travail sur la mémoire (comme on a pu le constater dans This must be the place - 2011), en mettant en scène toute une série d’incertitudes mêlées aux désirs et à la solitude, qui, au fond, caractérise toutes les figures clés de ses films (Les conséquences de l’amour, Il divo). En revanche, Sorrentino trace dans Youth une ligne beaucoup plus nette et laisse ainsi place, de manière tout à fait explicite, à la dissertation, la philosophie, la signification d’être à la fois père et artiste, chose que beaucoup ont jugé arrogante et moins significative que ce qu’elle voudrait paraître. Le scénario reprend certes les mêmes aphorismes, néanmoins Youth compense grâce à la candeur et aux émotions des détails, dans lesquels transparaît une empathie plus simple, plus frivole : dans les sourires arrachés d’un Michael Caine que l’on retrouve en malade imaginaire, ou encore honteux d’avoir parlé de ses performances au lit devant sa fille.

« La vocation du cinéma, c’est le désir »

Il faut également garder à l’esprit que Sorrentino ne serait « sorrentin » sans sa rigueur esthétique, visible à chacun de ses plans, limpides et géométriques. Le moindre détail est travaillé minutieusement, mais surtout, une ironie au goût amer règne tout au long du film. Sorrentino souligne et se moque de toutes les imperfections de la réalité, ou cherche probablement à s’unir avec lui-même afin de provoquer une catharsis. Ainsi, la beauté surgit du nouveau, du paradoxe, et joue en grande partie sur le visuel, notamment sur les corps des personnages : l’adolescente ingrate qui propose ses services aux clients de l’hôtel, un Maradona empoté, peinant à se déplacer, et qui cache un talent bien enfoui sous ses innombrables bourrelets, le visage fatigué et malade de la femme du compositeur, véritable allégorie de la mort. On rencontre également Miss Univers, qui, telle une nymphe aux courbes harmonieuses, offre un « ultime moment de jouissance » aux deux petits vieux, lors de son entrée dans le jacuzzi.

Sorrentino est talentueux, ambitieux et nous le fait sentir : malgré quelques manœuvres précoces, il sait sans aucun doute ce qu’est le cinéma. Chez lui, la manie du contrôle se transforme en manie de la performance. Sorrentino est un spectacle en soi, une exposition de lui-même : stupeur, calcul, caprice. Un ego surdimensionné qui risque de s’identifier, à l’instar du personnage principal de Youth, à un « artiste présomptueusement inélégant », à force de chercher de manière si déterminée cette légèreté, cette « tentation irrésistible, jusqu’à la perversion ». Un ego qui, malgré tout, comme nous le témoigne le même personnage, fait également preuve de tendresse mélancolique. 

Les films de Paolo Sorrentino, qu’ils parlent de vieillesse ou de jeunesse, qu’ils reflètent une vedette arrogante ou un artiste ironique, séduisent les connaisseurs mais pas seulement, car le résultat est toujours intéressant et charismatique.  On comprend alors pourquoi selon Sorrentino, « la vocation du cinéma, c’est le désir ».

Bande-annonce de 'Youth'

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Voir : Paolo Sorrentino - 'Youth' (en salles depuis le 9 septembre)

Translated from Youth: Sorrentino e la mania della performance