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Yann Tiersen : « La France nie vachement ses cultures »

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BrunchStyle de vie

Tout le monde le connaît, mais peu de personnes savent vraiment ce qu’il fait. Yann Tiersen n’a pourtant pas chômé : après la sortie de son dernier album Skyline (Mute Records) en 2011, il a enchainé les tournées et les projets entre les Etats-Unis, Ouessant et Paris. Rencontre dans son cocon parisien où il nous parle de sa musique, de la Bretagne, de l’Europe, de ses voyages, de sa vie.

Et d'une France qu'il trouve encore sclérosée.

Un escalier en bois clair mène à une pièce aérée où des centaines de vinyles tapissent le mur jusqu’au plafond. Un grand chien immaculé – Voltaire – m’accueille chaleureusement. « Je vis ici depuis 2003 », me précise Yann Tiersen en servant un café. Pieds nus dans son antre, cigarette au bec, il traverse la pièce pour mettre un 33 tours. Je vois des rollers sur la terrasse où je m’installe. « J’ai deux enfants, c’est d’ailleurs pour ça que je reste à Paris la moitié de l’année », dit-il, alors que la musique envoûtante du groupe islandais Múm embaume la pièce.

Voyageur

Le reste du temps, le Breton passe sa vie entre ses tournées et Ouessant - « chez moi » - petite île de l’autre côté du Finistère où il travaille ses albums, seul. Ses cheveux légèrement en bataille ainsi que sa boucle d’oreille lui donnent un air de marin, de ceux qui prennent vite conscience de l’immense diversité du monde et qui quittent leur terre pour mieux la retrouver. Le musicien revient d’une tournée en Islande et aux États-Unis, où il « tourne le plus en ce moment. C’était la quatrième tournée en Amérique du Nord en deux ans et demi. » Il y joue surtout ses deux derniers albums, Dust Lane et Skyline, qui sont plus post-rock et hypnotique que les précédents. Le public est apparemment très réceptif, mais c’est moins le cas en France, où il reste souvent cantonné à la musique du film Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. « C’est le problème ici. Ce n’est pas comme ça ailleurs donc ça va. Ça m’embête, mais je ne sais pas pourquoi. La France n’est pas un pays avec une culture musicale très poussée, ce qui n’est pas le cas de la Bretagne qui est un "pays normal", comme le reste de l’Europe, où il y a une tradition musicale beaucoup plus importante. »

Barde des temps modernes

Yann considère qu’il n’a pas fait un virage plus rock ou plus électro. « J’ai évolué "tranquille" dans mes albums. Ce n’est pas vraiment électro. On a un projet électro mais il n’y a pas encore d’album. » Ce projet s’appelle Elektronische Staubband, ce qui est tout simplement la traduction de Dust Lane en allemand : « A notre retour de tournée l’année dernière, un promoteur italien nous a proposé de reprendre les deux derniers albums version électro. Il savait qu’on était un peu là-dedans et on a commencé le groupe comme ça. » Né à Brest, Yann Tiersen a grandi à Rennes jusqu’à ses 22 ans. Autodidacte, il n’a pas fait d’études et a commencé à gratter l’acier dans des groupes de rock. « J’ai commencé à faire de la musique tout seul et j’ai vachement travaillé avec les samplers. » Puis il en a eu marre de passer des heures devant des machines. « Je me suis alors remis aux instruments acoustiques. J’ai gardé cette idée là de sampler des choses mais du coup je l’ai fait en live avec un micro, pour prendre le contrepied en fait. » Pour lui, les instruments sont surtout des « outils » qu’il prend « comme des trucs qui font des sons. Ça peut être des objets, n’importe quoi. »

Loin de la France

« On tue les cultures sous prétexte qu’on ne veut pas le communautarisme. »

Dans ses derniers albums, Yann Tiersen a privilégié la langue de Shakespeare qu’il trouve plus ouverte et plus simple. « Elle peut évoquer plein de choses et elle est plus précise, car il y a beaucoup plus de mots. Je trouve que le Français est une langue trop analytique, qui ne se prête pas trop à la musique. Après il y a de super choses dans la chanson française mais ce n’est pas trop ce que j’écoute. Plus je voyage, moins je me sens lié à la France.» Yann considère que la France est un pays trop centré sur lui-même et sur une francophonie artificielle, « alors que c’est un pays qui a une richesse et une diversité énorme, mais il y a une espèce de défense du français qui est contre-productive. On tue les cultures sous prétexte qu’on ne veut pas le communautarisme. »

Par contre ce n’est pas le cas de la Bretagne, où la langue est plus ancienne que le Français et où il observe une culture ouverte sur le monde. Il ne se revendique ni traditionaliste ni indépendantiste, mais pour lui, « la France nie vachement ces cultures, comme la culture basque ou corse. Pourtant c’est l’avenir économique. De n’importe quel point de vue que l’on se place, qu’on soit anti-globalisation ou qu’on soit à fond dans le modèle économique européen, l’avenir ce sont ces entités économiques et culturelles au sein de l’Europe plutôt que des grandes nations. »

Ses derniers albums reflètent cette découverte du monde et renvoient des images de voyages et d’explorations, loin du chauvinisme franco-français. Une description de sa musique avec des termes analytiques ne servirait à rien. Il suffit d’écouter. Et de se laisser porter.

Photos : © Natalie Curtis Texte : (cc) mairaeiou/flickr et visuel © courtoisie du label Mute ; Vidéos : themutechannel/YouTube