Welcome in Tziganie : le temps des gitans
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Un duo babélien hungaro-français, a testé pour vous un des meilleurs festival de musique tzigane en France. Welcome, donc dans le Gers, in Tziganie. Mais au fait, c’est quoi la « Tziganie » ? Voyage dans un pays imaginaire, au milieu de nulle part.
Deux roulottes en bois joliement décorées encadrent un panneau Welcome in Tziganie. C’est ici, dans le petit village de Seissan, qu’a lieu le 8e édition du festival Welcome in Tziganie consacré aux musiques et aux cultures tziganes. Il aura suffit d’un week-end pour que la paisible commune de 1 100 habitants multiplie sa capacité d’accueil par cinq, devenant l’éphémère épicentre d’un foyer tzigano-balkanique, rayonnant entre Toulouse et Pau, à 20 km de Auch (préfecture du Gers). C’est dans cet isolement relatif, qu’une foule de 5 000 festivaliers s’est trémoussée au son des trompettes, guitares et autre cymbalum, dans l’ancienne arène à taureaux du village, devenue chapiteau de cirque pour l’occasion. Le festival, aux allures de mini Guča, est bien connu des amateurs de musique balkanique et autres airs manouches. C’est bien ça qui a attiré Coline et Héléna (22 et 23 ans), deux amies venues de Pau en camping-car improvisé : « J’aime bien la musique tzigane, j’apprécie d’avoir un festival qui lui est entièrement consacré pas loin de chez moi ! », se réjouit Héléna, qui a entraîné Coline après avoir repéré l’événement dans le magazine Causette. Pour les deux comparses, la « Tziganie » évoque « un mode de vie lié à la liberté, les nomades, la guitare, les belle robes, les roulottes… ». Les deux festivalières avouent à demi-mot n’en savoir pas beaucoup plus sur les populations roms et tziganes en France comme en Europe.
Tziganie, qui es-tu ?
Il faut dire que pour attirer le gadjo (le non rom), le festival joue habilement sur les représentations communes des cultures tziganes : foulards bariolés, rubans et robes à piécettes décorent les tréteaux du chapiteau tandis que nourriture et jetons sont distribuées dans des roulottes customisées. Cette « Tziganie » gersoise offre ainsi de mordre dans un sandwich au magret de canard au rythme des cuivres balkaniques. Une terre fantasmée en somme, ce que ne nie pas l’organisateur principal, pour l’association L'Air des Balkans, Florian Calvez : « La Tziganie est un pays imaginaire dans lequel les Tziganes prennent la parole, présentent les différentes facettes de leurs cultures, et font tourner les têtes à l'aide de leurs instruments... Cela passe par la présentation de leur musique, artisanat, traditions, mais aussi par les combats menés pour le respect de ces cultures et l’amélioration du bien vivre ensemble ». Pour Ekrem Mamutović, rom de Serbie et fameux trompettiste de la fanfare éponyme invitée au festival, l’imitation est plutôt réussie « les couleurs, la décoration, tout cela m’évoque la culture tzigane traditionnelle oui, mais pas vraiment la culture contemporaine, disons que j’ai rien de tout ça chez moi ! ».
Ekrem Mamutovic Orkestar pendant l'édition 2015 de Welcome in Tziganie.
Au-delà du décor, s’affiche en tout cas une vraie volonté d’aller à la rencontre des populations roms, nomades et tziganes. Sous un deuxième chapiteau, plusieurs associations et invités issus des cultures roms et tziganes se rassemblent dans le village culturel. On y trouve Françoise Gaspard, la « Dame du voyage » qui a consigné ses pensées et son parcours en roulotte dans un ouvrage paru récemment, ou encore Esmeralda Romanez, écrivain et présidente de la Fédération Européenne des femmes Roms et voyageuses (et de l’AMIDT, association de la mémoire de l’internement et déportation tziganes). Autres éléments bien tangibles pour sortir de la fiction musico-décorative : les cours de langue romani, les ateliers et les tables-rondes. Arlette, 64 ans, a choisi la table-ronde sur la langue romani. Elle habite à 300 m du festival, et en profite bien : « On avait un peu peur au début que ça soit légèrement le bizarre, confie-t-elle. C’est pas tous les jours que Seissan accueille autant de monde ! »
Du fantasme au réel
Si les locaux applaudissent des deux mains la tenue festival, la tranche d’âge d’Arlette est nettement minoritaire. Le public qui affectionne la Tziganie gersoise est avant tout gadjo, jeune (moins de 30 ans), et résolument baba cool. Étranger aussi, comme Víctor 23 ans qui a fait le déplacement depuis Barcelone : « Je trouve le festival vraiment bien organisé, je connaissais très peu de choses sur les Roms, j’ai compris qu’ils venaient d’Inde à l’origine. Même si j’en ai pas vu beaucoup au festival, ça m’a donné envie d’en savoir plus sur eux ».
Le basculement du pays fantasmé au pays réel a pourtant bien eu lieu. D’abord, certains tenanciers de stands étaient roms - comme cette famille roumaine qui proposait des barbes à papa. Puis, des Roms présents parmi les festivaliers ont notamment fait irruption après le concert d’Ekrem Mamutović, le samedi. C’est le cas de Cassana, Rom du Kosovo qui s’exprime en français avec l’accent gersois et vit de la vente de voitures à Auch depuis dix ans. « J’ai grandi avec cette musique, mon oncle est violoncelliste », témoigne-t-il, visiblement ému. Pour Florian Calvez, la démarche est volontaire : « C'est essentiel que les Roms viennent et participent au festival, pour arriver à cette mixité sociale que nous voulons dans nos événements ! »
Une mixité que salue Slavka Radenez, rom bulgare de 31 ans. Intervenant lors des tables ronde, cette diplômée de l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales, ndlr) a été médiatrice scolaire auprès des populations roms en France. « Bien sûr il y a du folklore à Seissan mais il y a aussi de vraies rencontres », affirme-t-elle. Quant au concept de tziganie lui-même, l’experte relève une différence fondamentale entre Europe centre-orientale et Europe occidentale : « Chez nous en Bulgarie, ce serait difficile d’utiliser le mot “Tzigania” : trop connoté négativement. En France c’est le contraire, il renvoie à un imaginaire “bohémien” positif. Par contre, le terme Rom renverrait au fait divers négatif en France…»
La vraie Tziganie ? « Assez rude »
Pour Florian, le festival sert aussi une visée touristique. « J'étais passionné par les musiques tziganes et balkaniques et j'avais un projet d'étude au cours de mon BTS Tourisme à créer à 2008 : j'ai alors lancé le festival. Nous habitons ce magnifique département du Gers, peu pourvu en manifestations culturelles au début du printemps. Depuis, on continue à faire découvrir les musiques et cultures tziganes au grand public. » La volonté de la mairie de Seissan d’accueillir des festivaliers est bien réelle par la mise à disposition gratuite du camping municipal. En revanche, l’accueil des gens du voyage semble nettement moins cordial, comme l’indique un panneau d’interdiction du séjour en bordure du village… Petit rappel à une réalité moins rose ? « Je dois dire que je préfère vivre un échange culturel pendant les 3 jours de festival plutôt que partager le quotidien de la vraie ‘Tziganie’ qui reste assez rude... », conclut Catherine, éducatrice 42 ans, une des 200 bénévoles impliqués dans le festival. Entre rêves et réalité, la neuvième édition est en tout cas déjà confirmée pour l’année prochaine.