Was'n dit!? High Noon
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Dans cette série de Babel Berlin, des allemands et d'autres européens berlinois se demandent réciproquement en bon dialecte Berlinois: "Was'n dit !?" („Mais ? C'est quoi ce truc !?") Ainsi découvrent-ils les grandes et petites curiosités de la ville et essayent de comprendre de quoi il en ressort. Depuis la création de « Was'n dit !?
» la tension au sein de la rédaction de Berlin Babel Blog a atteint un paroxysme sans précédents. L'atmosphère devient peu à peu insoutenable. On entendrait les mouches voler si les rédacteurs arrêtaient de se crêper le chignon à longueur de journée. En effet, dans cette rubrique, berlinois de toujours ou de longue date se confrontent aux nouveaux venus dans un duel verbal haut en couleur faisant pâlir d'effroi les personnages les plus virils des westerns spaghettis les plus mythiques...
Rendez-vous à l'heure de la sieste sur la grand-rue déserte, Colt à la ceinture, Santiags aux pieds, chique entre les dents et sueur dégoulinant sous le soleil de plomb. On va finalement en découdre et mettre les point sur les 'i' à base de six-coups et de Winchester. John Wayne n'a qu'à bien se tenir.
La dernière fois c'était le célèbre Karsten Eastwood, le bandolero le plus rapide de tout l'Est de la Spree qui me défiait en duel. Mon sang ne fit qu'un tour, il fallait garder la tête froide, la sienne étant déjà mise à prix dans plus de huit états fédéraux. Mais même le shérif faisait cette fois la sourde oreille.
Karsten ignora délibérément la traditionnelle série d'insultes envers ma génitrice pour décocher directement une balle de 8mm à bout portant là où ça fait mal :
« Les nouveaux babeliens berlinois ne sont que des girouettes schizophrènes. Ils encensent l'ordre et l'efficacité des allemands, mais ils viennent ensuite s'installer, ici, dans l'Est où tout est un peu plus sale, en désordre et aventureux que dans l'Ouest. Ensuite vous osez nous dire ennuyeux et non spontané, mais les meilleures fêtes, les bars d’avant-garde, les artistes et les squatts les plus fous, c'est bien à l'Est de la Spree qu'ils se trouvent... Alors, que veux-tu donc jeune blanc-bec? ... Ton arrogance ne me fait en réalité que doucement sourire... »
Les temps sont durs à Berlin City.
Se sentir pionnier à Berlin-City
Ce desperado savait s'exprimer, si je ne me ressaisissais pas, la situation allait devenir critique. Mais que faire ? Mon regard se porta alors au loin, là où se trouve la tour centrale du télégraphe et l'inspiration me vînt :
« C'est bien vrai, Eastwood. Quand nous arrivons à Berlin-City après avoir traversé les longues plaines, nous avons tous l'âme de pionniers et croyons découvrir l'Eldorado. Tout sera ici plus facile pensons-nous, les problèmes de la vie quotidienne disparaîtront, le blé poussera à foison, il ne nous faudra qu'attendre les moissons pour en profiter. Comme des chercheurs d'or du Klondike, nous courons enivrés vers tout ce qui nous apporte plaisir et surprise… »
« Car les lumières de la ville nous éblouissent, Eastwood, et la folie de la fête nous fait perdre raison. Nous recherchons ce qui semble intrigant et qui cache un mystère, voilà pourquoi nous nous retrouvons dans l'Est, là où le shérif semble plus compréhensif avec les sauvageons que nous sommes... »
« Mais cette ivresse des premiers instants peut se révéler n'être qu'un mirage laissant place à une amère déception. Au fond, cet Eldorado que nous croyions être si différents, porteur d'une spiritualité et d'une vérité différente, est en fait peuplé d'hommes tout comme nous, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs qualités et leurs défauts. Nous leurs faisons alors des reproches car ils ne sont pas tels que nous les avons imaginés, tout comme il arrive parfois dans une histoire d'amour précipitée que l'on idéalise sa bien-aimée. Mais suite à ce désenchantement nous revenons à la raison et apprenons à connaître et à aimer les autochtones tels qu'ils sont et non tels que nous voudrions qu'ils soient... et c'est bien pour cela que nous trouvons notre place ici et que nous restons, car nous aimons cette ville et même si parfois nous l'oublions, cette ville nous aime aussi. Berlin-City a bien plus à nous offrir que tout ce que nous avons à lui donner. »
Le visage de Karsten Eastwood changea alors d'expression, les sourcils froncés se détendirent, le regard d'acier se relâcha et une larme coula lentement le long de sa joue pour aller s'écraser sur la poussière de la grand-rue. Comme un seul homme nous lâchâmes nos Colts et nous nous jetâmes fraternellement dans les bras l'un de l'autre. Nous passâmes le reste de la journée au saloon d'à côté à vider des shots de whisky écossais et à fumer de gros cigares cubains tout en rigolant comme des amis de vingt ans.
La nuit tomba lentement, le saloon se vida peu à peu, mais nous étions toujours là à refaire le monde. C'est alors que j'osai finalement lui poser la question fatidique:
« –Euh, dis-moi Karsten, il y a quelque chose qui me turlupine depuis quelques temps déjà. Tu vois comment sont faites les toilettes allemandes, avec la sorte de plate-forme qui fait que tes excréments ne tombent dans l'eau que quand tu tires la chasse ? –Oui et alors ? –Ben, je trouve ca un peu dégueulasse, c'est vraiment bizarre, was'n dit !? –Quoi ?! Qu'est ce que c'est que ça ?! Tu ne respectes pas nos coutumes ?! Viens sur la grand-rue, on va régler ça tout de suite si t'es un homme !»
Le problème sera réglé d’homme à homme ou de femme à homme. Vous pouvez en avoir le cœur net, chers lecteurs. Ndlr