Voyage : la tranquille traversée de Noirlac
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Cette abbaye cistercienne, nichée au centre de la France et au milieu des bocages, accueille quelques camping-cars et des touristes européens amateurs d’art, d’architecture… et de musique. Bienvenue à la fraîche, sous les ogives.
Assis sous un arbre à la terrasse de la petite auberge discrète et accueillante qui fait face à l’Abbaye, il ne faut pas attendre longtemps pour lier connaissance. Ici, tout prête à l’échange, à la convivialité, même à la solitude, si tel est votre souhait. On ne viendra pas pour autant troubler votre quiétude. L’endroit invite à l’apaisement. Pas de stress, ni de gesticulations inutiles, de circulation trépidante et désordonnée. Pas de ces marchands de pacotilles aux aguets dès qu’il y a trois pierres à visiter, ni de calicots criards devant lesquels ordinairement s’agglutinent des hordes de touristes fatigués qui braillent en se trainant. Un peu plus loin, vers le nord, sur le territoire de la commune de Bruère-Allichamps dont fait partie l’Abbaye, une borne milliaire d’origine romaine indique que nous nous trouvons au centre historique de la France… et de l’Europe ?
« Tu viens souvent dans le coin ? », me demande Laura, une Italienne de 20 ans, qui entamera à la rentrée prochaine une seconde année d’histoire de l’art à Paris et profite du répit qu’offre la période estivale pour améliorer sa pratique de la langue française qu’elle « vénère ». « Plusieurs fois par semaine », je réponds. Face à sa surprise, je m’empresse de préciser aussitôt qu’en fait j’habite à côté. « Quelle chance ! », s’exclame Irène une Franco-norvégienne qui partage avec son amie italienne un appartement. Elle aime Paris, « mais les grandes villes, c’est un peu fatiguant ! », soupire-t-elle pendant que, de son côté Laura zoome un petit coup sur ce paysage de bocage, de foins coupés et de bois à la fraicheur profonde qui s’étend autour de nous en descendant patiemment des collines autrefois infestées de loups et de brigands avant que les moines les défrichent vers les rives sablonneuses du Cher qui somnole alangui dans sa nonchalance ligérienne… Sur la propriété, les arbres aux déhanchements presque spectaculairement baroques ponctuent comme un contrepoint la sévérité majestueuse des bâtiments médiévaux construits à partir de 1150.
Passerelles musicales
Que l’on soit promeneur, touriste ou pèlerin d’un genre nouveau, l’Abbaye de Noirlac possède toutes les qualités requises pour incarner le havre de paix et de clarté idéal à tous ceux qui souhaitent se ressourcer un instant à la croisée des chemins. Raison de plus quand il s’y produit quelque chose d’un peu rare et c’est souvent le cas. Comme en ce mois de juillet déjà si chaud où, pendant deux longs week-ends (du 10 au 20 juillet), vont se tenir, pour la première fois, du moins dans leur nouvelle formule, les « Rencontres musicales » annuelles qui se déroulent dans ce haut lieu de l’architecture cistercienne depuis environ un quart de siècle.
« On a vu qu’il y avait une grande quantité de gites ruraux et de chambres d’hôtes dans le coin… sans se ruiner »
Philippe Fournier, musicologue et directeur de l’Abbaye de Noirlac qui est intégrée au réseau européen des centres culturels de rencontres, a confié le soin à Philippe Nahon (directeur musical de l’ensemble Ars Nova) de superviser le programme et l’organisation musicale de la saison. Les musiques sacrées et profanes y côtoient les œuvres contemporaines comme celles du Libanais Zad Moultaka. Pour le directeur du festival, le point fort et porteur de sens est de créer des passerelles entre des esthétiques musicales que rien, apparemment, ne relie d’emblée d’où le nom de « Traversées » pour désigner ce rendez-vous de musiques savantes, originales et mélangées.
Sous les ogives
Laura, l’architecture, « ça lui parle ». Elle vient de Vicenza. Et je ne peux m’empêcher de m’exclamer : « Palladio ! » Voilà pourquoi, elle semblait si dépitée tout à l’heure quand nous parlions du gothique. Elle le voyait plus sombre et plus confus. Elle semble même surprise que ce style apparaisse si tôt dans l’Histoire. Je lui fais remarquer que les Cisterciens sont pour quelque chose dans l’éclosion du gothique primitif, avec leur volonté de célébrer Dieu par l’élan qu’implique la voûte ogivale, mais aussi par souci d’économie étant donné que les voûtes romanes de plus en plus complexes supposaient un coût de consolidation et de maçonnerie trop élevé. Nous concluons que les deux styles naviguent en parallèle, que tout n’est jamais aussi tranché, et qu’en architecture comme en musique, il faut aussi savoir construire des passerelles.
Ces deux grandes mordues de la musique qui se proclament « Baroqueuses », se disent séduites par le programme tout en reconnaissant reconnaître que les prix sont abordables et les formules diversifiées. Il n’est même pas impossible qu’elles reviennent d’ici une semaine ou deux. « On a vu qu’il y avait une grande quantité de gites ruraux et de chambres d’hôtes dans le coin, les pieds dans l’eau… sans se ruiner », conclut Irène.