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« Vovis » contre « gorillas » : le match de la précarité à Séville

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Société

Placer les voitures dans les parkings contre une petite pièce… Cette mendicité maquillée, qui permet aux plus pauvres de se faire quelques centaines d'euros par mois, se développe à grande échelle dans la capitale andalouse et pose quelques problèmes aux autorités.

« A droite, garez vous à droite, il y a de la place ! » Chemise bleue et carnet de tickets sous le bras, M. est le roi de la zone de parking qui longe le théâtre de Séville. Sa zone. Habitué de l'endroit, il reconnaît les riverains, salue les têtes familières, oriente les nouveaux venus, moyennant quelques centimes d'euros. Ni policier ni employé par la ville, le jeune homme est un « Vovis », comprenez « vigiles volontaires », sans emplois pour la plupart, et dont la principale source de revenus provient de ce « travail » chapeauté par l’association locale APM 40. Spécialisée dans l'intégration  de groupes sociaux désavantagés, l'association est autorisée par la mairie à laisser ses membres réguler une partie des places de stationnement de Séville. Un business, sinon lucratif, du moins très prisé dans la région.

Car si on connait Séville pour sa cathédrale, ses oranges et sa Semaine sainte, impossible d'ignorer l'autre visage de la ville, celui de la précarité, endémique et récurrente, étalée par toute une frange de la population, à la limite de la marginalité et souvent sans ressources autres que celle que leur donne la rue et surtout... les zones de stationnement. Mais si certains, comme M. et ses compères Vovis de l'association APM 40, y sont autorisés, c'est loin d'être le cas de tous. « Et c'est bien là le problème », explique Diego Jimenez, chargé de communication à la mairie de la ville.

Des casquettes très locales

Car Séville est aussi célèbre pour ses hordes de « gorrillas » (le surnom vient de la « gorras », la casquette que la plupart portent pour se donner davantage de crédibilité), sans papiers, drogués, immigrés et autres exclus de la société, qui sévissent eux aussi dans toutes les zones de parkings pour « aider » l'heureux automobiliste à trouver une place. Le tout dans l'illégalité la plus totale et moyennant contribution, pas forcément volontaire d'ailleurs, pour le service rendu, souligne encore Diego Jimenez. Comme ce jeune Sénégalais, aperçu sur un parking de la périphérie de la ville alors qu'il encourageait, casquette un brin crasseuse vissée sur la tête et à grand renfort de moulinets du bras, un véhicule à se garer sur une place un poil trop étroite et vraisemblablement interdite. Très répandu dans le Sud de l'Espagne, à Madrid ou Valence, le phénomène « gorrillas » est donc devenu une des tristes spécialités de Séville.

« On les remet sur des rails en leur permettant de gagner un peu d'argent contre services rendus »

Entre racket déguisé et mendicité améliorée, il s’agit là d’un dossier délicat et douloureux que la capitale de l'Andalousie a bien du mal à gérer, et ce, d'autant plus que les individus concernés sont fort difficiles à recenser. Au grand damne des riverains et de particuliers, premières victimes des hordes de « gorrillas » qui s'abattent sur les quartiers de la ville au quotidien. A coup de mesures coercitives plus ou moins efficaces, elle tente tant bien que mal de juguler une situation qui lui échappe. La dernière en date, cet arrêté municipal qui met à l’amende tout « gorrilla » surpris par la police en flagrant délit. Le montant : 120 euros. La somme est conséquente. A se demander lequel de ces « gorrillas » sans le sous est en mesure de payer…

Vigiles volontaires

Ainsi, point de hasard si la mairie a décidé d'encourager et de s’appuyer sur l'action des Vigiles volontaires, mieux connus sous le nom de Vovis, d’APM 40 (Association pour les plus de 40 ans). Créée en 1994 pour venir en aide aux individus socialement désavantagés et plus particulièrement aux chômeurs de plus de 40 ans, d’où son nom, alors que l’Espagne était en proie à une crise économique d’importance, APM40 continue depuis « à accompagner les plus démunis, ceux qui n’ont pas d’emploi et n’ont droit à rien », comme l’explique Rafael Esprajoso Espinola, superviseur de l’association. Afin d’éviter qu’ils tombent dans la marginalité la plus totale, « on les encadre et les suit psychologiquement, on les forme et surtout, on les remet sur des rails en leur permettant de gagner un peu d'argent contre services rendus. »

Et pour ce faire, pourquoi ne pas leur confier la responsabilité des zones de stationnement de la ville, celles-là même que les « gorrillas » prennent d’assaut ? Avec les années, les Vovis, dont le nom est aussi un clin d’œil aux « bobbies » britanniques, sont donc devenus le bras non armé de Séville, officieusement chargés de « nettoyer » la capitale de l'Andalousie de ces gardiens de parkings illégaux, un brin belliqueux et si peu appréciés. Et encore mieux si, par la même occasion, on arrive à convaincre les « gorrillas » en question de troquer leur casquette contre une chemise bleue et un carnet de tickets aux couleurs de l’association.

Tenir le coup

Le jeune M. rencontré aux abords du théâtre de la ville fait partie de ceux là. « Gorrilla » hier, il est Vovis depuis deux mois, uniforme sur le dos, sifflet au bec. Ras-le-bol de jouer à cache-cache avec la police pour éviter l'amende, marre d'être du mauvais côté de la barrière. Tout ça ne lui rapporte guère « plus de 200 ou 300 euros par mois ». Comme les autres Vovis, il n'est pas employé par l'association et n'a pour seul salaire que ce que les usagers veulent bien lui donner. D'autant que si le ticket d’entrée est fixé à 60 centimes d’euros, la moitié doit être reversée par la suite à APM40, qui utilise ces gains pour couvrir ses frais de fonctionnement. Quelques centaines d'euros par mois, c'est peu, mais « c'est toujours mieux que rien », glisse Gaïdz, un jeune Albanais de 30 ans venu en Espagne il y quatre ans en quête du rêve européen. Joaillier, spécialiste du travail de l’or, il cumule les petits boulots temporaires et tente de joindre les deux bouts. Ce travail de Vovis dans les parkings, c’est une manière de « tenir le coup », de ne pas « tomber complètement ». Pour Gabriel, 80 ans sonnés et « une retraite tellement minuscule » qu'il ne préfère pas en parler, c'est la seule façon d'arriver à payer son loyer. « Cela fait belle lurette que je serais dans la rue sinon », ajoute t-il.

Avec la crise, souligne encore Rafael Esprajoso Espinola, « ils sont beaucoup aujourd'hui à venir frapper à la porte de l'association », qui gère quelques 300 volontaires. De plus en plus de jeunes, ce qui explique qu'APM 40 se soit ouvert aux moins de 40 ans, et de plus en plus d'étrangers (environ 30 % des effectifs). « Tous en situation légale », précise toutefois le superviseur de l'association. Et la liste d'attente est longue, car « on ne peut pas placer les volontaires n'importe où ! Et puis nous ne pouvons travailler que sur les zones bleues, celles autorisées par la mairie. » Quant aux autres… ils sont contraints de garder leur casquette de « gorrillas » sur la tête.

La mairie y travaille

Car si la situation s'est un petit peu améliorée, elle est loin d'être réglée. Dans certaines zones de Séville, les « gorrillas » continuent d'affluer, Vovis ou pas. L'association de défense des consommateurs sévillane enregistre tous les jours plus de plaintes de riverains excédés. Sur Internet, les usagers déchargent quotidiennement leur frustration. Résultat, les regroupements citoyens comme celui de Bami Unido (association des voisins du quartier de Bami, particulièrement touchée par le phénomène) bourgeonnent, réclament des mesures à corps et cris et finissent par questionner l'action des Vovis. Preuve que si l'initiative a démontré son utilité, elle ne fait pas l'unanimité, et pour cause. En dépit de l'intérêt porté par d'autres villes espagnoles qui ont exporté le modèle ou même de la Commission européenne, qui dès 1997 avait commencé à analyser l’exportation de la chose à d'autres pays de l'UE, le cadre juridique dans lequel œuvrent les Vovis reste flou. Autorisée, leur présence n'est toujours pas légalisée, même si « la mairie y travaille », selon Diego Jimenez. Un manque de clarté qui attise le ressentiment des automobilistes, souvent agacés d'être contraints de payer pour des places de parkings officiellement libres et gratuites... Tout un débat. Mais comme le souffle Maria en glissant une pièce dans la main du jeune homme qui vient de l'aider à se garer, « le Vovis n'est pas une solution, c'est juste un moindre mal ».

Merci à Clara Fajardo de l'équipe de cafebabel.com à Séville.