Vous avez dit précaire ?
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Après les « travailleurs pauvres» et les « intellos précaires », la précarité s’attaque aux jeunes. La faute entre autres, à une flexibilité mal maîtrisée.
La « génération précarité » se fait peu d’illusions sur son avenir. Aujourd’hui un diplôme de 3è cycle ne garantit plus un accès à un emploi stable et les vraies galères commencent à la sortie du cocon universitaire : difficile de trouver un logement, contracter un crédit ou fonder une famille, quand on aligne les contrats sans stabilité de revenu.
L’inquiétante explosion du chômage des jeunes
L’emploi des jeunes dépend certes du taux d’emploi global. En cette période de morosité économique, on ne peut s’attendre à des miracles. Alors que près de 9% de la population active des 25 était en 2004 sans travail, les pays les plus durement frappés sont la Pologne (18,8 %), la Slovaquie (18 %), la Grèce ou l’Allemagne. Mais les jeunes sont les premiers à pâtir de cette récession économique avec un taux de chômage parfois multiplié par deux par rapport à celui des adultes. En France, près de 25 % des moins de 25 ans sont sans emploi. Dans l'Union européenne et particulièrement en Italie ou en Finlande, le nombre de travailleurs au chômage est généralement plus élevé dans la tranche des 15-24 ans que dans celle de leurs aînés. Et ce, alors qu’ils ne représentent que 15% de la population européenne.
Augmentation du niveau d’études oblige, la compétition sur le marché du travail s’est accrue. C’est désormais à qui offrira le plus de compétences pour les salaires les plus bas. Á cette surenchère à la baisse, s’ajoute le principe vicieux du « dernier arrivé, premier à partir ». Un bon indicateur consiste à comparer le temps de transition entre la scolarité et l’emploi : en France par exemple, selon une étude de l’APEC seuls 50% des diplômés Bac + 5 en 2003 avaient trouvé un emploi un an plus tard en juin 2004, toutes filières confondues.
La mosaïque des emplois précaires
Autre facteur de cette précarité galopante, la frontière entre emploi stable et emploi précaire devient de plus en plus floue. « Contrats nouvelle embauche » en France, « Co-pro » (Contratti per un progetto) en Italie, « Contrats activés » en Belgique, tous ces noms, synonymes d’emplois instables, révèlent des statuts et réalités bien différentes. L’Institut National de la Statistique (INSEE) recense qu’entre 1990 et 2000, en France, alors que les emplois stables n’ont augmenté que d’à peine 2%, l’intérim a explosé de 130%, les stages et contrats aidés de 65% et les CDD de 60%. En Europe, 17,9% des Européens travaillant à temps partiel - 6,2% d'hommes et 33,4% de femmes - et 13,4% ont des contrats à durée déterminée. Les emplois à temps complet représentent toutefois presque 75% des emplois nets créés (contre 70% en 2000) sur le continent.
La flexibilité a toujours été considérée par Bruxelles comme susceptible de favoriser la création de postes. Modèle extrême, la Grande-Bretagne où, avec un taux de chomage très faible de 4, 7 %, les emplois se trouvent facilement et se perdent sans façons. Une semaine de préavis suffit ainsi à l’employeur pour mettre fin à un contrat. Cette souplesse dans la législation a notamment été préconisée par l’Union lors du Conseil européen de Lisbonne en 2000, définissant une stratégie globale de lutte contre le chômage. Si cette logique de flexibilité s’inspire du modèle danois de « flex-sécurité », elle oublient trop souvent le deuxième volet dudit système : la sécurité.
Aujourd'hui, jusqu'à un quart de tous les travailleurs à temps plein et plus de deux tiers des personnes ayant un emploi à temps partiel non choisi sont considérés comme détenteurs d’un « emploi de faible qualité ». Une catégorie qui, selon les critères de Lisbonne, n'offre aucun des éléments suivants: sécurité de l'emploi, accès à une formation, perspectives de carrière. Ce type d’activité connait actuellement une surréprésentation des jeunes (restauration rapide, télétravail, prestataires de services). Le dialogue social y est moins développé et les conditions de travail peu réglementées.
La flexibilité, piège ou tremplin ?
Si tous, Union européenne en tête, reconnaissent la nécessité d’améliorer la qualité de l’emploi, on observe une relation très ambiguë à la flexibilité : exploitation pour certains, liberté pour d’autres qui rêvent d’un mode de vie nomade. Tout le monde n’aspire pas à l’emploi à vie et les itinéraires de vie sont de moins en moins linéaires. Les contrats temporaires permettent à des jeunes de s’assurer facilement un revenu minimum et d’acquérir une expérience professionnelle, tandis qu’il offre aux entreprises plus de souplesse pour s'adapter aux aléas de la conjoncture économique. Le problème se pose quand l’emploi temporaire devient permanent et structurel, c'est-à-dire quand on lui fait supporter le risque de l’emploi et qu’il devient un instrument d’exclusion.
Ces tableaux très contrastés soulignent l’absence d’harmonisation en Europe, malgré la formulation d’une Stratégie Européenne pour l’Emploi (SEE). L’emploi et le social demeurent des prérogatives nationales et les Etats-membres sont libres de suivre ou non les directives du Fonds Social Européen (FSE). Une avancée toutefois : on dialogue de plus en plus. Le conseil de mars 2005 a ainsi adopté un « Pacte européen pour la jeunesse » et fin 2005 seront organisés les États généraux de la jeunesse. Tout un programme qui, s’il ne se limite pas aux belles paroles, peut constituer un premier pas vers une prise de conscience.