Volontourisme : l'humanitaire à terre
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Sauver le monde, vivre une expérience forte et enrichir son CV. Jouant sur les aspirations complexes des jeunes, certaines organisations ont vite compris que l’humanitaire était un marché formidable. Ou comment un projet altruiste peut se transformer en un business qui profite à tout le monde. Sauf aux communautés locales.
« Le Pérou figure parmi les pays les plus pauvres du continent sud-américain. [...] Avec plus d’une personne sur dix sous-alimentée, un taux d’analphabétisation de 9,5% et un taux de mortalité infantile de plus de 30%, les besoins sont nombreux et l’aide de nos volontaires particulièrement appréciée. Votre séjour sera également l’occasion de découvrir la culture fascinante de ce pays mêlant des origines indiennes et métisses, les richesses historiques précolombiennes de la Vallée sacrée et une nature à couper le souffle ».
Résoudre en 3 semaines la pauvreté d’un pays d’Amérique du Sud, arborer un t-shirt « Volunteer », mais aussi danser la salsa et naviguer sur le lac Titicaca ? Bonne nouvelle, la formule existe. Projects Abroad la propose pour environ 3 000 €, hors billets d’avion.
Depuis 1992, l’organisation a envoyé près de 10 000 personnes sur les cinq continents. Soit une trentaine de pays, en développement pour la plupart. De nombreuses « destinations » sont ainsi affichées par le site, accompagnées d’images séduisantes : Costa Rica, Bolivie, Sénégal, Madagascar, Cambodge, Fidji... Grâce à un réseau local bien implanté, Projects Abroad peut vous faire partir toute l’année, pour n’importe quelle mission. Construire une bibliothèque, donner des cours dans un orphelinat ou plus sérieusement défendre les droits de l’Homme ou pratiquer la médecine dentaire, peu importe votre niveau de compétences : l’essentiel est la motivation. Vous gagnerez en expérience sur le terrain, avec les autochtones qui bénéficieront au passage de votre expertise.
Maçonnerie et safari
Quoi de plus généreux que d’aller dans un pays en développement et donner gratuitement son temps ? En pratique, de nombreux jeunes de bonne volonté vont tomber dans le piège. Déchirés entre le désir d’une expérience hors du commun, l’envie de voyager et un altruisme naturel, ils vont payer pour un projet qui propose tout cela à la fois. « Avec Projects Abroad, on a affaire à une organisation qui ne dit pas son nom. Elle fait rêver les jeunes et joue sur le flou : organisation non politique, ONG, humanitaire... en réalité, c’est une entreprise. Et vous êtes un client » éclaire Pierre de Hanscutter, directeur de Service Volontaire International à Bruxelles. « Le prix rassure les candidats, et leurs parents aussi. Ils ont l’impression d’avoir affaire à quelque chose de sérieux, un gage de qualité ».
Que se passe-t-il une fois sur place ? L’argent déboursé ne finance à peu près rien du projet associatif ou local. Contactée, l’organisation brouille les pistes : frais d’organisation, rémunération de l’équipe de support… Une chose est sûre, les volontaires sont logés et travaillent. Mais les points de vue varient. Amy*, future institutrice, est revenue enthousiaste de sa mission d’enseignement d’anglais au Pérou : « Ce pays a été mon Eldorado pendant deux mois. Je souhaitais obtenir de l'expérience, qui me permettait d'acquérir des compétences qui ne peuvent se transmettre sur des "bancs d'école". [...] Je suis repartie avec de la grammaire et du vocabulaire très basique au travers d'activités et de jeux. Il faut d'ailleurs toujours faire preuve de créativité pour capter leur attention ! ». Pippa, une jeune américaine passionnée de voyages, raconte ses deux semaines en Tanzanie sous un angle particulier : « Le but de notre voyage était de construire une bibliothèque. Mais nous avions une totale ignorance des rudiments de la construction. Alors chaque nuit des ouvriers enlevaient nos briques et recommençaient le travail. Le matin, nous ne rendions compte de rien. La seconde semaine, nous sommes parties en Safari ».
Project Abroad, vous montre comment ça marche au juste.
Pippa touche du doigt le premier problème posé par de nombreux volontaires : leur incompétence. Elle se sent gênée : « Nous importons nos jeunes peu formés pour qu’ils progressent sur place. Tout est conçu pour eux ». Une marque de fabrique dont se targue Projects Abroad, mais qui peut avoir des conséquences graves : « on a des personnes en première année de médecine qui vont là-bas pour gagner de l’expérience. Des accouchements, des points de suture sont effectués par des personnes totalement novices ! Dans quel pays d’Europe permettrait-on cela ? » réagit Pierre de Hanscutter. Mais pour le volontaire, c’est une expérience valorisante sur le CV.
Même compétents, la seule présence de volontaires peut avoir des conséquences sur l’emploi local. Pippa s’interroge : « Si une école peut obtenir des étrangers bénévoles comme enseignants, quel intérêt pour elle de former et d’engager des professeurs locaux ? Généralisé, ce système a un impact fort sur la croissance et l’indépendance des communautés dans lesquelles les volontaires travaillent ». Tout le contraire du projet initial donc. Un fonctionnement qui perturbe aussi les élèves, qui voient des volontaires se succéder dans leur classe semaine après semaine. Avec la nécessité de s’adapter chaque fois à une personnalité et un programme différent.
Vouloir aider ne suffit donc pas. « Avec les meilleures intentions du monde, on fait du mal. Beaucoup de jeunes veulent quelque chose de cool, hors des sentiers battus. Ils ne se rendent pas compte qu’ils transforment le projet de volontariat en zoo » analyse Pierre de Hanscutter. Formé des mots « volontaire » et « tourisme », le terme « volontourisme » englobe des situations fort différentes, du jeune ingénu au futur professionnel en passant par l’aventurier en quête d’une expérience forte. Mais toutes caractérisées par une mauvaise compréhension du volontariat et un impact néfaste sur la société locale.
Agir sur la durée
Un « bon » volontariat existe-il alors ? « Il ne faut pas avoir le fantasme du volontariat trop loin, trop vite. Il faut procéder par étapes. De nombreux chantiers de jeunes de 2 ou 3 semaines existent en France. Vous êtes bénévoles et rencontrez des personnes d’horizons différents, avec un impact sur le long-terme » explique Frédérique Williame de France Volontaires. Aider les jeunes à avoir les pieds sur terre, c’est le but de Service Volontaire International pour son directeur : « Un projet réussi, c’est agir dans la durée. Avoir compris quelque chose et au retour, agir chez soi. C’est un outil citoyen, avec une finalité. Il faut se poser les bonnes questions, accepter de prendre du recul ». Et donc éviter les offres trop alléchantes. Mais même sans être volontaire, un simple voyageur peut faire beaucoup : « si vous vous demandez comment faire pour aider, consommez local : logez chez l’habitant ou à l’hôtel, déjeunez au restaurant du coin, achetez aux petits commerces. Ainsi, vous mettez de l’argent dans l’économie locale. Vous donnez la capacité à la communauté de croître et de se développer à sa manière », conclut Pippa.
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* Le prénom a été modifié
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