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Viola Carofalo : l'Italie insoumise

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RawRome

Elle vient de l’Italie du sud, celle qui trime et voit ses jeunes s'en aller. Activiste auprès de centres sociaux, tête de liste de Potere al Popolo (Pouvoir au peuple), elle rêve de faire partie du Parlement italien après les élections du 4 mars dans la Botte. Mais Viola Carofalo est surtout leader insoumise que la gauche italienne attendait depuis longtemps. Portrait.

On la voit parler de mutualisme comme d'une révolution, elle remplit les salles de meeting avec des discours au ton enflammé, sans jamais avoir besoin d'hurler pour autant. Elle se place à la tête de collectifs populaires très disparates présents dans toute l’Italie ainsi qu'au prime-time des émissions TV, sur le pied de guerre en pleine période électorale. Alors que certains s’affrontent sur des questions idéologiques, elle ramène toujours le débat sur l’égalité et l’état social. En cas de force majeure, on la voit aussi quitter les plateaux télés, en laissant symboliquement la constitution italienne sur le siège. Viola Carofalo possède ce mordant qui fait forte impression. L'impression que la liste Potere al Popolo (Pouvoir au peuple, PaP) va obtenir les 3% cénessaires pour s'asseoir ainsi sur les bancs du Parlement italien, après les élections legislatives de dimanche prochain. Elle-même se qualifie de « dure à cuire », et pense à cette longue bataille comme le début d’un changement. Nous l’avons rencontrée à Rome pour voir jusqu'où tout ceci pouvait aller.

Gardien de la galaxie de gauche

Le rendez-vous est donné près de la Gare Tiburtina, à l'adresse d'un des sièges de PaP. Débarquée en train depuis Naples, Viola Carofalo a rejoint la capitale pour apporter un peu de soutien aux militants. Le siège du mouvement est dépouillé, mais une grande banderole est accrochée aux murs avec l’inscription en lettres rouges : « Dans le monde il existe deux catégories : ceux qui exploitent et ceux qui sont exploités ». Elle rebondit : « Cet écrit me parle. Il y a en effet deux choses pour lesquelles je me bats : l’antiracisme et la justice sociale ! ». Sa coupe de cheveux géométrique, avec sa petite frange brune sur le front - lui donne un air un peu austère. Mais son regard s’illumine lorsqu’elle commence à aborder la naissance de Pouvoir au peuple.

D'abord, il s'agit d'un projet de gauche radicale, électoral. Il est né en décembre dernier, quelques mois avant l’ouverture d'élections organisées suite à l’appel du centre social napolitain et ancien hôpital psychiatrique : « Je So' Pazz » (Je suis fou, ndlr). Ce qui semblait effectivement être un coup de folie a vite tourné au coup tout court. L'initiative acquiert un succès innatendu : des centaines de réunions dans toute l’Italie, deux conférences très écoutées dans les théâtres romains et surtout une liste construite en partant de rien qui explose le plafond de signatures.

La liste nourrit vite une grande ambition : celle de passer la barrière des 3% afin de pouvoir rentrer au Parlement italien, comme le prévoit le Rosatellum, la nouvelle loi électorale italienne. Pendant ce temps-là, les partis de centre-gauche italien - exsangues et divisés - pourraient essuyer la pire défaite de leur histoire. En premier lieu ? Le Partito Democratico, dans le sillage de la chute de popularité de l'ancien premier minsitre Matteo Renzi - a consumé ses divorces. Le président du Sénat, Pietro Grasso et la présidente de la Chambre des députés, Laura Boldrini, sont allés former un nouveau parti, Liberi e Uguali (LeU ). Les sondages confèrent à la gauche un fort désavantage par rapport à la coalition du centre et de la droite - renaissant autour de la figure du vieux dirigeant Silvio Berlusconi - mais aussi par rapport au Mouvement 5 étoiles (M5s), qui devrait devenir le premier parti du pays.

PaP se place à la gauche du Parti Democrate. Il est aujourd'hui composé de partis comme Refondation Communiste, le Parti Communiste Italien, et d’initiatives comme Eurostop (eurosceptique, ndlr). Mais aussi de mouvements comme No Tav (qui milite contre la ligne de TGV Lyon Turin, ndlr), No Tap (un mouvement contre la construction d’un gazoduc trans-adriatique qui devait transporter du gaz de l'Azerbaïdjan à l'Italie, ndlr), et No Triv (mouvement contre les forages offshore, ndlr). « Tous ces "non", sont tous les "oui" de ma vie parce que suis pour la défense de l’environnement et pour la défense du droit de décider pour son territoire », commente Viola Carofalo, qui sillonne la Botte avec toutes les requêtes de ces groupes. En mettant un point d’honneur à se définir comme simple porte-parole d'un mouvement et non pas en tant que cheffe politique. « Ce discours vaut aussi bien pour Pouvoir au peuple, explique la chercheuse avec sa façon bien à elle de rouler les « r ». Nous sommes un mouvement qui a pour origine un collectif : il n’y a donc pas de culture du chef. Depuis mon plus jeune âge, je n’ai jamais fait partie de groupes organisés, mais je me suis toujours unie à des groupes en devenir, où personne ne doit prendre le dessus. Quand ce mécanisme hiérarchique se met en place, je mets tout en oeuvre pour l’arrêter. »

« J'aurais pu m'en aller, comme beaucoup de mes amis ont fait »

« J’ai été choisie comme leader parce que j’avais toutes les faiblesses : je suis une travailleuse précaire, je suis une femme et je viens du sud de l’Italie », déclame Viola Carofalo, avec une ironie amère. « Je porte ces trois caractéristiques avec beaucoup de rage. Venir du sud ne m’a pas facilité la vie. Un exemple quotidien : un de mes proches avait besoin de se faire opérer l'épaule. Il s'est donc rendu à un hôpital du sud, c’est une personne d’un certain âge, et elle a été laissée au service des urgences pendant plusieurs jours, l’opération n’était pas programmée… On a donc été obligé de se rendre dans le nord de l’Italie. C’est monnaie courante dans ma ville à Naples, c’est monnaie courante dans le sud, et c’est triste. C’est la raison qui me pousse à vouloir faire de la politique depuis toujours, d’être confrontée à ce genre de situations qui brûlent ! ». Les personnes qui collaborent avec elle la traitent comme une amie, comme une camarade de batailles. Les jeunes qui passent prendre des affiches et des tracts la saluent chaleureusement, en partageant le souvenir des initiatives et des manifestations communes.

Viola Carofalo vient d’une famille où la politique n'a jamais passé le seuil de la porte. Pourtant dès l'âge de 13 ans, la jeune collégienne s'y essaye déjà : les assemblées à l’école, les collectifs à l’université, et surtout, les expériences d'occupation. Aujourd'hui, à 37 ans, elle effectue un doctorat de recherche en philosophie moderne et contemporaine à l’université Federico II de Naples. « J’étais un peu rebelle à l’école quand j’étais petite, plaisante-elle. Je n’aimais pas le fait d’être obligée à lire et à étudier ». Ce n'est qu'après les études qu'elle trouve sa voie, à faire ce qui l’intéressait en restant paradoxalement dans un environnement universitaire. « Ce serait très héroïque de dire que je suis restée à Naples pour la révolutionner, mais ce n’est pas chose facile de changer Naples. C’est juste que j’aime être dans cette ville, j’aime ce que j’ai construit avec mes camarades. Si le travail m’y avait contrainte, j’aurais dû m’en aller comme beaucoup de mes amis ont fait. »

Rien que dans son groupe d'amis proches, 17 personnes ont émigré par nécessité professionnelle. « L’émigration est la vraie urgence qui nous anime aujourd’hui. Si tout le monde part, qui restera-t-il? Les gens les plus âgés... Ceux qui ont d’avantage d’énergie, aussi d’un point de vue générationnel, s’en vont. Et tout ceci a un coût social dont on ne parle jamais. On entend parfois dire qu’il s’agit de personnes qui vont se former à l’étranger pour le prestige, mais soyons honnêtes même les personnes diplômées en sont réduites à exercer le métier de serveur, pizzaïolo... Comprenons-nous bien, les pâtissiers font rarement des chercheurs au CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire, ndlr) ». Dans le parcours de Carofalo, il y a aussi « une part de chance » comme cette maison laissée par ses parents qui lui fait économiser de l’argent, sa réussite au concours de doctorat et sa passion pour l’ancien hôpital psychiatrique Je so' pazzo. Bref, la jeune politique est bien restée enracinée dans sa ville napolitaine.

Des tracts, Fiat et un asile de fous

On ne peut pas comprendre Viola Carofalo en profondeur sans parler de l’ancien hôpital psychiatrique occupé trois ans plus tôt à Naples et rebaptisé Je so’ pazzo, parce que c’est ici que tout a commencé. C'est ici qu'elle a investi tout son temps libre, toute son énergie au sein même - pour le dire crûment -  d'un ancien asile pour criminel, d'une prison, abandonnée pendant des années. « Quand nous y sommes entrés c’était un monstre, effroyable, raconte l'intéressée. Il y avait toutes les traces des visiteurs, des malades psychiatriques que nous avons voulu laisser. » On peut donc toujours trouver des inscriptions sur les murs, des lits avec des chaînes, quelques effets personnels, des chaussures, des cartes postales de personnes qui ont été enfermées ici pendant des décennies. « Des personnes que nous avons parfois connues, continue Carofalo. D'anciens internes sont venus voir ce qu’était devenu l’endroit. Et c’était très touchant pour eux comme pour nous. Nous fêterons nos trois ans au moment des élections, je ne sais pas si c’est un signe… » Comme tout Napolitain qui se respecte, la candidate est très superstitieuse.

Je so' pazzo, c'est aujourd'hui 9000 mètres carrés transformés en centre social autogéré qui organise 40 activités par semaine. On y trouve un terrain de foot, un gymnase, et une cuisine. C’est un point de ralliement, une clinique populaire, fréquentée par des centaines de personnes chaque semaine. « Aussi bien des locaux que des étrangers viennent, même des migrants arrivés depuis peu en Italie. Également des Napolitains, qui ont y travaillé et qui semblent être des monsieur et madame tout le monde : des employés, des enseignants etc. », détaille la militante.

Sa  philosophie ? Le mutualisme. « L’idée est avant tout d’être utile, d’avoir du crédit devant les personnes face auxquelles tu es en train de parler. Nous avons pris un virage important lorsque nous avons arrêté de penser à ce qui était juste pour les autres et que nous sommes allés le leur demander. » Un exemple ? « Lorsque j’était plus jeune, pendant plusieurs années j’ai distribué des tracts devant les usines, devant la Fiat de Pomigliano (où des milliers d'emplois étaient menacés, ndlr), devant les centres d’appels qui se mobilisaient par exemple... On faisait aussi du bon travail, mais personne ne nous écoutait. Les choses ont changé seulement lorsque nous sommes allés à leur recontre et que nous leur avons demandé : de quoi as-tu besoin ? Il te faut un avocat ? Il te faut quelqu’un qui t’aide avec les démarches administratives ? ». Carofalo en est persuadé : il faut parfois revenir en arrière pour aller de l'avant. Aujourd'hui, elle sent que Naples est en train d'adhérer à la méthode et que les 5% de vote ne sont plus une chimère.

« La gauche a abandonné ses idéaux »

Avec Potere al Popolo on recommence à parler de gauche en Italie. La campagne électorale 2018 a été la plus violente depuis les années 70. À commencer par les attaques de Macerata (une ville d’Italie centrale, ndlr) où Luca Traini, un militant d’extrême droite, a tiré sur six migrants. Dès lors, des affrontements dans les rues et un racisme à la fois grandissant et instrumentalisé ont pris de l'ampleur au fil des semaines. Les manifestations antiracistes auxquelles Viola Carofalo participe le poing levé, sont souvent décrites par les médias et les politiques avec manichéisme. En réalité, la situation est plus compliquée que ça. Pourquoi la gauche ne parle-t-elle pas des vrais combats ? D’après la candidate, c’est « parce qu'elle a peur ». « Peut-être de ce qu’ils ont à perdre, poursuit-elle. Moi je n’ai rien à perdre, nous n'avons rien à perdre. Le centre gauche ne se transforme plus, c'est désormais le clone de quelqu’un d’autre. Je pense que le berlusconisme, c'est la même chose. Non seulement chez le personnage que nous avons connu pendant 20 ans, mais aussi pour les mécanismes de sa pensée. »

À entendre les candidats de PaP, ils sont populaires mais pas populistes. Viola Carofalo se souvient s'être plongée dans les textes sacrés du communisme - de Marx à Mao, de Lénine à Gramsci - afin de légitimer le choix du mot « peuple ». Une notion que la cheffe de parti a beaucoup pensé lors des ateliers et groupes de travail de son mouvement. « Le mot peuple se réfère aux classes les plus pauvres, aux personnes qui ne sont généralement pas invitées dans les choix qui affectent leur vie. Du coup, quand quelqu'un vient ici, il ne se sent pas rejeté par le mot peuple. Ce qui arriverait si nous utilisions, par exemple, le mot prolétariat. »

Selon l'activiste, les thèmes de campagnes de PaP sont loin d'être populaires. « Dire une chose différente fait peur. L’immigration et les prisons ne sont pas des thèmes particulièrement populaires en matière de votes, c’est certain », affirme Carofalo. Avant de préciser : « Ils sont populaires parce qu’ils font partie du quotidien des gens, parce que si tu vas devant Poggioreale (la grande prison de Naples, ndlr) et que tu vois une file de 200 personnes, de proches et d’amis qui doivent amener à manger et des vêtements aux détenus... Et bien ça se passe sous tes yeux, ce n’est pas à la télé ! Ceux qui le vivent savent que la vie en prison est difficile, nul besoin de le leur dire. » 

Tous ces thèmes sociaux, la gauche italienne y a renoncé selon Viola Carofalo. « Elle est allée chercher d’autres objectifs. Elle a abandonné ces idéaux au nom de la hiérarchie verticale, parce que la participation lui fait peur. » Soutenu par le réalisateur et militant  Ken Loach, célèbres pour ses luttes sociales en Europe, la leader et son mouvement incarneraient presque l’esprit de Gramsci, le philosophe italien parmi les fondateurs du Parti communiste italien qui rêvait d’une société plus juste où le pouvoir serait restitué au peuple.

L'Europe de rêve

Lorsqu’on lui demande ses inspirations européennes, elle répond aussi spontanément que logiquement : le Labour de Corbyn en AngleterrePodemos en Espagne, Syriza en Grèce, La France Insoumise en France. Mais les expériences de gauche européenne sont totalement différentes les unes des autres. Chacune de ces expériences répond à une conjoncture historique. La jeune candidate le sait, et a donc pris les meilleurs côtés de chacun. « Si l'on prend Jeremy Corbyn, de quoi vais-je m’inspirer ? De la capacité de renouveau, la capacité de parler aux jeunes et de mélanger l’ancien et le nouveau .» 

En Podemos, Carofalo voit un mouvement qui a réussi à porter un raisonnement de masse en Espagne à partir d’une grande mobilisation. Ce ne fût pas le cas en Italie. « Au contraire, enchaîne-t-elle. Nous partons d’un moment où la participation est rejetée, par apathie politique. Cela se traduit par un affaiblissement de la mobilisation. Chez nous, l’indifférence antipolitique a pris de l'ampleur avec le phénomène particulier du Mouvement 5 étoiles. La rhétorique est toujours la même, celle que les politiques sont corrompus, que rien ne change. »

Pour elle, la France Insoumise de Mélenchon est parvenue à élaborer une proposition convaincante sur la question européenne. « Parce qu’elle présente l’idée d’une Europe construite sur la solidarité, donc une Europe des peuples. C’est aussi une belle critique des limites de l’Europe, l’idée du rejet des traités et plus particulièrement des liens de bilan qui mènent à la destruction du statut social. Dire vouloir sortir de l’Union européenne est une façon de dénoncer que cette Europe telle qu’est est aujourd’hui ne va pas bien. »

L’Europe rêvée par Viola Carofalo réussit à rassembler toutes les réalités territoriales, d’abord au niveau national puis sur tout le continent. « Je rêve d'une Europe accueillante, solidaire. Qui se tourne vers la bonne tradition européenne d’un état social fort. La protection des droits du travail, l’éducation, la santé... Je pense que c’est un modèle que nous avons bradé au cours de ces dernières années, mais qui était auparavant notre force. » N’essayez pas de lui dire que c’est une utopie. Elle vous répondra toujours : « Je le sais, mais rappelez-vous que je suis une "Capatosta" (une dure à cuire ndlr) ! ».

Translated from Viola Carofalo: chi è la sognatrice che vuole ridare potere al popolo