Depuis 2007, on entend peu la prose de Dominique de Villepin. Il semble loin le temps où beaucoup nous enviaient notre Ministre des Affaires étrangères, après son discours contre la guerre en Irak à la tribune de l’ONU.
Le noble Galouzeau a progressivement été mis sur la touche par le rouleau compresseur sarkozyste, le Président ayant bien pris soin de l’éloigner durablement en pesant de tout son poids dans l’affaire Clearstream. A vrai dire, à l’issue de sa mise en examen, on croyait la carrière de « DDV » grillée pour longtemps ; or il semblerait que la bête ne soit pas morte. Depuis quelques jours, Villepin a sorti la tête de l’eau, enchainant les sorties médiatiques sur un sujet qui n’avait jamais été son grand cheval de bataille : l’avenir de l’UE.Se gardant bien d’émettre des propositions de politique intérieure, ce qu’il laisse à un hypothétique retour dans la lumière dans les prochaines années, l’ex-Premier Ministre surprend son monde et s’attelle à actualiser ses logiciels européens. Profitant de la « drôle de guerre » électorale qu’est la campagne printanière de l’UMP, il déroule une analyse surprenante sur l’avenir de l’Union, en n’y allant pas avec le dos de la cuillère. En dressant en effet un constat ravageur sur l’Europe telle que la conçoit Sarkozy, il étale plus que jamais ses divergences avec son ennemi intime.
Un G20 pas si bien?
Mercredi, invité par les faibles troupes qui lui restent fidèles à l’assemblée, celui qui se revendique comme le dernier vrai tenant du gaullisme à l’UMP a donc fait entendre en présence de la presse une musique totalement à contretemps de la partition dominante à droite. Devant ses amis politiques, il s’est alarmé de l’attentisme actuel, symbolisé par la reconduction de l’actuelle commission européenne : pour lui, à l’issue de la crise économique, « rien ne sera plus jamais comme avant », et c’est tout le modèle qu’il faut repenser. Face au déclin économique de l’Europe, il propose une « nouvelle donne », qui parerait aux échecs d’une commission à ses yeux « très marquée par la volonté libérale », qui a «beaucoup été prise de travers par la crise économique et financière ». Au passage, il ne se prive pas d’égratigner Barroso : interrogé sur le renouvellement du mandat de celui-ci, Villepin a estimé que l’UE aurait intérêt à « renouveler les hommes, à les rafraichir, et, après réflexion, à peut être les utiliser à nouveau ».
Les accents frondeurs sont assumés, et ne s’arrêtent pas là : s’il concède que la présidence française à été « un succès », il considère cependant que « la simple initiative ne suffit pas », car si elle peut « geler les crises » et « mobiliser les forces », elle ne résout cependant pas les problèmes de fond. Voilà pour Sarkozy et son G20, qui n’ont qu’à bien se tenir. Et quitte à l’ouvrir, l’ancien Premier Ministre appuie là où ça fait mal : le poussif traité de Lisbonne impulsé par le Président ne « suffira pas », face aux « nouvelles forces déchainées » qui président aux destinées de monde et au « problème de légitimité » de l’Europe, dont le modèle institutionnel traverse une « crise exceptionnelle ». Rappelant le fort taux d’abstention prévu par les sondages pour le scrutin du 7 juin, il estime que la faute doit être imputée au désintérêt de la classe politique nationale à l’égard de « tout ce que nous devons à l’Europe ».
Villepin hyperactif
Et DDV d’ajouter, un brin provocateur, que « n’importe qui ne peut pas s’improviser député européen ». Suivez mon regard... Autre point de désaccord avec l’Elysée, la question de la Turquie : en appelant à ne pas « préjuger de l’avenir de ce grand pays », il adresse une pique non dissimulée à son ancien rival, dont on sait l’opinion radicale sur la question. Bref, inutile de chercher le moindre point d’accord avec la conception de l’UE défendue par le pouvoir en place.
Défoulement rancunier ou vraie tentative de comeback? En tout cas, toutes proportions gardées, une petite résurrection médiatique que Villepin a bien pris soin de bonifier. D’abord le surlendemain, sur les ondes de France Bleu Hérault, dans une émission à l’occasion de laquelle le grand admirateur de Napoléon a tiré une deuxième salve : dans le même registre que l’avant-veille, il a estimé que le « sursaut européen » passait pas un « véritable modèle d’Europe sociale, un modèle d’Europe culturelle, un modèle d’Europe politique ». Fustigeant une fois de plus le dogmatisme de l’actuelle commission, il appelait à « plus de régulations » et « plus de protection » à l’échelon communautaire. Deux sorties en trois jours, ça ne lui était pas arrivé depuis longtemps, d’autant plus en pleine période électorale. Et le voilà qui recommence le lendemain, avec une longue tribune publiée dans le Monde, dans laquelle il reprend avec le lyrisme qu’on lui connait les principaux points de son intervention à l’Assemblée.
Noway! prend les paris
Reste que malgré ce sursaut opportuniste sur un air d’hymne à la joie, Villepin est pour le moment très peu entouré. Pas pour longtemps ? En marge de son discours au palais bourbon, notre orateur a admis qu’il avait récemment a déjeuné en compagnie de François Bayrou, avec qui il entretient depuis quelques semaines un « échange régulier » et partage des « convictions communes sur la république ». Il a également avoué avoir lu et apprécié le pamphlet du centriste Béarnais sur l’ « Abus de Pouvoir » Sarkozyste. Simultanément, le très européiste président du Modem s’est déclaré convaincu que « pour construire l’alternance, devront venir les républicains de traditions différentes, avec leurs armes, du moins avec leurs bagages, en assumant leur histoire, leur valeurs ». Un ticket en 2012 pour défendre une nouvelle conception de la France et de l’Europe?
On n’en est pas encore là. D’abord, parce que Villepin est plus que jamais embourbé dans le dossier Clearstream. Ensuite parce qu’on voit mal Bayrou faire équipe avec un homme d’Etat probablement aussi ambitieux que lui, et dont l’engagement européen est évidemment à remettre dans son contexte. Cela dit, un tandem comme celui-ci pourrait sur le papier dynamiter le clivage PS/UMP, qui avait déjà quelque peu tremblé en 2007 avec l’apparition de l’ « agent orange » dans la course à l’Elysée. En prenant des voix à la fois à l’électorat social démocrate et à la droite modérée, un tel alliage pourrait considérablement modifier l’équilibre. Chiche ?