Vienne : de la teuf avec du vieux
Published on
Translation by:
Anne RivetLongtemps Vienne a lorgné sur la scène nocturne de sa rivale Berlin. Mais désormais la capitale autrichienne s’assume telle qu’elle est : artistique, créative, et dotée d’une scène musicale internationale pétillante. Présentation et révélations.
Il y a quelques mois, j’ai fait la connaissance d’un DJ Drum-and-Bass de la scène actuelle. Nous bavardions tranquillement dans les coulisses d’un club viennois à la mode, quand il me dit soudain : « Vienne est une ville démente. J’adorerais y vivre. » J’étais abasourdie. N’est-ce pas Londres the place to be, la capitale de l’art européen underground, des clubs branchés et des derniers sons à la mode, pensais-je. Je levai les sourcils et répliquai : « Vienne est la ville la plus rasoir du monde. » Il esquissa un sourire malicieux.
Cet échange méritait réflexion. Ainsi, durant les semaines qui suivirent, je m’efforçais de poser sur Vienne un regard semblable à celui du roi des platines. En vain. Je ne parvenais pas à comprendre qu’on puisse qualifier de « démente » la capitale autrichienne. A mes yeux, absolument rien ne justifiait de se pencher sur la question. Rien, jusqu’à ce que je me laisse séduire par les charmes insoupçonnés de la capitale.
vienne, capitale dÉsuÈte ?
Vienne existe bel et bien. Certes, elle ne possède peut-être pas sa propre scène musicale, comme le confie le vieux routier de la techno Patrick Pulsinger dans un entretien au magazine Profil en juillet dernier, mais ses clubs jouissent désormais d’une renommée internationale – avec un bémol toutefois puisque la dernière boîte à la mode, la Grelle Forelle, ne se distingue, selon moi, d’aucune manière de ses collègues. Des clubs comme celui-ci pullulent dans la plupart des grandes villes européennes. Le son y est partout le même, cristallin, technoïde et cool, tout comme les clubbers, en général assez uniformes, comme le mentionnait récemment Tanya Bednar dans The Gap. Depuis les années 2000, Bednar organise des soirées techno à Vienne, les Icke-Micke-Technopartys. Berlinoise par le passé, elle témoigne dans The Gap de l’image éculée de Vienne à l’étranger : « A Berlin, Vienne n’est pas prise au sérieux. Bien souvent, on résume la capitale autrichienne à ses célèbres valses. »
Difficile pour Vienne d’accepter qu’il lui est impossible d’être Berlin, qu’elle est incapable de faire preuve d’autant de vigueur, de créativité, et de relâchement que la capitale allemande, qui, grâce à son histoire récente, frappe par sa fraîcheur. Tout le contraire de Vienne qui s’apparente à une dame vieillissante. Vienne, ses palais, ses rues tape-à-l’œil, ses rives de Danube soignées, et ses parcs touristiques.
Un Dancefloor au musÉe
Mais à présent, abordons la question sous un autre angle. Où, sinon au Café Leopold, peut-on se déhancher sur du hip-hop expérimental venu d’outre-Manche, et ce à quelques mètres seulement de chefs-d’œuvre d’Egon Schiele et de Gustav Klimt ? Quel autre club que le Albert&Tina du musée Albertina offre de siroter son muscat avec vue sur le palais Hofburg, les jardins Burggarten et l’opéra national ? J’ai découvert que la singularité de Vienne réside dans son goût à s’emparer d’édifices historiques, puis d’en détourner la splendeur impériale pour accueillir sa faune nocturne. Il est vrai que c’est chouette de jouer dans de vastes espaces semblables à aucun autre, de délaisser les boîtes de nuit sinistres et démesurées pour un lieu plus exigeant, à la fois pour les organisateurs et les invités. Mais transformer un édifice adulé par des millions de touristes en piste de dance ou associer l’art viennois de la fin du XIXe siècle à une party du troisième millénaire n’est pas tâche facile. L’art semble toutefois être la clef de voûte comme le montrent les soirées à l’Albertina et au Leopold-Museum.
L’espace brut installé dans la Künstlerhaus tente de relever le même défi, quoique de manière plus apaisée que ses voisins, les musées Albertina et Leopold. Tandis qu’en première partie de soirée, le brut programme plutôt concerts, théâtre et danse dans l’édifice historique de la Karlplatz, il propose, en seconde partie, des DJ sets dans un bar – avec balcon – transformé pour l’occasion en dancefloor. A nouveau, c’est le lieu qui donne le petit plus à ces soirées. Les jeunes artistes viennois qui, à la fin du XIXe siècle, ont quitté les halles pompeuses de la Künstlerhaus pour fonder le mouvement de la Sécession viennoise, ne se feraient sans doute pas prier pour festoyer lors de la soirée la plus insolite de la capitale qui mêle project space et salon fin-de-siècle.
Un peu Pour tous les goÛts
Les adeptes du « clubbing » haut de gamme ne sont pas en reste grâce au Pratersauna caché au fin fond du parc du Prater. Même si le son y est tout aussi international que décrit précédemment et le public plutôt commun, le club renferme un petit trésor : un sauna des années 60 comportant deux bassins, une terrasse surdimensionnée et un jardin – le luxe. Le Pratersauna offre aussi une bonne tranche de rigolade avec ses brochettes de clubbeuses en herbe aux mines assombries par l’alcool.
Le club où j’ai rencontré le DJ sous le charme de Vienne se prénomme fluc. Depuis, c’est mon quartier général. Au fluc les ingrédients essentiels d’une bonne soirée – des amis, une piste de danse et un bon son – font partie du décor. C’est ce qui le rend singulier. Singulièrement chouette. J’espère y croiser un de ces jours mon pote DJ pour le remercier de m’avoir ouvert les yeux sur ma ville. Car il est bon de constater qu’enfin Vienne assume sa vie nocturne créative et artistique, bref qu’elle revendique sa singularité !
Translated from Besonders Wien