Vers une citoyenneté mondiale : Une nouvelle pensée pour une nouvel ordre mondial
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grégoire tardyCet article a été partiellement conçu comme une réponse à celui de Simon Loubris intitulé "Une nouvelle Troïka pour la paix" , également publié sur ce site. Les idées présentées dans cet article étaient utiles et poussaient à la réflexion. Mon but ici n'est pas simplement de critiquer : ce n'est pas une approche constructive.
Mon but est plutôt d'explorer et d'étendre l'idée d'utiliser l'Europe comme une sorte de modèle pour la paix. La conclusion est donc plus contemporaine. En explorant certains des problèmes soulevés par l'article précité, nous pouvons identifier une nouvelle façon de penser les problèmes contemporains, non seulement au Proche Orient mais dans le monde entier. En employant ces méthodes de pensées dans nos vies quotidiennes, nous pouvons créer un important précédent en vue d'un nouvel ordre mondial.
Je n'aime pas l'ordre mondial tel qu'il est. J'ai l'impression que la démocratie ne fonctionne à aucun niveau de ma vie personnelle : pas dans mon université, pas dans mon gouvernement, pas au niveau européen ni même mondial. Et j'ai l'impression que beaucoup de gens ont le même sentiment que moi. De la tragédie de New York est née un sentiment d'impuissance ; nous avons été incapables d'influencer ou de diriger nos gouvernements dans leur réponse à cette situation. Pourtant il ne s'agit là que d'un symptôme de plus de la même maladie grave : nous n'avons pas pu influencer nos leaders par des moyens démocratiques ni sur cette question, ni sur une myriade d'autres. En Grande-Bretagne c'est ce qui est arrivé à d'innombrables mouvements, de l'anti-capitalisme à la lutte contre la chasse aux renards. La démocratie été enlevée du quotidien et replacée dans l' acte occasionnel qu' est le vote. Si elle intervient à un quelconque autre moment, on lui fronce les sourcils, on la considère "déplacée" ou "extrême".
L'extension du système occidental comme unique solution ?
Bien entendu le degré de véracité de ce constat dépend, entre autres facteurs, des contextes nationaux. Mais l'apathie et le sentiment que le système mondial est tout simplement trop gros, trop compliqué, trop autonome pour changer, sont réels. Dès lors, la question est "pensons-nous que nos systèmes sont assez parfaits pour être exportés vers d'autres endroits de la planète" ? Je n'ai personnellement pas ce niveau de foi dans le modèle occidental. Pourtant c'est ce qui semble être suggéré par la présentation de la troïka Marshall, Truman, Schuman en tant que solution pour le Proche Orient. Mais la re-création et l'extension d'un système mondial qui est la cause de tous nos problèmes, qui semble vivre de l'exploitation tout en oubliant l'importance de la démocratie ne peut-elle vraiment être que la seule et unique réponse ?
Le deuxième problème que je vois dans la solution proposée est celui du contexte. Cela peut être un argument simpliste, mais qui que ce soit peut-il vraiment s'attendre à ce qu'une solution conçue pour l'Europe de l'Ouest, il y a cinquante ans, dans le contexte de la Guerre Froide naissante, puisse fonctionner au Moyen Orient ? Les cultures, la situation, à peu près tout ce que l'on peut imaginer sont différents. La différence principale est l'histoire. La relation entre Etats-Unis et l'Europe était totalement différente de celle qu'entretiennent les Etats-Unis et le Moyen Orient. Bien que tout ne fut pas rose, il ne s'agissait pas d'une relation entre des Etats-Unis hégémonique et une Europe sous-développée et exploitée. Et pourtant nous avons vu le plan Marshall d'un mauvais œil et nous avons eu le sentiment qu'on nous l'imposait. Au Proche Orient ce sentiment serait multiplié par cent. L'Occident est intervenu dans cette région comme dans d'autres de très nombreuses fois avec peu de succès et une apparente belligérance, sans en avoir le droit. Nous devons arrêter de croire que nous sommes qualifiés pour imposer des solutions qui n'impliquent en rien les peuples de ces pays, et que c'est ce qu'on attend de nous.
Une perspective renouvelée
Voilà pour l'aspect critique. Ce n'est pas très constructif : de ce que je viens de dire il semble résulter que nous devrions regarder les innocents mourir au Proche Orient sans lever le petit doigt, ce qui serait bien entendu impardonnable et encore plus condamnable que n'importe quelle tentative fourvoyée de trouver une solution. Pourtant, comme je l'ai dit, l'imposition d'une solution à un peuple qui n'est pas en accord avec elle n'est pas une option au Moyen Orient, tout comme elle ne l'est pas dans nos contexte nationaux. Bien qu'en Grande Bretagne cela semble souvent être le cas, comme par exemple pour l'imposition de privatisations impopulaires, notamment dans le secteur du transport ; pour la mise en place, face au manque de moyens de l'éducation, de droits d'entrée élevés à l'université que des millions d'étudiants ne peuvent payer ; ou pour l'imposition d'une guerre avec laquelle beaucoup sont en désaccord. Dans ce pays, les exemples sont très nombreux, et c'est le même cas j'en suis sûre dans beaucoup d'autres pays. Peut-être qu'un meilleur moyen de créer un nouvel ordre mondial serait de commencer par chez nous, en repensant notre approche de ces problèmes.
La première chose à faire serait d'arrêter de penser en termes d'uniformité et de commencer à reconnaître les différences bien réelles entre l'est et l'ouest, le nord et le sud, que ce soit au niveau de notre ville ou à l'échelle mondiale. Nier les différences ne les effacent pas, cela conduit simplement à faire taire certaines voix. Il devient plus pratique de ne pas les écouter. Je ne doute pas des nobles intentions qui se trouvent en amont de tels efforts d'uniformisation, j'observe simplement qu'elles n'ont pas fonctionné, et qu'il nous faut au moins essayer de voir les choses avec une nouvelle perspective. Peut-être que le consensus est un but inatteignable, et que nous devrions nous accommoder des divergences, puiser notre force dans la variété et la différence au lieu de les craindre. Ce mode de pensée pourrait être appliqué à tous les niveaux, du groupe de pression local jusqu'aux mouvements internationaux, des institutions locales aux institutions internationales. En ce qui concerne le Proche Orient, cela pourrait passer par une redistribution des pouvoirs au profit des Nations Unies et à l'intérieur de celles-ci. Si l'on suit cette logique, le pouvoir serait rendu à l'Assemblée générale, au lieu d'être confiné dans l'arène restrictive du Conseil de sécurité. Le pouvoir serait transféré là où toutes les voix sont entendues et tous les points de vue sont considérés, ce qui permettrait d'éviter le sentiment que l'Occident impose sa solution. J'admet qu'on ne peut pas en déduire quelle solution pour le Proche Orient en découlerait, mais au moins ce ne serait pas une intervention occidentale de plus vouée à l'échec.
Déborder la pensée stato-nationale
Un autre problème majeur est que l'on envisage ces problèmes à l'aune des Etats-Nations, une approche qui elle non plus n'a pas porté ses fruits jusqu'à maintenant. Le terrorisme, tout comme bon nombre d'autres problèmes à l'ère de la mondialisation, ne peut être contenu à l'intérieur des frontières d'un Etat. C'est un problème fluide, épars, transnational, et c'est en ces termes que l'on doit le penser. La confiance dans la capacité des leaders des Etats-Nations à résoudre ces problèmes a conduit à la guerre, aux bains de sang, et certainement à encore plus d'anti-américanisme. La meilleure façon de s'attaquer à ces problèmes doit être plus inventive, à l'instar des nouvelles menacent elles-mêmes. La réponse, là encore, passe par plus qu'une coopération accrue entre Etats-Nations, mais par un réel transfert de pouvoir vers un niveau où le nationalisme et les ennuyeux intérêts économiques peuvent être transcendés.
Ceci étant dit, pour revenir à la question qui nous intéresse, comment ces nouveaux modes de pensées peuvent-ils être appliquer ici en Europe de manière à contribuer positivement à la création d'un nouvel - et j'insiste sur le mot nouvel - ordre mondial ? L'Europe, en résolvant ses propres problèmes et en dépassant ses différences, peut créer un important précédent. Une nouvelle citoyenneté européenne qui célébrerait les différences de ses peuples et les unirait, non pas en tant qu'Etats-Nations, mais en tant qu'individus libres d'esprit. Cela pourrait se faire, paradoxalement, de la même manière que les Etats-Nations se sont construits, c'est-à-dire par l'utilisation des mouvements sociaux. Je pense aux mouvements qui nous lient par-delà nos frontières nationales, comme les mouvements féministe, anti-mondialisation, écologique ou pacifique. Ces organisations ont le potentiel pour se réapproprier la sphère publique qui est détenue par les institutions des Etats-Nations, pour remettre la démocratie dans notre quotidien, pour refaire de la participation active des citoyens quelque chose de " normal ". Si l'on arrive à faire cela, on pourra créer un nouvel ordre mondial. On disposera des fondations pour construire la route qui mène à une forme de citoyenneté mondiale et de participation globale.
En résumé, il nous faudra résoudre nos propres problèmes avant de clamer que nous sommes qualifiés pour résoudre ceux des autres. Bien que cet article n'ait qu'effleuré la méthode à suivre, il est important d'affirmer que nous devons repenser nos idées, et ouvrir le débat. Comme le disait Foucault, " nous sommes bien moins Grecs que nous ne le pensons ". La première étape dans l'établissement d'un nouvel ordre mondial doit être de construire une nouvelle démocratie chez nous.
Translated from Towards a world citizenship: a new thought for a new world order