Vendanges trop tardives en Europe ?
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2007 sera un millésime particulier pour le vin européen : Bruxelles va en effet procéder à une réforme en profondeur du secteur.
En danger. Si elle reste la première du monde en superficie et volume, [selon une étude de la Commission, elle représente 60% de la production mondiale et concentre quasiment la moitié des vignobles du globe] la viticulture européenne souffre : chaque année, 15% de sa production reste invendue. La faute à la concurrence mondiale, implacable. Les nectars estampillés 'Nouveau Monde' trônent désormais en bonne place sur les rayons des supermarchés européens. Et les vignerons locaux ne cachent plus leur inquiétude face à une consommation de vin qui ne cesse de chuter. Comble de la situation : quand les consommateurs trinquent, cela profite principalement aux vins importés.
En juin dernier, Mariann Fischer-Boel, la Commissaire européenne à l'Agriculture, a donc présenté les grandes orientations de la réforme du vin. Au menu : arrachage subventionné de 400 000 hectares de vignes [pour accompagner les viticulteurs les moins compétitifs vers une reconversion et réduire la production] ; libéralisation totale des droits de plantation [pour permettre à ceux qui sont compétitifs de croître] ; adaptation des procédés de fabrication du vin ; création d'enveloppes nationales permettant une gestion plus décentralisée ; et encouragement au regroupement et à la rationalisation des filières de vente.
L’arrachage, un leurre ?
Si tout le monde s’accorde sur l'objectif numéro 1 visant à retrouver la compétitivité, les méthodes adoptées suscitent des remous. Selon Patrick Aigrain, membre de Viniflhor, un organisme encadrant les filières horticoles et vinicoles, « notre problème n'est pas de produire trop, mais de ne pas vendre assez ». Car la demande mondiale, elle, continue de croître.
Or, la Commission met l'accent sur l'arrachage des ceps : 1/3 du budget de l'Organisation commune du marché vini-viticole (OCM) devrait y être consacré -soit près de 300 millions d’euros- pour éliminer 400,000 ha de plantations, soit 12% de la surface viticole totale. Un chiffre purement arbitraire : l’arrachage sur les terres européennes ne signera pas l’arrêt des plantations dans d’autres régions du globe, maintenant de facto la production mondiale en état de surproduction.
Par ailleurs, l’impact d’une telle mesure apparaît potentiellement dévastateur pour des régions où culture de la vigne rime avec identité régionale, comme la Castilla-La Mancha ou le Languedoc-Roussillon. Enfin, une baisse de la production européenne n’aura que peu d’effet sur les consommateurs : pourquoi diable cesseraient-ils d’acheter des vins importés ?
Du vin chilien dans les ceps européens
Pierre angulaire de cette désaffection : la question, obsédante, ‘Comment vendre plus ?’ Restructurer les filières de promotion et de vente est certes, nécessaire mais non suffisant. Sur les marchés en expansion, notamment en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, le consommateur, souvent néophyte, affiche sa préférence pour les nectars en provenance du Nouveau Monde, réputés plus 'réguliers' et faciles d'accès que leurs concurrents européens.
Pour les négociants regroupés au sein du Comité européen des entreprises vin (CEEV), l’enseignement est clair : il faut s’adapter aux goûts des consommateurs, via l'adoption de certains comportements répandu chez leurs concurrents en matière d'étiquetage et de marques, voire de pratiques œnologiques. Quitte à produire du vin 'australien' ou 'chilien' ... en Europe ?
Si l’idée provoque les hauts cris des amateurs, elle fait petit à petit son chemin. Preuve s’il en est, le Conseil de l'UE lors de sa réunion Agriculture des 24 et 25 octobre dernier, a admis le principe d’un assouplissement des pratiques œnologiques.
La finde l’AOC ?
Pour autant, la Commission se défend de vouloir brader les traditions viticoles du Vieux continent, insistant sur le fait que le régime concernant les vins « de qualité », protégés par une indication géographique, serait renforcé. L’assouplissement envisagé ne toucherait que le secteur des vins de table, qui ne bénéficie d’aucune appellation. L’idée est de remettre les producteurs européens « à armes égales » avec leurs concurrents internationaux.
Autre alternative : reconquérir le consommateur européen, en faisant jouer sa fibre culturelle. Cette dimension est affirmée par la plupart des eurodéputés, à commencer par Katerina Batzeli, rapporteur du Parlement européen sur la question. Un groupe de parlementaires demande aujourd’hui l’exclusion du vin du régime général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), au motif qu’il n’est pas un produit industriel.
Mais cette affirmation de l’exception culturelle est-elle encore possible ? Certains le pensent, comme Astrid Lulling, présidente de l'intergroupe 'Viticulture' au Parlement, qui peste régulièrement contre les politiques de santé initiées à Bruxelles, responsables à ses yeux de la baisse de la consommation.
D'autres se veulent plus rassurants, affirmant que les consommateurs néophytes qui font leur apprentissage sur les vins extra-européens voudront bientôt passer à des vins jugés plus « compliqués ». Reste qu’une telle politique, à l’heure du consumérisme de masse, nécessiterait un solide consensus et une volonté politique qui fait probablement défaut à l’heure actuelle. Alors que sur le terrain, il y a urgence.