Ute Mahler, co-fondatrice de l’agence photo Ostkreuz
Published on
Tous les mois Berlin Poche interview un Berlinois d'origine ou d'adoption. Ex-Allemande de l'Est, Ute Mahler (née en 1949) a travaillé dès la fin de ses études comme photographe de mode et de reportage pour des magazines comme Sybille ou Das Magazin, deux journaux à grande audience en RDA.
Entre la censure d'Etat et le désir de créer et de développer un langage symbolique des images, elle raconte son parcours, jusqu'à la fondation en 1990 de l'agence de photographie Ostkreuz.
Dans quelle mesure l’enseignement à la HGB de Leipzig, où vous avez étudié la peinture en même temps que la photographie, a-t-il influencé votre travail ?
C’était intéressant parce qu’on avait l’idée d’art étendue. On assistait aux mêmes cours que les peintres sans pouvoir peindre aussi bien qu’eux. Nos limites nous apparaissaient très clairement.
Dans la photographie, il y a un dialogue entre l’esthétique pure et le contenu…
Quand on va sur le terrain de l’esthétique, ce sont des photos distancées mises en scène par les photographes eux-mêmes. On n’essaye pas d’aller vers la réalité mais on la construit. La photographie permet d’« attraper » le temps, naturellement d’une manière subjective.
Le langage symbolique en ex-RDA était très important. Il permettait notamment de publier des images malgré le contrôle très fort de l’Etat sur la presse.
Il faut pouvoir lire et apprendre à lire les images. Celui qui croit que la tasse sur la table n’est qu’une tasse sur une table, et rien de plus, n’a pas compris le concept. C’était notre grand avantage en RDA, en tant que photographe, on pouvait partager plus que l’image, ce qui était entre les lignes. La photographie avait pris ce rôle de raconter ce qui ne pouvait être dit ailleurs.
Alors comment se fait-il que l’Etat n’ait pas également lu entre les lignes ?
Difficile à dire. Je suis allée à Paris en 1980, la première fois de ma vie à l’Ouest, j’avais 30 ans et venais de gagner un prix. Paris était la ville de mes rêves mais rien ne fut comme je l’avais imaginé. J’y ai fait beaucoup de photos symboliques : sur un quai il y avait des colombes en cages à vendre. Je suis restée là jusqu’à ce que d’autres colombes, libres, s’approchent. Mais je ne suis pas certaine que cette photo soit encore symboliquement lisible aujourd’hui.
Dans quelle mesure avez-vous participé aux célébrations de novembre 2009 ?
Il y a eu une très forte demande d’images, mais nous avons essayé de ne pas nous répéter. C’est logique que ces clichés intéressent sur le moment mais personne n’en voudra plus pendant les 10 prochaines années. C’est une vague à laquelle nous réagissons.
Je connais bien Cartier-Bresson, mais j’ai découvert de nouveaux photographes comme Penn ou Weegee. Le début d’un nouvel engouement pour le photojournalisme ?
C’est vrai, mais les photojournalistes veulent aujourd’hui tendre vers l’art. Une image peut cependant très bien fonctionner dans les deux domaines en même temps. C’est pourquoi on peut donner un fond plus construit, un cadre élaboré tout en faisant passer l’essentiel de l’information.
Je sais que vous n’habitez plus à Berlin.
Je n’ai jamais habité à Berlin ! J’y ai toujours travaillé. J’ai besoin de forêt, de place, d’une distance par rapport à la ville ! Du coup, j’adore Berlin, parce que je n’y vis pas. Il y règne quelque chose de fantastique.
Il y a énormément d’artistes, de journalistes, de photographes étrangers, même au sein d’Ostkreuz. Que pensez-vous de la multiculturalité de Berlin ?
Nous profitons d’expériences diverses, de points de vue variés. Ça apporte une forme de légèreté par rapport aux Allemands très organisés. J’ai photographié à Neukölln, dans la fameuse école Rütli, et là ça n’est pas pareil. Il faut vraiment trouver une solution pour vivre ensemble et pas les uns face aux autres.
Oui, en tant que Française, je n’ai pas l’impression d’être une étrangère en Allemagne, en comparaison à d’autres étrangers.
Oui, vous n’êtes pas une étrangère. Les Russes de Marzahn par exemple sont plus Allemands que les Allemands : ils sont corrects, travailleurs, et pourtant ils ne sont toujours pas acceptés. C’est certain, il y a différents « degrés » d’étrangers.
Propos recueillis par Hélène Coineau.