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Une tranche d'humain, s’il vous plaît !

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Default profile picture Anika Kloss

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Default profile picture emilie dubos

Culture

Son exposition Körperwelten, Le monde du corps, a fait fureur dans toute l'Europe. Gunther von Hagens qui se définit comme 'plastinateur' transforme les cadavres en oeuvres d'art. Un procédé qui sonde les frontières entre art et médecine.

Vous avez dit macabre ? La dernière idée en date de Gunther von Hagens : vendre de très fines rondelles humaines à des personnes privées, comme des accessoires de salon. Cette proposition a soulevé, la semaine dernière, de violentes critiques au nom de l’éthique. A tel point que le 'plastinateur' a dû retirer à la hâte cette idée commerciale de son site Internet.

Pourtant, depuis novembre 2006, n'importe qui peut découvrir le lieu et la manière dont les « rondelles humaines » sont fabriquées dans le Plastinarium de Guben, petite ville à la frontière entre l'Allemagne et la Pologne. En entrant dans l’ « unique ville-atelier-observatoire du monde des plastinations », on se retrouve quasiment seul... Du moins si l’on ne compte que les êtres vivants ! Les Quatre saisons de Vivaldi s'échappe des hauts-parleurs. Des crânes s'entassent sur les étagères. Des membres 'plastinés' attendent d’être assemblés afin de représenter un joueur de violon. Un groupe de squelettes chapeautés, en hommage à l'artisanat des chapeliers, salue les visiteurs. « L’exposition dans l'atelier justifie à elle seule le travail de l'artiste », remarque Mateus, étudiant en architecture à Dresde.

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Slide show : Cédric Audinot)

Depuis la première exposition de sculptures d’hommes 'plastinés' en 1996 en Chine, Gunther von Hagens a dû se légitimer en permanence. Le Monde du corps a à la fois fasciné et effrayé plus de 20 millions d’hommes à travers le monde entier. En 2004, le magazine allemand Der Spiegel révèle un scandale : il publie des courriers comme autant de preuves de l'utilisation par l'artiste, de restes de victimes d’exécutions chinoises. Le 'plastinateur' avait démenti ces accusations.

Mais systématiquement, le 'plastinateur de cadavres', originaire de Thuringe, fait la Une des journaux. La mise en scène esthétisée des 'plastinations', joueur de poker ou sportif, y est sûrement pour quelque chose. Des sorcières enfourchent des colonnes vertébrales. Des personnages font mine de s'envoler comme sur le ponton du Titanic, les bras grand ouverts. « Gunther von Hagens se présente comme un artiste/anatomiste, repoussant les frontières entre art et anatomie comme l'ont fait des artistes et médecins de la Renaissance », explique Käthe Katrin Wenzel, auteur d’un livre sur « la viande comme matériau ».

De l'art ou du cochon

Dans le 'plastinarium' de Guben, on se sent comme chez le boucher : des vaisseaux rouge cramoisi, des veines rendues durablement visibles grâce à un procédé spécial, le tout brillant dans la lumière bleutée d’une charcuterie. Pour la première fois, dans la « scierie à hommes », le coin dans lequel les préparations 'plastinées' sont coupées en tranches de 2,5 millimètres, on peut prendre soi-même une préparation 'plastinée' dans sa main. « Cette technique est une technologie entièrement nouvelle qui apporte quelque chose de nouveau. C'est d'ailleurs compliqué de nommer ce travail », explique Liselotte da Fonseca, prof à l’Université d’Hambourg et coéditrice d’un ouvrage collectif sur les effets à long terme de la 'plastination'.

Die Yoga Lady, 2005 (Foto: ©Gunther von Hagens, Institut für Plastination, Heidelberg, www.koerperwelten.de)

« Il s’agit d’un corps humain, et en même temps ce sont 70 % de matière artistique colorée, coupée, positionnée et modelée comme de la viande hachée. En cela, cette technique dépasse nos représentations habituelles de l’art et de la nature », poursuit Fonseca. Pourtant, la démarche de von Hagens a souvent été critiquée : trop floue. « Il choisit souvent une mise en scène de ses 'plastinations' démesurée », poursuit Wenzel dans son livre. Une observation que l'artiste confirme car il qualifie son œuvre d’« anatomie esthétique ». « Il utilise l'art pour casser les frontières morales et légales du maniement des corps humains dans son propre intérêt commercial. On pourrait tout aussi dire que Staline était un artiste pour avoir inventé des avenues imposantes », critique Thomas Kliche, coéditeur de l’ouvrage collectif sur l’incidence à long terme de la 'plastination'.

Cadavre à la place du mort

Dans le « salon de beauté post-mortem » de Guben, nous regardons la nouvelle Smart dans laquelle le visiteur peut se faire photographier avec un squelette sur le siège passager ou dans la reproduction de la cellule de détention des Stasi, installée dans le coin 'enfants' du musée. Les véritables sculptures du 'plastinarium' que von Hagens voit comme un « théâtre anatomique issu d’une longue tradition européenne scientifique et démocratique », marquent différemment la fin du parcours. Leur nombre est frappant : l’humain « y devient un stock de matière première disponible de manière illimitée », explique Kliche.

Dans cette galerie finale, la vision des nombreux assistants redressant les fibres musculaires qui ont glissé et enlevant la sciure des colonnes vertébrales sciées, annihile un peu la fascination. C'est comme si on essayait de rendre transparent la petite entreprise installée dans ces 2500 m2. Car derrière les murs de briques rouges de cette ancienne fabrique textile, l'exposition s'exporte : art et anatomie se conjuguent lucrativement et se vendent en petites tranches.

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Photos: ©Gunther von Hagens, Institut für Plastination, Heidelberg, www.koerperwelten.de; ©Anika Kloss

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Translated from Körperwelten: Eine Scheibe Mensch, bitte