Une terre, deux peuples, deux Etats
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Aux racines du conflit israélo-palestinien
Aux sources du conflit Israélo-Palestinien.La solution avortée de 1947
Il aura fallu attendre près de 50 ans pour voir la résolution 181 de l'Assemblée Générale des Nations Unies se matérialiser en partie. Car aujourd'hui, avec le leitmotiv de la proclamation de l'Etat palestinien par l'autorité palestinienne, c'est l'essence même du plan de partage adopté le 29 novembre 1947 par les Nations Unies qui prend corps. Une terre, deux peuples, deux états, l'un juif, l'autre arabe, faute d'une possible coexistence des deux communautés au sein d'une même entité, voilà ce que proposait le plan de partage de la Palestine. Cependant, les rapports de force ont changé entre l'immédiat après-guerre et le présent.
Pour appréhender correctement " la question de Palestine ", il faut se replonger à ses sources, dans l'après guerre et comprendre ce qui fut sa première tentative de règlement et son échec. En précisant le contexte, en envisageant les intérêts en présence, en appréciant les solutions proposées et en constatant les causes de l'échec du partage et ses conséquences, on peut comprendre comment se sont structurées 50 années de conflit, pour finalement aboutir à des accords dont l'esprit tient à la solution proposée un demi-siècle plus tôt.
Mandat britannique et attentes sionistes
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, la question de Palestine se pose avec acuité. Les Sionistes, qui avaient obtenu en 1917 avec la déclaration Balfour le consentement de la Grande Bretagne quant à l'établissement d'un foyer national juif souhaitent aller encore plus loin dès 1942, avec l'établissement d'un commonwealth juif sur la Palestine, puis à partir de 1946, la création d'un " Etat juif viable sur une partie appropriée de la Palestine ".
La Grande-Bretagne qui détient un mandat de la SDN sur la Palestine depuis 1922, a pris en 1939 le contre-pied de la déclaration Balfour, sous la pression des Arabes de Palestine (grandes grèves de 1936 à 1939) hostiles à l'invasion des colons juifs (de 1922 à 1946, la population juive de Palestine est passée de 84 000 âmes à 608 000, soit de un dixième à un tiers de la population totale palestinienne), en promulguant un livre blanc qui limite l'immigration juive en Palestine et la possibilité pour les juifs d'acquérir des terres. Par ailleurs, le livre blanc indique que la population juive ne saurait représenter le tiers de la population de la Palestine, et que celle-ci devrait accéder à l'indépendance sous dix ans.
Malgré le drame du génocide, auquel s'ajoute le drame des " personnes déplacées " en Europe, rescapés des camps de la mort au nombre de 250 000 en 1946, mais que ni le Royaume Uni, ni les Etats-Unis ne sont prêts à accueillir, la Grande-Bretagne reste inflexible sur la question de l'immigration juive, s'en tenant aux dispositions du livre blanc, traquant et arrêtant les immigrés clandestins juifs en Palestine, les internant dans des camps (51 500 personnes internées du 8 mai 1945 à l'indépendance d'Israël) et éventuellement les déportant à Chypre. La Grande-Bretagne souhaite en effet ménager ses alliés arabes au Proche-Orient (Egypte, Transjordanie, Irak), et garder un certain contrôle sur cette zone stratégique (Canal de Suez, hydrocarbures).
Une situation insurrectionnelle
Face à l'intransigeance britannique, les Sionistes mènent deux offensives concurrentes et alternatives : l'une politico-diplomatique, l'autre terroriste et de guérilla anti-britannique. Ainsi les dirigeants sionistes militeront-ils auprès du Royaume-Uni, des Etats-Unis puis de l'ONU pour la création d'un Etat juif, alors que sur le terrain l'action terroriste se développe, d'abord marginalement (révisionnistes de l'Irgoun, du Lehi), puis avec le soutien de l'Agence juive (Octobre 1945), avant que celle-ci ne se désolidarise du mouvement de violence pour privilégier la voie diplomatique et substituer à la lutte anti-britannique le lutte anti-arabe. La situation britannique en Palestine est donc particulièrement difficile, les troupes de Sa Majesté se trouvant aux prises avec un mouvement de guérilla sioniste particulièrement actif et violent dont la répression n'entamera pas la détermination. L'escalade de la violence ira jusqu'à une guerre larvée et conduira la Grande-Bretagne à soumettre la question de Palestine aux Nations Unies le 18 février 1947. En effet, faute de pouvoir trouver une solution soutenue par toutes les parties, faute d'un accord avec son partenaire américain pour le maintien de sa présence, après son départ des Indes, le coût financier et humain du maintien britannique en Palestine s'avère trop élevé pour un royaume dont le prestige et la puissance coloniale sont sur le déclin.
" La question de Palestine " devant l'ONU
Le 28 Avril 1947 s'ouvre à New York la session extraordinaire des Nations Unies sur la Palestine. L'Assemble Générale créée une commission d'enquête sur la Palestine, l'UNSCOP, chargée d'enquêter sur les faits et toutes les questions relatives aux problèmes de la Palestine. Cette commission se rend sur le terrain au cours des mois de juillet et août 1947, dans un climat particulièrement tendu (violences sur le terrain, drame des personnes déplacées en Europe, affaire de l'Exodus, débuts de la guerre froide). Alors que l'Agence Juive coopère activement, les dirigeants palestiniens du Haut Comité Arabe (HCA) boycottent les activités de la commission, sous prétexte que la question de l'indépendance ne figure pas dans le mandat de l'UNSCOP et que celle-ci lie le problème de la Palestine à celui des réfugiés. Pour le HCA, " Les droits naturels des Arabes de Palestine sont évidents et ne peuvent continuer à faire l'objet d'enquête ".
Dans son rapport rendu fin août, l'UNSCOP prône une dizaine de principes pour l'avenir. D'abord la fin du mandat et l'indépendance de la Palestine, à l'issue d'une période de transition la plus courte possible. Un statut spécial pour les Lieux Saints, le respect des principes démocratiques, la protection des minorités, un accord international réglant la question de l'immigration et du drame des personnes déplacées afin d'alléger le " fardeau palestinien " sont autant de solutions préconisées. Enfin, l'union économique de la Palestine est définie comme une " nécessité absolue ".
Sur ce socle commun, dans le rapport, deux propositions sont faites au niveau institutionnel : un groupe d'états propose le partage entre deux Etats, l'un juif, l'autre arabe, et un statut international pour Jérusalem, avec une union économique. " Les droits qu'invoquent les Arabes et les Juifs sur la Palestine sont valables les uns et les autres mais inconciliables ", souligne les rédacteurs, le partage étant dès lors inévitable à leurs yeux.. De plus une période de transition de deux ans est prévue pour surmonter les inévitables obstacles à la partition. L'autre groupe élabore un projet d'état fédéral indépendant comportant un état arabe et un état juif, solution plus neutre et impartiale pour ses défenseurs, et donc plus réaliste dans son application. Cette vision n'est hélas partagée que par un nombre restreint de Sionistes et d'Arabes (ligue pour le rapprochement et la coopération judéo-arabe, parti communiste israélien et palestinien, et autres groupes minoritaires tenant de la solution binationale ou fédérale), et ne recueille qu'un écho limité dans au niveau de la communauté internationale que des populations locales.
Des intérêts divergents
L'opposition arabe au plan est totale. HCA et Ligue Arabe poussent les hauts cris pour des raisons évidentes : refus de la partition, de donner à une minorité -les Juifs- un statut et des droits préférentiels. De plus, les Arabes de Palestine apparaissent désorganisés. Les divisons des différentes familles palestiniennes pour des luttes de pouvoir ne renforcent pas le mouvement national par ailleurs décapité par les Anglais après les grèves de 1936-39. D'autres part, les dirigeants des états arabes environnants, réunis depuis 1945 au sein de la Ligue Arabe possèdent des ambitions contradictoires. Ainsi, le souverain du royaume de Transjordanie, Abdallah rêve-t-il d'un grand royaume arabe englobant son pays, l'Irak et la Palestine Qui plus est, les Arabes méconnaissent la société internationale et ses mécanismes alors que les responsables sionistes font preuve d'un remarquable sens tactique dans ce domaine. Les motifs se bousculent pour expliquer les échecs arabes successifs et l'impuissance des arabes palestiniens pour faire entendre leur voix. L'Agence Juive au contraire, en habile diplomate, accepte de considérer les propositions de la commission comme une base de discussion. Le plan doit toutefois recueillir la majorité des deux tiers lors se son vote en Assemblée Générale ordinaire.
Si la Grande-Bretagne s'oppose au principe même de partage, alors qu'elle a annoncé son intention de se retirer avant la date butoir du 14 mai 1948, les Etats-Unis et l'URSS apportent un soutien inattendu, à l'heure de la doctrine Jdnanov, à l'idée de partage, mais ce pour des motifs différents. La politique palestinienne des Etats-Unis est marquée par son inconstance, partagée entre le département d'Etat et ses préoccupations géostratégiques au Proche-Orient concernant les Etats arabes, et les échéances électorales qui poussent la Maison Blanche à rechercher les faveurs des sionistes américains. Le partage semble être une solution intermédiaire entre toutes ces pressions. Pour l'URSS, partager la Palestine relève d'une vision stratégique anti-impérialiste : le plan permettrait d'extirper le Royaume-Uni de la région, il soulèverait les Arabes furieux en priorité contre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, et enfin le nouvel état juif et ses forces progressistes pourrait être un allié de poids dans la région.
Autant de motifs qui poussent les deux grands à soutenir le plan de partage, les Etats-Unis faisant même pression sur les éventuels abstentionnistes. Le plan sera donc ratifié le 29 Novembre 1947, dans la résolution 181 de l'AG, par 33 voix contre 13 et 10 abstentions, soi t plus de la majorité des deux tiers requise. La Palestine sera partagée en un état juif, un état arabe, Jérusalem possédera un statut spécial. L'ONU investit aussi une commission chargée de veiller l'application du plan.
Chronique d'un échec annoncé ?
Ce plan avait-il une chance d'aboutir ? Certes, il cumulait de nombreux défauts :un découpage géographique complexe, la brièveté de la période transitoire, réduite à deux mois, l'opposition intransigeante des Arabes. Mais la responsabilité principale de son échec incombe assurément à la Grande-Bretagne. Car alors même que la situation sur le terrain se détériorait après l'annonce du plan de partage, Londres continuait de s'opposer à toute ingérence des Nations Unies en Palestine jusqu'à la date choisie pour son retrait le 14 Mai 1948, aiguisant ainsi en partie volontairement les antagonismes déjà exacerbés entre Arabes et Juifs. Sur place le comportement des principaux partis sionistes et leur volonté de profiter de leurs victoires pour étendre leurs conquêtes achevèrent de ruiner un plan déjà bien fragile. La situation issue de quarante années de conflit pouvait difficilement donner lieu à une coexistence pacifique.
La situation ne cessera de se dégrader de Novembre 1947 au 14 mai 1948, les conflits tournant à présent à l'opposition entre Juifs et Arabes, les Britanniques se désengageant progressivement. La situation est proche de la guerre civile, mais légèrement en faveur de l'Etat juif lorsque celui-ci est proclamé le 14 Mai 1948, avant que les troupes des pays arabes n'envahissent le territoire du nouvel Etat le 15, comme ils l'avaient annoncé. Les retournements stratégiques se multiplieront pour finalement voir Israël, profitant de sa domination militaire, occuper une superficie supérieure d'un tiers au territoire alloué par la résolution du 29 Novembre 1947, et se trouve en position de force pour négocier les armistices courant 1949. Ce qui reste de l'état arabe se trouvera annexé par la Transjordanie et l'Egypte en 1950. La guerre d'indépendance d'Israël aura conduit au partage des armes. La Guerre des Six Jours en 1967 enterrera le partage de 1947, avec l'occupation de Gaza et de la Cisjordanie par les troupes israéliennes.
La principale conséquence du conflit de 1948 sera le problème des réfugiés palestiniens. Victimes du conflit et de la politique d'expulsion du tout jeune Etat juif, 700 000 réfugiés se trouveront parqués dans des camps, alors même qu'ils appartiennent à une communauté de 4 millions de personnes sans patrie, victime de toutes les manipulations, même la part des " pays frères ". Ce sont les grands perdants de l'échec du plan de partage. Si aujourd'hui, les revendications de l'OLP pour la création d'un état palestinien aboutissaient, ce serait un grand pas en avant pour la paix mais finalement aussi un grand pas en arrière dans l'histoire50 ans de perdus ?