Une russie aryenne ou multiethnique ?
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Elodie RedEn Russie, la xénophobie est une menace latente, entretenue par le terrorisme, la violence urbaine et la crise économique. Après la chute de l’URSS, le pays est devenu une nation multiethnique où cohabitent quotidiennement des personnes de différentes origines. Une cohabitation souvent synonymes d’ affrontements violents et de répression policière.
Les Jeux Olympiques d’Hiver de Sotchi n’ont fait office que de pommade et de placebo pour les habitants du plus grand pays au monde. L’espace de quelques semaines, la société, anesthésiée par le pain et les jeux de « l’empereur » Vladimir Poutine, a condamné à un oubli temporaire la crise économique interne et les récents troubles xénophobes.
Pourtant, avant que les Jeux ne commencent, la Russie se retrouve déjà à bout de nerf, notamment suite à l’assassinat d’un jeune par un présumé immigré d’origine caucasienne. Le lendemain du drame survenu le 10 octobre dernier, le pays se réveille dans un climat tendu qui donnera lieu à de premières échauffourées. L’attaque d’un marché où les immigrés ont leur principale base d’activité économique se terminera par de nombreux blessés ainsi que de nombreuses arrestations. Comme souvent en Russie, les citoyens ont dirigé leur colère vers un ennemi bien défini : les gens venus du Caucase et ceux issus des anciennes républiques soviétiques.
« La russie aux Russes »
En Russie, la haine envers les immigrants raconte une histoire aussi brève qu’intense. Il y a à peine vingt ans tous ceux qui naissaient sur le sol étaient des enfants de la « Mère Russie ». Sans doute, la chute de l’URSS, la crise tchétchène et le terrorisme qui en découla ont été des facteurs déterminants dans les manifestations xénophobes. Désormais, un simple contact, un regard suffisent à déclencher une baston et à réveiller la masse de gens prête à casser de l'étranger. Une folie alimentée tant par la classe politique que par l église Orthodoxe qui incite parfois à la purge. Un discours qui s’est infiltré dans les esprits de certains Russes et qui est aujourd’hui assumé à tel point que le slogan « La Russie aux Russes » est devenu un vrai mantra. À cela, s’ajoute la pression policière qui totalise jusqu’à 40 rafles quotidiennes, dont certaines donnent lieu à plus de 700 arrestations en un seul jour.
En dépit des statistiques qui annoncent continuellement des chiffres frileux, une récente enquête menée par le Centre de l’Opinion Publique Russe (WCIOM) sur la population confirme que l’immigration représente la plus grande menace pour le pays. 35% du pays est donc plus préoccupée par les sans-papiers que par les attentats, l’éducation et l’environnement.
CONDAMNéS à S’ENTENDRE
Si personne ne peut encore assurer le nombre exact, ni même approximatif, d’immigrants qui vivent aujourd’hui en Russie, le Service Fédéral de l’Immigration estime qu’environ 3 millions de personnes ont un permis de séjour expiré et restent au pays dans des conditions illégales. 800 000 personnes possèdent quant à elles un titre de séjour permanent mais ne représentent qu’une petite partie des presque 11,5 millions d’étrangers de Russie, soit 12% de plus qu’en 2012. En quelques années, le pays est devenu le deuxième Eldorado du monde où il fait bon de venir travailler, juste derrière les États-Unis. Ce contingent de travailleurs étrangers génère 7,56% du PIB russe qui contribuent également à hauteur de 8,25 milliards de roubles (environ 166 millions d’euros, ndlr) à renflouer les caisses de l’Etat, grâce aux impôts. En outre, le pays doit faire face à un grave problème démographique. Les prévisions affirment que d’ici 2050, le pays aura besoin d’une main d’œuvre de 10 millions de personnes. Le rôle des immigrants pourrait donc être fondamental.
Le plus souvent, les affrontements ont lieu entre Slaves et Caucasiens du Nord, très attachés à leurs traditions, basées sur des règles de conduite, et pour qui les liens du sang sont encore très importants. Un attachement difficile à maintenir au sein d’une société en perpétuelle évolution où le poids de la tradition a de plus en plus tendance à s’effacer. La mauvaise image dont souffrent les Caucasiens trouve sa source, en partie, dans leurs populaires fêtes de mariage, où - il faut bien le dire - l’on a l’habitude d’honorer les époux par des rasades de Kalachnikov.
VERS L’INTéGRATION
Selon certaines organisations, pour résoudre ce conflit, il faudrait réformer et réorienter les politiques dans le domaine, lutter contre la corruption et consacrer plus d’efforts à l’amélioration du climat social. Le service Fédéral a présenté à la Douma (la Chambre basse du Parlement russe) un projet qui vise à remplacer les quotas de travailleurs étrangers par des taux spécifiques à chaque secteur d’activité. Si le Parlement donne son feu vert, le pays stopperait la bureaucratie et le marché noir autour des recrutements et des permis de séjour et mettrait un terme aux habituels pots-de-vin qui engraissent les intermédiaires.
Mais certains vont même plus loin et misent sur une amnistie en ce qui concerne la politique de légalisation et d’expulsion, comme cela a été fait dans d’autres pays (aux États Unis, en Australie et en Europe chez les Grecs, les Français et les Italiens). Les papiers seraient ainsi délivrés sur la base de certaines conditions : un contrat de travail, un numéro d’identification fiscale… Le patron serait quant à lui en charge de l’assurance maladie et de la responsabilité civile, ainsi que des frais de légalisation et d’expulsion dans le cas où l’immigrant viendrait à enfreindre la loi.
Il reste cependant un obstacle à surmonter : l’adaptation des uns et la tolérance des autres. Qui osera prendre le taureau par les cornes ? Maintenant que les Jeux olympiques sont terminés et que le pays va retrouver peu à peu son rythme naturel, il ne reste plus qu’à espérer. Espérer qu’après le calme ne vienne pas la tempête.
Translated from Una Rusia aria o una Rusia multiétnica