Une réelle initiative citoyenne ?
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Par Saana Tykkä et John Hodgshon. Traduit par Marie Krpata.
L’initiative citoyenne de l’UE et sa mise en œuvre ont fait l’objet d’une conférence au ministère des affaires étrangères les 6 et 7 mai.
L’initiative en elle-même est un outil « bottom-up » ayant été mis en place par la Commission européenne pour avancer sur l’ordre du jour citoyen et pour inclure les citoyens dans le processus décisionnel de l’UE tout en permettant plus d’implication citoyenne dans l’ordre du jour de l’UE. Et si cette rengaine reprenant le jargon de l’UE sonne comme une exagération, il ne s’agit là que d’un échantillon de la manière dont se présentait en fait la conférence. Des signaux d’alarmes se sont mis à retentir dans ma tête lorsque dans la même phrase l’on pouvait entendre : « acteurs politiques », « ordre du jour » et « définition de contexte ». Et ma crainte était justifiée.
En bref, l’initiative citoyenne de l’UE est en fait un nouvel outil politique censé être mis en pratique par l’UE le 1er avril 2012 (quelle ironie !) qui donnera au citoyen la possibilité de se prononcer davantage sur l’UE et qui transformera l’Union en une institution plus démocratique. Du moins, c’en est l’idée.
Cette initiative permettra aux citoyens de l’UE entière de rassembler des signatures sur des sujets divers et variés. En l’espace d’un an, les organisateurs, un Comité citoyen, peut rassembler les prises de parole en leur faveur. Les autorités compétentes dans les Etats membres certifient ensuite ses prises de parole et s’il y a suffisamment de signataires dans chaque Etat membre, le sujet de l’initiative sera porté à l’attention de la Commission. La Commission de l’UE a ensuite trois mois pour examiner l’initiative et pour décider comment procéder. Formulé ainsi, on pourrait croire qu’il s’agit d’une bonne idée ; en permettant aux citoyens de voter sur des sujets les concernant ce mécanisme rend l’UE plus démocratique en donnant la possibilité aux citoyens de se prononcer sur la direction que l’UE devrait prendre d’après eux.
Etaient présents à la conférence Johannes W. Pichler, directeur de l’Institut autrichien pour le droit et la politique européenne, Bruno Kaufman, président de l’Institut européen pour l’initiative et le referendum et Richard Kühnel de la Commission européenne. Nombreux étaient les participants provenant de divers instituts ayant trait à l’UE et à d’autres organisations. Cependant le nombre de personnes représentants le « citoyen ordinaire » laissait à désirer. Pour nous, cela reflétait la manière de laquelle cette initiative était organisée.
L’initiative citoyenne et le referendum citoyen peuvent être critiqués pour leur manque de coordination avec les citoyens qui pourtant sont censés augmenter leur implication en matière de politique européenne. A plus grande échelle, cependant, cela a trait à des problèmes structurels entre l’UE et ses citoyens en général. Depuis le début des élections européennes, la participation a chuté considérablement comparé aux élections nationales des pays européens participants. Par exemple, le taux de participation à l’élection de 2009 était de près de 40%, ce qui est significativement inférieur au taux aux élections nationales. Cela soulève la question de la démocratie parlementaire dans l’UE puisque l’UE est devenue de plus en plus puissante tout récemment et aujourd’hui elle a plus d’influence sur les lois nationales que jamais. Ainsi le mot « démocratie » a été très souvent utilisé au cours de la conférence samedi. Le fait que les intervenants ont même lu la définition dans un dictionnaire illustre le niveau d’abstraction qui détermine les outils que sont l’initiative citoyenne et le referendum citoyen.
Cette distance qui perdure entre l’UE et ses citoyens a maintes fois été mentionné, de même qu’un sujet s’y rapportant : l’érosion des politiques de partis et l’individualisation de la société. Le manque d’intérêt dans des politiques de partis traditionnelles a été mentionné dans un deuxième tour de parole par les intervenants, lorsque la mise en œuvre et le rôle potentiel des acteurs autrichiens a plus amplement été discuté. Dans une interview privée Johannes Pichler admettait qu’un des problèmes dans l’élaboration de l’initiative citoyenne européenne est le manque d’instances organisationnelles qui pourraient apporter leur soutien dans la mise en œuvre. Comme partenaire possible en Autriche on pourrait penser à des partis nationaux qui ont l’intérêt et la compétence dans ce genre d’activités.
Un des buts de l’initiative citoyenne et du referendum citoyen est de rendre le processus décisionnel de l’UE plus transparent et d’encourager la participation citoyenne, menant ainsi au renforcement de l’identité européenne. L’instrument que représentent l’initiative citoyenne et le referendum citoyen contribuerait ainsi à créer une société civile européenne. Cependant, on peut tout de même douter si cette société peut être créée « par le haut ». Le terme de « société civile » se définit déjà comme une sous-culture indépendante de la sphère politique et de son influence.
Mettant de côté ce sujet, comment l’initiative citoyenne et le referendum citoyen pourraient-ils accroitre l’implication du citoyen dans des problématiques européennes ?
Pour les non-initiés la réponse à cette question n’était pas si clairement définie. Jusqu’à présent, le processus de l’initiative citoyenne européenne et le referendum citoyen s’est concentré sur un cadre conceptuel mais s’est occupé très peu des enjeux pratiques. C’est pourquoi les auteurs ont trouvé bizarre que la discussion s’est majoritairement centrée sur l’utilisation des media (ou plutôt sur le manque de media européens) et les questions relatives à la publicité. Il est vrai que ce problème est concret. Comme l’a expliqué Jürgen Habermas les media sont un quatrième pouvoir d’Etat. Ils créent une plateforme publique pour des enjeux pertinents et politiques qui sont partagés avec divers acteurs à travers lesquels la prise de décision peut être contrôlée et les citoyens peuvent être informés sur le développement sociétal. La carence d’une telle sphère se répercute en effet sur le développement de l’idée européenne. Mais les media sont des institutions indépendantes dont la fonction est de critiquer et de remettre en question et non de diffuser des symboles politiques dans la société. Les intervenants à la conférence sur l’initiative citoyenne et le referendum citoyen se sont montrés insensibles à cette problématique en demandant dans leurs remarques la création d’un media européen qui pourrait être utilisé comme un outil pour répandre les concepts de la Commission et de l’UE à travers l’UE et aussi pour promouvoir l’initiative citoyenne et le referendum citoyen.
Cela est en conflit indirect avec le concept de media libres. De fait, cette hypothèse fait allusion à la situation dans laquelle une organisation gouvernementale définit ce qui doit être publié dans les media. L’Union soviétique et la République démocratique allemande sont juste deux exemples que l’on peut associer à cette logique. Aussi, si les media sont le seul outil pour promouvoir l’initiative citoyenne et le referendum citoyen, la situation précédente persistera ; l’initiative citoyenne et le referendum citoyen resteront ce même concept abstrait qu’il a été jusqu’à présent et les institutions de l’UE seront tout aussi distantes qu’elles l’ont toujours été. La publicité ne s’acquiert pas par la publication mais par la coopération et la coordination avec divers acteurs.
Un des aspects les plus perturbants de l’initiative citoyenne est le rôle de la Commission dans tout ceci. Quand on considère que la Commission jouit de plus de pouvoir à travers le traité de Lisbonne, toute la discussion autour de l’initiative citoyenne européenne devient quelque peu redondante. Dans la structure actuelle de l’UE, la Commission met en place des législations et des lignes directrices qui ensuite sont soumises au Parlement européen pour adoption. Tandis que le Parlement peut demander la proposition d’un acte législatif, elle ne peut l’exiger. En effet, la proposition provient de la Commission ou du Conseil, et il en est qui expliqueraient que cela réduit le Parlement presqu’au rôle d’exécuteur des décisions de la Commission. Le même problème concerne l’initiative citoyenne européenne. Comme l’expliquait le professeur Lengauer de l’Université de Vienne, aucune des propositions qui sont transmises par le biais de l’initiative citoyenne n’est juridiquement contraignante. L’initiative citoyenne européenne est censée porter à l’attention de la Commission des doléances que la Commission n’est aucunement obligée juridiquement de transformer en proposition de loi. Comme l’expliquait Richard Kühnel de la Commission, l’initiative citoyenne européenne a été mise en place pour asseoir les propositions politiques sur une initiative et pour créer une volonté politique de mener à bien les propositions. Cependant, il est difficile d’imaginer que la Commission ne fasse entrer en force quelque proposition qui aille à l’encontre de ses intérêts. On pourrait penser qu’un thème majeur qui motiverait beaucoup de citoyens serait d’apporter des changements à la structure de l’UE afin qu’elle soit plus transparente et démocratique. De l’autre côté, serait-il possible pour la Commission de simplement ignorer les propositions qui jouissent d’une importante vague de soutien ? Il semble que cela enlèverait toute crédibilité à l’Union européenne.
La seconde partie de la discussion, ayant lieu le deuxième jour, portait sur les mouvements de campagne populaire que l’initiative citoyenne est censée engendrer ainsi que sur le degré auquel les partis nationaux devraient prendre en compte des propositions avancées. La différence dans les opinions entre les panelistes était révélatrice des dangers auxquels s’expose l’initiative citoyenne. En bref, les représentants des partis autrichiens (des Verts, de l’ÖVP et du SPÖ) se sont prononcés en faveur de l’utilisation de l’initiative citoyenne pour adresser des problématiques « politiques », ainsi que de l’implication des partis dans la formulation de propositions. Cela s’accompagne de nombreux dangers. En effet, des partis pourraient être tentés d’utiliser l’initiative citoyenne pour servir l’avancement de leurs tâches ce qui aurait pour résultat que l’initiative citoyenne ne serait plus un véritable outil du citoyen et que cela causerait des césures dans les partis, ce qui empêcherait des propositions de voir le jour. Le représentant de la Commission, Richard Kühnel, était aussi contre l’initiative citoyenne en tant qu’outil politique, et a fortement insisté sur le désir de la Commission de voir aussi peu d’institutions politiques que possible impliquées dans le processus, pour assurer que l’initiative citoyenne reste un mouvement populaire tout en assurant que les attentes des citoyens soient prises en compte. Cela aussi a ses dangers puisque la Commission serait alors une des rares instances soutenant et encourageant les propositions et aurait une influence qui n’est pas censée lui revenir sur la direction que prend la proposition. Le commentaire de M. Kühnel sur la gestion des attentes suggéra également que la Commission aimerait que les citoyens s’impliquent pour qu’elles deviennent réalité à travers l’initiative citoyenne.
Tout ceci ne revient pas à dire que l’initiative citoyenne et le referendum citoyen devraient être abandonnés. Si l’on met de côté le nombre de questions qu’il reste à clarifier et à résoudre, l’UE manque d’un forum de discussion ouverte. L’initiative citoyenne et européenne et le referendum européen pourraient contribuer à créer ce genre d’espace public. Même si le rôle de la Commission peut être remis en question, spécialement si elle occupe une place plus importante dans la coordination du referendum citoyen, le fait qu’elle ait créé cette initiative en dit long sur les bonnes intentions de la Commission. Ainsi, même si l’initiative est encore très abstraite et plane encore en grande partie en l’air, elle pourrait réellement contribuer à créer le forum public de l’UE. Cependant, cela signifie que l’initiative doit en fait être portée aux citoyens et ne pas être remise aux mains des institutions qui sont considérées être trop distantes de l’ « Européen moyen ».
Du moins les organisateurs et les panelistes étaient motivés par la conférence. Johannes Pichler, l’organisateur principal de l’événement s’était particulièrement réjouit du public venu nombreux. Il concédait que les vrais problèmes relatifs à l’initiative citoyenne et au referendum citoyen commencent maintenant, après que les détails pratiques soient définis, c’est-à-dire le principal coordinateur et comment le financement de l’instrument pour l’initiative citoyenne et le referendum citoyen sera géré en pratique. Cependant, il s’est montré confiant qu’une solution sera trouvée et a exprimé son espoir que le principal bureau de coordination soit situé à Vienne.
Un vœu quelque peu troublant d’autant plus que durant la conférence les représentants autrichiens se sont mutuellement mis d’accord que l’Autriche manque de société civile.