«Une nuit avec la RAI»: la web-télé qui bat Berlusconi
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Gilles PansuInterdits les débats politiques à la télévision publique italienne à la veille des régionales italiennes du 28 mars ? Pas de problème ! Il y a Internet. Jeudi 25 mars, Michele Santoro, ancien journaliste de la RAI victime de Berlusconi, a trouvé une alternative à la censure : « Une nuit avec la RAI »... Sur le web.
Au commencement fut l'« édit bulgare ». L'anathème politique lancé par Berlusconi en 2002, à l'occasion d'une visite officielle à Sofia en présence de son homologue, a conduit à l'expulsion de deux journalistes historiques de la télévision publique italienne - la RAI – Enzo Biagi et Michele Santoro, ainsi que Daniele Luttazzi, acteur satirique, accusés d'avoir mis en avant l'incompatibilité de Berlusconi avec sa fonction de Premier ministre. Les coupables furent accusés, aux dires de Bersluconi, « d'avoir fait un usage criminel de la télévision publique ».
Berlusconi et ses jouets médiatiques
La relation entre le pouvoir politique italien et le service de radio-télévision public est depuis toujours très conflictuelle. Les trois chaînes de télévision de la RAI sont en effet devenues au cours des années un instrument politique aux mains des partis. La télévision publique est un gâteau que ceux-ci se partagent en fonction de leur poids politique. Dans un pays où l'écrasante majorité de la population s'informe exclusivement par la télévision, et où le premier ministre possède la moitié de l'espace télévisuel avec les trois chaînes du groupe Mediaset dont il est le propriétaire, il est clair pour tout le monde que la vraie bataille politique a lieu dans l'espace médiatique… Jusqu'à nouvel ordre.
Le dernier acte dans ce conflit ouvert entre les partis, qui voudraient contrôler la télévision publique, et les journalistes qui proclament leur indépendance, a eu lieu à l'approche des élections régionales (28 et 29 mars 2010). Une directive inédite de la direction de la RAI a en effet décidé la suspension de toutes les émissions politiques approfondies jusqu'au terme de la campagne électorale. C'est une décision sans précédent qui a anesthésié le débat politique alors que la démocratie vit une période très délicate. Car ajoutez à cela une nouvelle affaire judiciaire pour le Président du Conseil italien - des journaux ont rendu public un réseau d'écoutes téléphoniques entre le Premier ministre Silvio Berlusconi, certains responsables importants de l'autorité garante des télécommunications, l'arbitre impartial qui garantie le respect des règles concernant la télévision, et les dirigeants de la RAI – et vous obtenez un constat qui fait froid dans le dos : les écoutes révèlent très clairement la pression exercée par le Premier ministre pour tenter de bloquer à tout prix certaines émissions de débat politique de la RAI qu'il n'apprécie pas particulièrement, en pleine campagne pour les régionales.
Santoro: informer malgré tout
Au milieu de ce silence médiatique assourdissant, une voix dissonante s'est fait entendre, sous la forme d'une émission intitulée « Rai per una notte » (« Une nuit avec la RAI »), comme l'ont rebaptisé ses auteurs, parmi lesquels Michele Santoro, un des deux journalistes qui fut victime de l'« édit bulgare » il y a 8 ans. « Il ne sera plus possible de faire taire les protestations dans notre pays. Quelque soient les choix qu'ils feront à l'avenir, ils ne pourront pas nous réduire au silence » a déclaré Santoro lors de la présentation de l'événement. Diffusé en streaming et en direct sur des dizaines de sites jeudi 25 mars, « Rai per una notte était une expérience de grève blanche à mi-chemin entre le journalisme et le spectacle. Le réseau de sites en question était complété par des réseaux télévisés satellitaires et locaux, ainsi que des écrans géants placés sur des dizaines de places bondées ! Une expérience de communication unique en Italie, lancée pour dépasser la censure et en même temps de contourner le mur de l'information officielle.
Il n'y a pas de données officielles précisant l'audience exacte de cette soirée, cependant ce ne sont pas les chiffres qui manquent pour confirmer le succès de cette initiative. La fréquentation a atteint un pic de 130.000 connexions simultanées sur le site officiel de l'événement, sans compter tous les autres sites qui ont partagé la diffusion de la soirée. « Une nuit avec la RAI » est devenu immédiatement le premier événement médiatique de l'histoire italienne du web. Il est encore tôt pour dire si l'expérience a réussi à ébranler la télé-démocratie italienne. Mais quoiqu’il en soit, le succès de l'émission marque un nouveau point dans la révolution 2.0 contre l'information diffusée de manière rigide et verticale, avec un contrôle exclusif du Président du Conseil en prime. Et si, par sa main-mise sur les médias italiens, Berlusconi avait contribué à imaginer l’avenir de l’information indépendante en Italie ? Reste à savoir s'il faut le remercier pour son apport...
Photo: roberto cardarella/flickr; giuseppe nicoloro/flickr; ttan/flickr; bramanz/flickr. Video: studio1radiotvnews/Youtube
Translated from Rai per una notte: se la tv pubblica emigra nel web