Une marche contre le FN...et pas que.
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Marcher pour s'opposer ? Tel était l'objet de la « marche citoyenne contre le FN », proposée jeudi dernier sur Facebook après la diffusion des résultats de l'élection européenne en France. L'évènement était organisé dans 24 grandes villes, la page affichait plus de 9000 participants à Paris, d'ailleurs vous avez peut-être reçu une invitation et lu la présentation. Les Belges ont même créé un événement facebook pour supprimer le Fn (enfin la touche 'Fn') sur les claviers, quelle fermeté !
Plus sérieusement, marcher pour s'exprimer c'est plutôt banal mais cette fois on nous a invité à marcher pour s'opposer au résultat d'un vote démocratique, l'expression d'un scrutin qui s'est déroulé en bonne et due forme. Généralement la contestation d'une élection fait suite au bourrage des urnes... L'élection du 25 mai 2014 a même mobilisé davantage que les 2 derniers rendez-vous électoraux (56,50 % d'abstention cette année) en 2009 (59,37%) et 2004 (57,2%), les européennes demeurent l'élection où la participation est la plus faible.
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N'est-ce pas étrange de marcher contre l'issue d'un vote démocratique qui valide l'actuelle représentation populaire, fraîchement élue ? Peut-être pas. La manifestation était « jeune », enfin majoritairement organisée par des jeunes, des lycéens, l'initiative ayant été lancée par un jeune de 17 ans. Tous ne possèdent donc pas le droit de vote. Cela explique peut-être qu'ils aient été les premiers à battre pavé pour exprimer leurs revendications, déception, crainte ou colère.
Les personnes n'ayant pas encore la possibilité de voter ont ainsi montré qu'ils étaient des électeurs en puissance. Oui, les « non-électeurs » ont des opinions politiques et peuvent s'exprimer malgré une absence de représentation.
L'évènement était dirigé contre un parti mais ne pourrait se résumer pas à cela. On peut aussi l'interpréter comme un reproche dirigé contre les abstenants. Indirectement, ils sont pointés du doigt. Soit, quelques abstentionnistes se sont probablement déplacés pour participer à la marche, agités par un certain malaise...
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Malaise, voilà le sentiment qui a mobilisé les manifestants un jour ferié.
« La France FN », le Fn, de fait, propulsé premier parti de France. L'organisation de la marche a signifié que ce résultat n'était pas anodin, le Fn ne serait pas un parti « normal » ou tout à fait « normalisé » selon ces participants.
Les médias ont pu dire que le Fn était le premier parti de France « par défaut », à cause de la « non-expression », l'abstention. 25 % de voix exprimés en faveur de Fn n'est pas l'équivalent de 25 % des Français. MAIS. Le score est bon, voire très bon et il témoigne de la difficulté des partis traditionnels à mobiliser les électeurs. Ces derniers n'ont pas été transportés par la campagne et nous n'avons pas reçu les programmes de toutes les listes candidates.
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Des citoyens lassés par le projet européen ? Revenons à nos jeunes manifestants. Leur marche est une contestation du vote FN et des 24 nouveaux députés européens frontistes euro-hostiles. Mais il s'agit également d'une protestation dirigée contre les abstentionnistes. Europe de l'abstention, Français abstentionnistes, « Réveillez-vous, indignez-vous ! ».
Nous ne sommes pas dans une Europe des Européens informés et intéressés, une Europe qui passionne. Si cela avait été le cas, les électeurs se déplaceraient pour exprimer leur position et on peut qualifier cette absence d'occupation de l'espace public de « problématique ».
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L'Europe pour tous ? On en est loin. Par là je veux dire que l'Europe n'est pas « comprise » pour tout le monde, cela ne signifie pas qu'elle est inaccessible (puisque des canaux d'informations et d'explications existent). L'Europe n'est pas comprise et pourtant elle mérite qu'on se mobilise. En faveur ou contre. En revanche ce débat n'est pas le seul débat qui doit pousser les citoyens aux urnes. L'élection européenne n'est pas censée être un simple "Oui à l'Europe". Quelle(s) Europe(s) ? Les citoyens qui ne rejettent pas l'Europe sont ceux qui décident de telle ou telle autre Europe, des Europes sont possibles et c'est une responsabilité.
En fait, l'Europe est souvent au cœur du débat mais nous n'en avons pas conscience, la perspective européenne est « invisible ». L'Union européenne infiltre de multiples recoins de la vie politique : économiques, juridiques, environnementaux, sociétaux, technologiques :
Le semestre européen qui encadre la Loi de Finances française, donc la politique budgétaire et notamment l'im(possibilité) de laisser filer le déficit (la règle d'or).
Le droit des consommateurs dans une société de consommation, saviez-vous que la Loi Hamon a pour origine une directive?
L'alimentation issue d'une politique agricole européenne qui prend des choix productivistes ou non, vous en jugerez...
Une politique des droits de l'homme, mentionnons la vie privée suite aux scandales NSA/Snowden, un droit à l'avortement au niveau européen ? La reconnaissance des mariages homosexuels ?
Airbus, l'entreprise européenne par excellence…
Bref, la liste est longue, mais observez que l'Europe a du potentiel en tant que lieu de discussions et débats politiques qui nous concernent, nous citoyens.
Quand une véritable pédagogie sera engagée, que les Européens seront informés, nous aurons peut-être une Europe des Européens-citoyens, à la place de cette Europe des Européens-silencieux-quant-à-leur-avenir.
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Une Europe plus engagée sera peut-être plus divisée, mais les désaccords font partie du débat démocratique. Et qu'est-ce que la pédagogie ? C'est concret. La pédagogie est une responsabilité de la part de l'ensemble des individus :
Les politiques qu'ils soient européens ou nationaux. L'Europe ne peut pas être au cœur de l'actualité 1 mois tous les 5 ans, informer des enjeux européens est un besoin au jour le jour. Sans cela on ne voit pas l'action élaborée au niveau européen et on ne voit pas les sujets européens en débats : l'Europe invisible.
Les médias nationaux. Les médias européens existent bien sûr, mais les médias nationaux ont un rôle à jouer, ils ont le pouvoir de nous informer quotidiennement au niveau local.
Les citoyens aussi. Les organismes de pédagogie citoyenne sont dispersés sur le territoire : les Maisons de l'Europe, le réseau Europe direct, le bureau d'information du Parlement européen, de la Commission européenne. Et ils ont des sites internet...ils offrent des explications quant au fonctionnement des institutions européennes et l'actualité européenne.
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Sans faire de l'Union européenne une idéologie, on peut souligner que des vrais débats, déterminants, ont lieu à cette échelle, ils gagneraient à être connus et démocratisés. Cette politique de la pédagogie, engagée au niveau européen, n'est pas suffisamment présente au niveau national. Or de nombreux Français-Européens seraient « prêts » à se prononcer s'ils étaient mis en condition de le faire, au courant des débats européens.
Un Europe plus représentative, construite par des Européens plus engagés, ne tient qu'à nous.
La conclusion d'un élu français et européen, « L'Europe ne fera ni contre les Etats, ni contre les peuples ». Ni contre les Etats, ni contre les peuples. Tout est dit.