Une Europe de valeurs
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Si nul ne conteste l'existence du modèle social européen, que dire des valeurs partagées par les citoyens des 25 ?
Bien qu’utilisé de façon récurrente depuis les Sommets de Nice et Lisbonne, le terme de « modèle social européen » ne bénéficie pas d’une définition officielle. Entre divergences et volonté de compromis, le Conseil européen de Barcelone en 2002, a jugé que « fondé sur une économie performante, un niveau élevé de protection sociale, d’éducation et le dialogue social», ce schéma devait incarner « un équilibre entre la prospérité économique et la justice sociale ».
La quête des valeurs
Pour comprendre l’ubiquité du concept, il faut survoler les systèmes de protection sociale, les faits et les structures et rechercher dans les valeurs. Car ce canevas européen est, avant tout une certaine manière de voir le monde. Pour reprendre les termes de l’économiste américain, Jeremy Rifkin, le modèle social européen est au cœur du « rêve Européen ». C’est lui qui par exemple donne vie au cliché selon lequel les Européens travaillent pour vivre tandis que les américains vivent pour travailler. Soit un rapport différent au travail, illustré avec l’interdiction par le Parlement européen le 11 mai dernier de la fameuse clause dite d’ « opt-out » (statut dérogatoire) à la Directive 93-104 sur le temps de travail. La défense de cette mesure s’est faite au nom d’une Europe sociale et d’un équilibre entre travail et loisir.
D’autres aspects du modèle, censés constituer une image progressiste des 25 ont clairement trait au mode de vie des Européens. Dans un sondage réalisé en mai dernier par TNS-Sofres, 63% des Européens se déclaraient prêts, pour protéger l'environnement, à accepter des mesures qui freineraient la croissance et l'emploi. Fibre écolo, opposition à la peine de mort…Valeurs de l’air du temps : 64% des Européens jugent aujourd'hui que l'homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité et 62% pensent que les femmes ont le droit d'avorter en cas de grossesse non désirée. A titre plus anecdotique, lors de la tentative d’OPA de Pepsi contre Danone, quand Patrick Ollier, député de l’Assemblée Nationale française affirme qu’il ne veut pas de Pepsi dans ses yaourts, il défend en même temps l’idée d’une Europe qui ne veut ni multinationales, ni « mal-bouffe ».
Liberté, égalité, solidarité
En matière de politique étrangère, l’Europe cherche aussi à transmettre ses idéaux. L’Union exige notamment le respect des droits de l’homme comme condition de la signature d’accords commerciaux. Les critères de Copenhague appellent à l’Etat de droit, la stabilité des institutions, le respect des minorités…Dans son aide financière aux pays frontaliers comme les Balkans, Bruxelles insiste sur les principes de bonne gouvernance et de démocratie – deux éléments essentiels pour l’attribution de subsides.
Au niveau institutionnel, ces valeurs s’expriment dans les structures et institutions européennes. Une logique anti-productiviste, par exemple, imprégne les travaux et décisions de la Banque Centrale Européenne (BCE). Elle cherche à préserver, malgré les conséquences pour l’emploi et la croissance, la stabilité des prix. Rien avoir avec l’interventionnisme de la banque Fédérale Américaine. Les lois et directives environnementales entendent mettre en place des interdictions à l’expérimentation en matière d'OGM. En outre, on peut ajouter l’égalité hommes femmes consacrée dès le Traité de Rome (1957), l’interdiction des discriminations et la liberté de circulation de l’espace Schengen. Ou l’importance de la notion de solidarité exprimée par la politique des fonds structurels en faveur des régions européennes les plus pauvres.
« Rêve européen » contre « american way of life »
Finalement, la cohérence du modèle social européen prend sa pleine mesure lorsque l’on jette un œil aux canevas étrangers. Asiatique ou américain. Rifkin parle notamment de la « civilisation mortifère » incarnée par le rêve Américain : l’aspiration à consommer toujours plus, amasser de l’argent avant tout, de faire de la consommation « expression ultime de la liberté humaine ». Si l’Europe parle d’une seule voix, dépassant ses clivages internes, c’est surtout dans son opposition avec son voisin outre-Atlantique.
Cette convergence de valeurs a été soulignée récemment par Olli Rehn, Commissaire pour l’élargissement pour qui l’ouverture européenne peut se résumer à l’exportation des valeurs communautaires. D’après lui, les frontières de l’Europe ne sont pas tracées géographiquement, mais dans les esprits. Etre Européen serait donc une question de valeurs. Que dire alors de la majorité d’Autrichiens, d’Allemands et de Français se prononçant contre l’adhésion de la Turquie. Après avoir esquissé les contours du modèle social européen, il faudrait se poser la question : ce cadre exprime-il les désirs et les besoin des citoyens des 25 ou entre t-il en conflit avec eux ?