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Une capitale où il ne fait pas bon grandir

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SociétéPolitique

À Berlin, un enfant sur trois vit du ‘Hartz IV’, autrement dit de l’aide sociale allemande. C’est plus du double de la moyenne nationale et un record à l’échelle du pays. Un avatar de la réunification Est-Ouest ?

Cigarette au bec, mèches rebelles pour les uns, piercing pour les autres, une brochette d’adolescents prend la pause devant l’entrée de l’ancienne école. Dans les couloirs, c’est une Lolita d’une dizaine d’années qui se la joue gentiment 'karaté kid' avec sa bande de copines, pendant que des nourrissons siestent à l’étage. Dans la cour aménagée en magnifique terrain de jeux, des bambins barbouillés hésitent entre balançoire et marelle, pendant que les plus costauds d’entre eux se tractent sur des semi-remorques miniatures. Grandes gueules ou gueules d’ange, l’association 'Die Arche', fondée en 1995 par le pasteur Bernd Siggelkow, les accueille tous volontiers et ses ouailles le lui rendent bien.

« Laissez venir à moi les petits enfants», invite donc l'Arche parmi les ‘Plattenbauten’, les blocs d’immeubles en béton grisâtre hérités de l’époque communiste. Chaque jour, près de 300 jeunes de tous âges viennent trouver refuge dans le foyer de l’Arche, aussi accueillant que structurant, pendant que le quartier de Marzhan-Hellersdorf continue de prendre l’eau malgré les investissements consécutifs à la réunification. Sous sa station de métro impeccable, ses bâtiments ripolinés et ses squares avenants, cette grande banlieue de l’est berlinois cache une misère galopante.

Promesses électorales

« Dans le quartier, près de 45% des mères sont célibataires », avance le Pasteur Kai-Uwe Lindloff, directeur de la structure depuis six ans. « Sans compter un chômage endémique : du jour au lendemain, toute une génération de travailleurs s’est retrouvée disqualifiée sur le marché du travail, avec des emplois qui n’avaient plus cours et des compétences inadaptées aux nouveaux standards. »

«Hors course », « perdu », c’est ainsi que se présente Omas, attablé avec d’autres adultes au réfectoire en sous-sol. « Cela fait quatre ans que je suis au chômage. Je viens tous les jours ici depuis six mois pour me sentir moins seul, » explique t-il. C’est aussi pour rencontrer d’autres personnes que Kathrin avoue venir à l’Arche, trois ou quatre jours par semaine. 20 ans, deux enfants de 4 et 1 an, pas de place à la crèche car elle « ne travaille pas ».

Le cercle est vicieux et il n’est pas certain que les mesures annoncées par la ministre allemande de la Famille, Ursula von der Leyen, - créer 750 000 places en crèches d’ici 2013 – la concerne. « Ce ne sont que des promesses électorales », estime Kai-Uwe Lindloff, « qui concerneront avant tout les privilégiés. Les financements manquent ! »

À 46 ans, mère de trois enfants, Andréa s’accroche à un horizon plus prometteur, éclairci par une formation de vente qui débute cet été. « Avec ses jumeaux de 10 ans, elle fréquente l’Arche depuis six ans», confie l’éducatrice qui a bien voulu faire l’interprète. Les voilà qui déboulent sourire aux lèvres, sautant au cou du pasteur avec une familiarité stupéfiante. Aucune gêne chez cet ancien instructeur dans l’armée de l’air, qui se plie à ce rôle paternel de substitution sans craindre pour son autorité. Il faut dire que son imposante stature, rehaussée d’une coupe aussi carrée que sa chemisette ciel, joue pour lui.

« Nous sommes une deuxième famille pour certains des enfants qui viennent ici », explique posément le pasteur, qui a embarqué femme et enfants dans l’aventure de l'Arche. « Nous les aidons à grandir. Personne n’est là pour faire attention à eux, pour repérer leurs talents, pour s’intéresser à leurs goûts, pour les valoriser. Dans leur famille comme à l’école, on ne leur renvoie qu’une image négative d’eux-mêmes. »

Une génération sacrifiée sur l’autel de la réunification ?

Selon une récente enquête du quotidien allemand Tagesspiegel, « plus d’un enfant sur trois dépendait de l’aide sociale fin 2006, soit 10 000 de plus en un an ; sur 325 000 bénéficiaires de l’allocation chômage figurent 90 000 ménages avec enfants. »

« Berlin est la capitale de la pauvreté infantile », n’hésitait pas à trancher Sabine Wahlter, du lobby 'Kinderschutzbund', en commentant ces chiffres officiels pour le Tagesspiegel. « La ville doit faire attention à ce que presque la moitié de sa jeunesse ne grandisse pas sans espoir. »

Une gageure pour la capitale allemande, qui brille par son effervescence mais subit encore l’héritage du régime communiste. Alors que l’économie peine à sortir des difficultés, le taux de chômage s’élève à 17,5%, contre 8% environ dans tout le pays, et la dette de la ville pèse près de 60 milliards d’euros. Difficile d’endiguer ainsi le risque de pauvreté, qui dépend aussi bien du taux d’emploi que de l’offre de formation, de l’accès à l’enseignement que de l’accompagnement des enfants de moins de trois enfants…

60% à 70% de l’Est

Autant de leviers où l’Allemagne pêche. Typique des États providence de type conservateur, son système de redistribution des ressources ne favorise pas la mise au travail ; les mères sont particulièrement discriminées par l’absence de moyens pour concilier vie familiale et vie professionnelle.

Autre fragilité, le nombre de travailleurs pauvres, l’Allemagne étant l’un des sept pays de l’Union européenne à ne pas disposer de salaire minimum (sinon par branche). Conséquence : si son taux de pauvreté la place dans la bonne moyenne européenne, il est passé de 11,7% en 1993 à 13,5% en 2003 et continue de grimper. Sur le terrain, acteurs sociaux et ONG ne cessent d’en dénoncer le ferment, protéiforme.

« Nous comptons de plus en plus d’enfants dans les rues », s’alarme Eckard Baumann le responsable de l’association ‘Strassenkinder’. « Ils errent pour des raisons économiques, mais aussi parce qu’il sont mal traités, battus, abusés ou qu’ils manquent simplement d’affection et d’attentions. »

Bien que ce fléau reste encore bien moindre que dans d’autres capitales européennes, «60 à 70% de ces enfants des rues viendraient de l’Est», selon Baumann. Quant à Manfred Endom, un éducateur, il constate une dégradation du système scolaire et s’inquiète d’une paupérisation infantile croissante.

« Les enfants sont le maillon faible de la société et ne peuvent pas faire entendre leur voix ! » Au moins ont-ils des porte-parole, comme le lobby 'Eurochild' qui a publié en janvier dernier un rapport très instructiff, intitulé ‘Éradiquer la pauvreté infantile en Europe’. Y sont comparées les situations dans chacun des pays membres, mais aussi pointés les enjeux pour les générations à venir.