Une bière avec la Stasi
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Charlotte MonnierCe petit restaurant a ouvert ses portes en juillet à Berlin et fait déjà sensation. Il s'appelle « Zur Firma » (l'entreprise), comme le surnom donné au ministère de la sécurité d'Etat d'Allemagne de l'Est (la Stasi) par les Allemands de l'Est. Ou comment vendre une bière et des saucisses aux dépens de l'histoire.
Ce restaurant, ou plutôt « Kneipe » comme on dit en allemand, n'est pas facile à trouver. Il faut prendre le métro et descendre à l'arrêt « Magdalenenstraße », dans le « quartier de la Stasi », proche des musées consacrés à la célèbre police secrète. L’établissement ne se trouve pas très loin, dans la rue parallèle, côté musée. Dix minutes à pied, et vous êtes dans la Normannenstraße, une voie très petite, rien d'intéressant. Continuez de marcher jusqu'à apercevoir enfin trois enseignes colorées : « Ost-Deustsche Küche » (« cuisine est-allemande »), « Restaurant Zur Firma der Konspirative Treff » (« restaurant Zur Firma idéal pour les conspirations »), et le slogan tristement célèbre de la Stasi « Kommen Sie zu uns sonst kommen wir su Ihnen! » (« Viens à nous ou nous viendrons à toi »).
Presse et polémiques
Quelques précisions. Premièrement, le restaurant est ouvert depuis juillet, mais son nom revient très souvent dans la presse. Les sites de journaux européens tels que repubblica.it, spiegel.de, time.com, bild.de, tagesspiegel.de et welt.de, pour n'en citer que quelques-uns, ont tous consacré des articles sur Internet à l'ouverture de ce lieu. On y a parle des caméras à l'entrée qui filment les clients, de bureaux avec de vieilles machines à écrire utilisées pour rédiger les rapports de la Stasi, un mannequin avec un uniforme d'époque et même une matraque, une carte de fidélité pour les clients réguliers appelés « mitarbeiter », c'est-à-dire les collaborateurs dans le langage de la Stasi.
« Me voilà avec la sensation de me trouver devant un Hard Rock Café de la Stasi, dans un style assez dépouillé »
Deuxièmement, les attentes. Je suis à Berlin depuis quelques temps, et la première chose qui me frappe est la fantaisie et l'originalité qui caractérise la multitude de pubs et de restaurants de la capitale allemande. Ajoutez cet ingrédient au battage médiatique, mélangez, et me voilà devant l'entrée, avec la sensation de me trouver devant un « Hard Rock Café » de la Stasi, dans un style assez dépouillé. Comment est-ce possible que ce lieu ait déchaîné autant de polémiques ? Siegfried Reiprich, responsable des projets éducatifs du mémorial de la prison de la Stasi, parle « d'insulte aux victimes » et dénonce l'ignorance préoccupante des jeunes Allemands sur le sujet.
Le petit meuble aux reliques
Je laisse de côté tout ce que je sais sur le lieu et je m'assieds au comptoir. J'essaie tout de suite la cuisine de l'Est : je commande une saucisse, une salade de pommes de terre et une bière, le tout pour un peu plus de quatre euros. Il n’y a pas de menu : on me donne une feuille où figurent les plats du jour. « Eine konspirative Speisekarte! » (« Un menu secret ! »), s'exclame un client à côté de moi. J'amorce une conversation avec le propriétaire, Wolfgang Schmelz. À ses yeux, le restaurant est un « restaurant à thème ». C'est une bonne idée pour se distinguer dans le monde compétitif des bars et restaurants berlinois. L’idée, explique-t-il, lui est venue lorsqu'il était dans un pub avec des amis. Il n'y a pas réfléchi très longtemps. Très rapidement, il a ouvert le restaurant avec son associé, Willi Gau. Suite à la découverte de son passé de collaborateur de la Stasi, cette personne a d’ailleurs depuis démissionné.
Wolfgang me montre les articles de journaux qui parlent de son restaurant, parmi lesquels se distingue un article de Libération. « Au début, je les conservais tous, explique-t-il satisfait, mais par la suite, j'ai arrêté car il y en avait trop et ils racontaient tous la même chose. Cela reste quand même de la bonne publicité », conclut-t-il. Son restaurant est petit et spartiate. Les murs jaunes, le comptoir rougeâtre et les tabourets noirs rappellent les couleurs du drapeau allemand. Les reliques se noient presque dans l'anonymat de l'endroit. « J'ai presque tout acheté sur eBay », répond-t-il. Bon nombre d'entre eux ne sont pas d'époque, mais plus modernes. « Les clients apportent beaucoup de choses aussi », dit-il avant de m'indiquer un petit meuble sur lequel on trouve un peu de tout : des vieux passeports et d'anciennes cartes d'identité, des appareils photo, des téléphones, des œillets roses en plastique, des journaux d'époque et des livres, parmi lesquels un gros livre de photographies commémorant les 35 ans de la RDA qui, d'après la préface, « durera pour l'éternité ». Ce livre date de 1985.
Quelles conclusions tirer ? Le restaurant est-il une offense aux victimes ? Il a remplacé un bar où, il y a des années, se retrouvaient des skinheads nostalgiques. Aujourd'hui, il est fréquenté par des touristes et des gens du coin qui apportent leurs propres reliques. Cela pourrait être le point de départ pour parler de la Stasi, et peut-être que si ce petit meuble continue à se remplir, le restaurant s'embellira aussi.
Traduction : Charlotte Monnier, révision : cafebabel.com
Translated from Una birra con la Stasi