Un PACS à la grecque ?
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Nous apprenons dans l’édition du 11 juin d’Eleftheros Typos qu’une commission gouvernementale dirigée par Kostas Caramanlis, premier ministre grec, a donné unanimement son accord à un projet de loi qui ouvrira la possibilité à deux personnes de sexe opposé de conclure un “contrat de vie commune”. La loi devrait être votée par le Parlement à l’automne.
Le ministre de la Justice qui a défendu le projet et l’a rendu public a tenu à préciser que ce contrat ne sera pas valable pour les couples homosexuels, car il avait prétention à être comparable à l’institution du mariage. “Il a souligné le fait que le sujet des couples homosexuels n’avait même pas été discuté”, conclut l’auteur de cette dépêche.
Il semble au premier abord que cette mesure ne fait qu’institutionnaliser une pratique de plus en plus courante: celle d’une vie à deux, sans les liens sacrés du mariage. Ce phénomène, largement observé en Europe, se développe aussi en Grèce, où l’institution du mariage garde pourtant un prestige important. Un article publié dans Ta Nea le 9 juin rend compte d’une recherche sociologique menée auprès d'un échantillon de grecs de plus de 18 ans et selon laquelle de nouvelles tendances apparaissent dans les représentations du mode de vie en couple : si 57, 6% des personnes de plus de 18 ans interrogées préfèrent le mariage (à l’église, bien évidemment), 3 personnes sur 10 déclarent être prêtes à aller signer un contrat de vie commune chez un notaire. Les journalistes analysent ces chiffres comme un “léger progrès de l’opinion”. Par ailleurs, 8 personnes sur 10 reconnaissent que l’institution du mariage traverse une crise. L’article détaille quelques unes des causes responsables de cet effritement du mariage, que des conseillers conjugaux et des sociologues étayent d’exemples particuliers: des causes psychologiques, comme la peur du lien et de la perte de liberté; les causes économiques également, ainsi le coût de la fête qui, par ailleurs, “est devenue un grand moment de fête pour tous, sauf pour les mariés !”, comme l’affirme avec humour l’acteur Thasos Chronis. Et, finalement, les besoins économiques et une envie de reconnaissance officielle risquent de pousser un grand nombre de jeunes couples vers ce nouveau “contrat de vie commune”.
Cette innovation n’est cependant pas véritablement louée dans la presse grecque. D’abord, tout le monde ne la voit pas comme une innovation véritable. Dans un billet d’humeur paru le 7 juin dans Ta Nea, un universitaire cède à l’agacement: “Ce contrat de vie commune que tente de mettre en place notre gouvernement conservateur (comment en est-il arrivé là?) existe dans les pays européens avancés depuis 30 ans. Cela doit nous faire prendre conscience du point où nous en sommes comme pays, comme peuple et mentalité. La question, maintenant, est de savoir comment et quand il sera appliqué.” Et de déplorer d’autres lois qui n’ont débouché sur aucune réalisation faute de la publication du décret d’application correspondant.
L’autre accusation vient des défenseurs d’une union pour les couples homosexuels. Ceux-ci ont été exclus du projet car, selon le ministre de la Justice, “il faudra étudier cela quand la société aura mûri, si cela se peut. Les projets de loi et les réformes législatives sont faits pour répondre aux exigences de la société. Aujourd’hui, la société nous demandait cela. Ensuite, il faudra voir. Je pense que la société grecque n’est pas encore prête à aborder cette question” (voir article dans Ta Nea) Il n’y aurait donc pas de besoin pour le moment.
Cette hypothèse est pourtant infirmée par les deux couples homosexuels qui ont réussi à organiser leur mariage à la mairie de Tilos (une île du Dodécanèse) en ce mois de juin. Eleftherotypia rapporte ainsi les paroles du représentant de la Communauté homosexuelle grecque (OLKE) après les mariages: “Le mariage entre homosexuels est légalement valide en Grèce, et aucune poursuite judiciaire n’a été entamée contre le maire de Tilos à ce jour”. La confiance exprimée par les responsables de cette communauté leur fait même prévoir de nombreuses célébrations de ce type dans les semaines qui viennent en Grèce. Cette affaire embête sérieusement le gouvernement qui veille à ce qu’elle “ne prenne pas une dimension internationale”. En clair, et d’après des informations livrées le 5 juin dans Ta Nea, les responsables politiques grecs craignent des retombées très négatives en termes d’image pour le pays dans le domaine du respect des droits de l’homme s’il s’oppose trop ouvertement à ces mariés non traditionnels. C’est pourquoi le processus pour la mise en place du “contrat de vie commune” aurait été accéléré: il permet de distraire l’attention un moment et de couvrir les réactions que ces mariages gay ont provoquées.
L’exclusion des homosexuels de ce contrat a aussi été décidée pour ne pas “heurter le noyau dur des électeurs conservateurs de la Nouvelle Démocratie (le parti au pouvoir actuellement) et l’Eglise” (lire Ta Nea du 5 juin). Ménager l’électorat de la droite conservatrice et religieuse, tout en essayant de se montrer “dans le vent” des unions modernes, voilà donc la marge de manoeuvre étroite du gouvernement. Néanmoins, les sondés ayant participé à l’enquête pré-citée “disent oui à 63,9 % au contrat de vie commune pour les couples homosexuels. Mais ils sont une majorité à refuser le mariage entre homosexuels” (voir l'article déjà cité dans Ta Nea). Pour Andrea Guilbert, représentante d’Athens Pride 2008, “si le contrat de vie commune valait aussi pour les couples homosexuels, nous n’aurions pas toute cette affaire des mariages de Tilos”. Il n’est donc pas sûr que la décision finale soit véritablement en accord avec “ce que demande la société”, pour reprendre les paroles laconiques du ministre de la Justice.
Enfin, n’oublions surtout pas que dans un pays comme la Grèce, il faut compter avec la puissante Eglise orthodoxe dont les avis ont une influence parfois non négligeable sur la vie politique. En l’occurrence, un article paru le 23 mars dans To Vima fait apparaître les positions extrémistes d’un certain nombre de responsables religieux, dont l’opinion n’a pu qu’influencer le contenu final du texte approuvant la mise en place du contrat de vie commune. L’opposition claire et nette à cette forme d’union a d’abord été le fait du métropolite de Thessalonique, déjà connu pour des déclarations intempestives nationalistes. Dans ce débat, il n’a pas hésité à caractériser le contrat d’ “officicialisation de la prostitution et de l’immoralité”, insistant sur “la porte désormais ouverte à la légalisation des homosexuels qui vivent ensemble”. La glace était brisée, et dès lors, c’est toute une galerie de métropolites qui a pris le relais pour exprimer son désaccord, avec des arguments souvent violents: le métropolite de Corinthe s’attaque à “l’Union européenne qui veut imposer un état laïc et athée”, le métropolite de Corfou s’interroge sur l’avenir de la famille dans de telles conditions et espère que “le peuple grec rejettera ces moeurs venues de l’étranger, comme il a déjà rejeté le mariage civil” (le mariage civil n’est pas une pratique très courante en Grèce). Face à cette montée désapprobatrice, le Synode orthodoxe a publié le 23 mars un communiqué qui ne parlait rien moins que de la “prostitution hors du mariage orthodoxe” et d’une “bombe destructrice tombée sur les fondations de la famille chrétienne”.
Il semble donc que les racines chrétiennes de l'Europe sont bel et bien vivaces en Grèce. On peut simplement se demander quelle orientation elles veulent donner à la société européenne...