Un Blanc en Inde
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Par Benjamin Boyer Bien que très médiatisée, la Chine n'est pas la seule main d'œuvre au service de l'Europe. Le deuxième pays le plus peuplé au monde sert aussi d'atelier pour le vieux continent... Je décide donc de partir à Bangalore, au cœur de la cité des ingénieurs afin de savoir ce que pensent les cols bleus de ce monde, des cols blancs d'occident...
Dès la sortie de l'aéroport, une affiche gigantesque donne le la du dramatique constat. D'environ vingt-cinq mètres sur cinquante mètres, cette dernière fait la publicité d'une crème commercialisée par un laboratoire européen pour blanchir la peau. Durant l'heure de route nécessaire pour accéder au centre de Bangalore, j'observe se succéder les voiles géantes mettant en scène les modèles publicitaire blancs du pays de Gandhi. Aucun de ces indiens alors représentés n'a la couleur de peau de ceux que je vois le long de la route.
Le lendemain, fatigué par le voyage, je fais une promenade dans un parc où mes accompagnateurs français et moi même sommes l'objet de toutes les curiosités. « Pour eux nous sommes blancs donc riche, ils savent qu'ici nous avons un pouvoir d'achat illimité, nous représentons un modèle pour eux. », m'explique une étudiante française en séminaire à l'Institut indien de management. On nous demande à plusieurs reprises si l'on peut nous prendre en photo. Parmi ces personnes, le directeur d'un parc raconte fièrement qu'il travaille pour le gouvernement. Suite à la séance photo on m'explique que « la photo sera ensuite très probablement affichée dans le bureau du directeur en question. C'est un témoin de réseau et de puissance que d'être en photo avec des blancs. », continue l'accompagnatrice.
Un peu plus tard dans la journée nous traversons la ville en rickshaw. Arrêté à un feu rouge, le conducteur se tourne vers moi, pointe du doigt un de mes grains de beauté et me demande « Quelle est cette maladie ? ». Dans l'imaginaire de ce monde où l'image de l'Européen est toujours celle d'un blanc totalement retouché à l'ordinateur, il n'est pas pensable qu'un « blanc » puisse avoir des tâches noires. C'est là le constat affligeant d'un monde en admiration devant une fausse idée de la lointaine Europe.
Des shampoings aux chaussures, en passant par la musique, les logiciels et même les Sari, ces magnifiques robes indiennes, tout est présenté par des figures blanches. Lors de la visite d'un temple près de la ville de Mysore, un policier évacue les personnes qui faisaient la queue devant nous, parce que nous sommes blancs. Plus tard lors de la visite d'un musée, le tarif affiché était de cinq roupies pour un indien, cent pour un touriste européen. La société indienne ne s'est pas encore débarrassé de l'inégalité que la violence colonisatrice britannique lui a fait assimiler.
Le service des touristes européens illustre parfaitement l'indifférence face à l'inadmissible. À plusieurs reprises on voit les employés des restaurants où nous faisons halte, manger nos restes. Cette alimentation dégradante fait partie intégrante du salaire médiocre qui fait survivre les travailleurs indiens. Par la suite, dans la mesure de leur accord, nous invitons à chaque fois nos conducteurs de taxi ou de rickshaw à manger avec nous.
Autour d'une assiette de riz, l'un d'entre eux raconte un peu son métier : « En fait la plupart des conducteurs ont un patron qui lui même a un patron et ainsi de suite. Il faut donner des sous à tout le monde. Moi je gagne bien ma vie, je ne travaille que treize heures par jour et je touche plus que la plupart des indiens. » La majorité des Indiens ont en effet des amplitudes de travail comparables à celles de la France lors de la révolution industrielle. Dans une ville comme Bangalore, beaucoup d'entre eux travaillent dans les usines et entreprises occidentales qui viennent exploiter une main d'œuvre au coût cassé. Ici l'on conçoit et l'on assemble les pièces d'ordinateur, les fours à micro-ondes ou encore les cartes mémoire sans jamais pouvoir les posséder. « Les publicités gigantesques que l'on voit partout ne s'adressent pas à la population, mais seulement à l'élite et aux occidentaux ». L'Inde me semble être un monde à deux niveaux, un niveau pour ceux qui regardent dans la rue et un niveau pour ceux qui regardent les publicités occidentales. Dans une société rythmée par les castes, « être européen suffit pour être tout en haut de la pyramide sociale, qui qu'on soit ». L'immense problème réside dans le fait qu'ils « veulent nous ressembler quitte à négliger leur identité culturelle, il n'y a qu'à voir les crèmes pour blanchir la peau ».
Cela dit, le mauvais mimétisme ne s'arrête pas là. La période de notre séjour coïncide avec les élections locales et l'on assiste à un théâtre de démocratie pour le moins époustouflant. Faisant hurler leurs klaxons dans la ville, des voitures peinturlurées aux couleurs des partis politiques s'arrêtent et distribuent on ne sait quoi. Naïvement je pense à des tracts, mais il n'en est rien et très vite on nous raconte le fonctionnement de la démocratie indienne... « ces voitures distribuent de l'alcool et de l'argent pour que les gens votent pour les partis qu'elles représentent, c'est normal ça se passe toujours comme ça ». Fausse démocratie à l'échelle locale, mais que peux t on penser de l'échelle nationale quand la troisième génération de la même famille brigue le pouvoir ?
À la lecture de ces quelques remarques, le lecteur pourra peut être se demander jusqu'à quand le mimétisme occidental adapté au tiers monde pourra durer sous forme d'un théâtre dramatique aux allures féodales. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Féodalité dans les castes, féodalité dans la répartition des richesses, féodalité envers l'occident et tyrannie de l'image du blanc.
B. Boyer