Ukraine : quelle place pour l'indépendance ?
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Monika MalbeauxCe qui se passe en Ukraine peut encore et surtout se lire à la lumière de certains journaux nationaux dont l'encre n'est pas maquillée. Tandis que la jeunesse fait l'objet de sévères représailles, les oligarques tentent plus que jamais de reléguer les fondements d'une révolution dans la rubrique faits-divers. Décryptage.
Mardi 3 décembre, le Premier ministre Azarov a officiellement déclaré la guerre aux manifestants. Dans son discours, il a souligné qu'il ne permettrait pas l'éclatement d'une nouvelle Révolution Orange en Ukraine. Aussi a-t-il annocé qu'en représailles, le territoire de la Galicie (qui englobe les régions de Lviv, d'Ivano-Frankivsk et de Ternopil) ne recevrait pas de financement en 2014. Cela implique l'arrêt des aides, des pensions et des salaires des fonctionnaires, ainsi que la fin des budgets alloués aux municipalités. De plus, le parquet de Kiev somme les universités de fournir les noms des étudiants manifestants. Les présidents de l'Université nationale Taras-Chevtchenko et de l'Académie Mohyla de Kiev ont pourtant déclaré, en soutien à leurs étudiants, qu'ils ne tenaient pas de tels registres. Les Ukrainiens craignent que ces actions ne soient que les prémisses d’une crise de plus grande ampleur. Qu'en disent les médias nationaux ?
QUATRième pouvoir vs oligarques
La plate-forme Vérité ukrainienne est la principale source d'informations objectives et impartiales. Devant l'impossibilité de bloquer cette page, les autorités en ont créé une autre sous le même nom, mais à une nouvelle adresse. Cette nouvelle plate-forme contient de fausses informations et a donc pour objectif la désinformation des Ukrainiens. En début de mois, plus de 20 journalistes ont été poussés à la démission de Korrespondent, l'hebdomadaire d'opinion russophone le plus lu du pays. A leur place ont été engagées des personnes liées à Rinat Akhmetov, l'un des plus influents oligarques ukrainiens.
Les médias liés aux oligarques et aux autorités utilisent tous les moyens à leur disposition pour opérer une manipulation de très grande envergure. Un exemple d'information délibérément faussée ? Cette photo d'un agent de Berkut (unité spéciale de la police ukrainienne, ndlr) se penchant sur une fille inconsciente : à première vue, il semblerait qu'il l'aide, mais en regardant le film d'où est tirée cette image il apparaît clairement qu'il la tire brutalement sur l'asphalte...
aujourd'hui victime, demain criminel
Qu'en est il pour les autres victimes tabassées ? On les retrouve dans un hôpital de Kiev où il sont soignés sous l’étroite surveillance de la milice. Ces derniers, tout comme ceux qui n'ont été que légèrement blessés, seront transférés directement à la maison d'arrêt où ils seront incriminés et jugés immédiatement pour provocations antigouvernementales et attaques envers les fonctionnaires des services spéciaux. Le week-end dernier, tout le monde traitait ces jeunes d'à peine vingt ans d' « enfants lésés » alors qu'aujourd'hui ils sont devenus les boucs émissaires du parquet de Kiev. Une assistante de recherche à l'Université de Taras-Chevtchenko m'a avoué : « J'ai peur que bientôt nous devenions une deuxième Biélorussie. Ou une nouvelle Corée du Nord »
Plusieurs observateurs de ces derniers événements se posent la même question : étant donné que l'opposition était consciente des possibles conséquences du maintien du gouvernement dirigé par le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, pourquoi ce dernier n'a-t-il pas été destitué ce mardi 3 décembre ? La réponse est simple mais douloureuse. Il faut savoir qu'en Ukraine ce ne sont pas les députés du Conseil suprême d'Ukraine qui gouvernent le pays, mais les oligarques, Akhmetov en tête. Ils dirigent d'immenses pans de l'industrie nationale et manipulent des sommes d'argent astronomiques, ce qui leur procure une influence puissante sur les décisions des plus hautes instances du pouvoir. Or, ils ont décidé que, dans le contexte actuel, le tandem Ianoukovitch-Azarov pouvait encore bien fonctionner et devait ainsi rester en place.
Les Ukrainiens se demandent combien de personnes seront victimes de la réaction des autorités face à leur appel au respect des lois constitutionnelles. Le Président reste sourd à la voix de sa nation. Après sa visite en Chine, il s’est rendu en Russie afin de décider d’un plan d'action avec Vladimir Poutine, comme il l'avait fait juste après son arrivée au pouvoir. Le Premier ministre Azarov, quant à lui, a adopté la tactique attribuable au tsar Pierre le Grand qui se résume en une phrase : « nous avons déjà un coupable, il faut maintenant trouver l'article de loi qui pourrait le condamner ».
Il ne faut pas oublier que la bataille entre les Ukrainiens et le pouvoir n'est pas finie. Il est à craindre que les manifestations en Ukraine finissent comme les protestations en Turquie : après une courte présence à la Une des journaux, ces dernières vont retomber dans l'oubli. De plus, dès que le monde regardera ailleurs, il se pourrait que le terme « représailles » ne devienne qu'un vague euphémisme, sur les bords du Dniepr.
Cet article a été publié sur cafébabel en langue originale le 6 décembre dernier.
Translated from Ukraińska Władza odpowiada protestującym