Ukraine : la nouvelle Biélorussie ?
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Monika MalbeauxLa Radio Svoboda a annoncé que le président Viktor Ianoukovitch avait signé toutes les lois répressives du 16 janvier 2014. Aux yeux de l'opposition ukrainienne cet acte démontre que le pays devient un État policier et que le pire scénario imaginé par les manifestants de l'Euromaidan commence à se réaliser.
Depuis le début des manifestations antigouvernementales, qui prônent le rapprochement de l'Ukraine avec l'Union européenne et qui ont encore gagné en force depuis fin décembre, les journalistes, politologues et représentants de l'opposition se demandaient quelle serait la réaction de l'administration de Ianoukovitch pour étouffer les manifestations. Il y a quelques jours, une séance du Conseil suprême d'Ukraine a fourni une réponse amère à cette question.
Les députés ont voté cinq nouvelles lois offrant aux autorités ukrainiennes de nouveaux outils pour lutter contre les manifestants. Les lois les plus controversées sont les suivantes : de vastes restrictions quant à l'organisation de manifestations et de rassemblements publics, passibles dorénavant de 15 jours de garde à vue, l'interdiction de collecter des informations concernant les fonctionnaires publics (juges, agents de police) – passible de 3 ans de prison, l'interdiction de diffuser des informations extrémistes (ou : à contenu nationaliste) – 3 ans de prison. La nouvelle loi ne ménage pas non plus la liberté de culte. Les églises menant des actions « extrémistes » risquent de devenir illégales. Le ministère de la Culture a ainsi prévenu l'église gréco-catholique ukrainienne qu'elle sera liquidée si elle continue à célébrer des messes sur la place de l'Indépendance.
Nouvelles lois, vieilles méthodes
Selon les nouvelles restrictions, les organisations non gouvernementales recevant des aides financières de l'étranger, deviennent de facto des « agents étrangers ». Ainsi, du point de vue juridique, elles cessent d'être des organisations à but non lucratif. Ce changement de statut nuit ainsi au budget des organisations en les soumetant à l'impôt et, pire encore, à l'obligation de fournir un rapport mensuel sur leur activité.
Quelques nouveaux textes de loi portent atteinte à la vie privée des citoyens, comme par exemple l'interdiction d'empêcher les autorités d'entrer dans son domicile (sous peine de 6 ans de prison), ou - autre exemple édifiant - la possibilité qu'auront dorénavant les autorités de limiter l'accès à Internet. Une tentative quelconque de contourner ces lois est à présent passible d'une amende de 6800 hryven (environ 670 euros). La diffamation, existant à l'époque de l'URSS, a fait son retour dans le Code pénal et est désormais punie de 2 ans d'emprisonnement. Ajoutons que même le Code de la route ne reste pas sans amendements : il contient, autre autres, l'interdiction de former des colonnes de voitures composées de plus de 5 véhicules sous peine de saisie de la voiture et du permis de conduire pendant 2 ans. De plus, les nouvelles lois permettent de verbaliser le propriétaire d'un véhicule sur la base de l'enregistrement d'une caméra de vidéosurveillance ayant enregistré un délit quelconque sans vérifier l'identité de la personne au volant au moment du délit. En outre, un autre texte de loi permet de condamner un accusé (même à plusieurs années d'emprisonnement) sans que celui-ci comparaisse devant le tribunal. Dans le même temps, les agents de l'unité spéciale de la police, dont la Berkut - tristement célèbre pour avoir tenté de mener une action de pacification de la nuit du 29 au 30 novembre dernier - sont libérés de toute responsabilité pour crime commis contre les manifestants.
La peur de l'occident
Quand à la fin de l'année dernière les habitants de Kiev partageaient avec moi leurs craintes en affirmant que l'Ukraine était en train de devenir une nouvelle Biélorussie, voire une nouvelle Corée du Nord, j'étais sceptique. J'espérais que la société ukrainienne, moins isolée de l'Occident et plus consciente de sa position internationale, protesterait de manière pacifique. J'espérais que le gouvernement n'entreprendrait pas de telles méthodes dans le souci d'éloigner le spectre de la guerre civile qui plane sur le pays. Pourtant, Ianoukovitch, en signant le dernier amendement du Code pénal, a enterré mes espoirs.
Ces amendements et les confrontations brutales entre les manifestants et la Berkut dans les premiers jours de cette année (plusieurs personnes ont été blessées dont Iouri Loutsenko, l'un des leaders de l'opposition, nda), repoussent à un temps très éloignée la date de la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne.
Face aux dernières actions des autorités ukrainiennes, les questions qui se posent sont les suivantes : l'Occident regardera-t-il avec indifférence la naissance d'une nouvelle dictature européenne ? Permettra-t-il que l'Ukraine devienne une nouvelle Biélorussie totalitaire, identique à la Russie, dirigée d'une main de fer, ou bien tentera-t-il de venir en aide à la société ukrainienne qui manifeste contre le pouvoir en place ? Malgré de nombreuses promesses de la part des hommes politiques européens, les Ukraieniens n'ont pour l'instant vu aucune action réellement dirigée contre ce président à fort penchant autoritaire. Les Américains annonçaient, entre autres, le gel de ses actifs financiers. Ce qui, pour l'heure, n'est toujours pas fait. La peur de l'Occident vis-à-vis de Vladimir Poutine, qui continue de distribuer les cartes dans la région, est-elle assez grande pour laisser l'Ukraine et sa société démocratique rétrograder de 20 ans ? Éspérons que cela n'arrivera pas.
Translated from Ukraina - nowe państwo policyjne?