UE : un pied-de-nez à la jeunesse de Macédoine du Nord ?
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PEZZETTAEn octobre dernier et sous la pression d’Emmanuel Macron, Bruxelles a retardé une fois de plus les négociations d’adhésion de la Macédoine du Nord à l’UE. Direction Skopje pour un reportage photo qui prend le pouls des jeunes générations sur ces tentatives de rapprochement.
« Procédons par ordre », déclare le président Macron à l'issue de la réunion des 17 et 18 octobre 2019 au cours de laquelle la Commission européenne a également proposé de lancer les négociations pour l’adhésion de l’Albanie. Tout en félicitant les réformes menées jusqu'ici par la Macédoine du Nord, Macron affirme qu'il « faut réformer l'Union et le processus d'adhésion avant d'entamer de nouvelles négociations ». La possibilité pour Skopje d'un rapprochement avec l’UE est une fois de plus renvoyée aux calendes grecques, bien que le statut de pays candidat lui ait été accordé dès 2005. Alors que la première proposition de la Commission de commencer les négociations date de 2009, l’objectif n’avait jamais paru aussi proche.
Une occasion manquée ?
Après l'abandon des lubies nationalistes du gouvernement de Nikola Gruevski, la Macédoine du Nord semblait voguer à toutes voiles vers l'Europe sous la direction de Zoran Zaev. Le leader du Parti Social-Démocrate (SDSM) parvient à régler, non sans exercer une certaine pression, l'interminable querelle du nom avec la Grèce. Un exemple de réconciliation qui a conduit à la disparition du nom ARYM (Ancienne République Yougoslave de Macédoine, ndlr) pour faire place à la République de Macédoine du Nord. Zaev a également signé un « traité de bon voisinage » avec la Bulgarie afin d'éliminer de vieux malentendus sur la langue et l'identité ethnique. En février dernier, il conduit même son pays à l'adhésion de son pays à l’OTAN.
Une partie de l’électorat a interprété ces changements comme autant de trahisons à l'identité nationale. Une question chère à Gruevski , qui en avait fait un thème central de son mandat, notamment en construisant au centre de la capitale des monuments au goût douteux, avec des symboles et figures très nationalistes.
Le départ manqué des négociations d'adhésion conduit Zaev à démissionner le 3 janvier 2020. Des élections anticipées sont appelées pour le 12 avril 2020.
Et s'ils se détournaient de l'Europe ?
Malgré l'optimisme et l'espoir de nombreux jeunes envers l'UE, avec 81% d'entre eux qui sont en faveur de l'adhésion, la résignation et la rancœur sont contenues avec peine.
Tandis que les plus grands partisans de l'identité nationale macédonienne préfèrent le renforcement des relations avec la Serbie et la Russie avec qui ils partagent une culture et une identité slave, la majeure partie des jeunes doit se faire à l'idée qu'elle ne sera probablement plus jeune quand l'UE ouvrira enfin ses portes.
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Que pensent les jeunes Macédoniens de cet énième blocage ? Comment imaginent-ils leur avenir en Europe ? Dans son photo-reportage, Jacopo Landi dresse le portrait des jeunes générations de Macédoine du Nord et questionne leur rapport à l'Europe.
Suite à la querelle sur le nom du pays avec la Grèce, la statue qui se dresse au centre de la place principale restaurée de Skopje est officiellement connue comme étant la « Statue du guerrier à cheval », pour éviter toute allusion à Alexandre le Grand
Jana, 28 ans, responsable de ressources humaines : « Je suis déçue de ce qui est arrivé mais aussi de notre changement de nom. J'espère néanmoins que les travaux sur le début des négociations d'adhésion se poursuivront. Je ne veux pas que mes enfants soient confrontés aux mêmes obstacles que j'ai rencontrés en dehors de l'UE et que j'ai ressentis dans ma propre chair. »
Stefan, Vladimir, Lazar et Anouar,ont entre 22 et 24 ans. Etudiants et militants des droits de l'homme, ils espèrent que « l'UE puisse nous servir de guide, nous aider à accepter ses valeurs et à sortir d'une corruption galopante. Nous avons encore l'espoir d'y arriver mais cela nous paraît très difficile à brève échéance. C'était notre meilleure occasion d'entamer les négociations. Le changement de nom ne nous intéresse pas vraiment, mais nous commençons à perdre espoir. L'UE prône des valeurs de justice, d'égalité et de transparence, mais ensuite ils font deux poids deux mesure. Ils nous demandent de la transparence, sans la pratiquer eux-mêmes envers nous. »
Skopje traverse actuellement une période de fort développement immobilier. Grues et chantiers apparaissent dans tous les quartiers de la capitale et de nouveaux bâtiments remplacent ceux qui ont été construits à la hâte après le terrible tremblement de terre de 1963.
Maja, 24 ans, pharmacienne : « Je suis une battante, j'ai pris part à toutes les protestations étudiantes, mais maintenant je suis fatiguée. Notre gouvernement a changé, mais il n'a rien fait de différent par rapport au précédent. Je pense que notre entrée dans l'UE ne changerait rien. Je crois qu'ils n'ont pas besoin de nous et que nous sommes un trop petit pays pour avoir du poids. Les gens se lassent et deviennent indifférents à la question. »
Blazhen, 27 ans, chercheur à Reactor , un think-tank visant à favoriser le processus d'adhésion à l'UE : « Les jeunes voient l'UE comme un endroit meilleur avec plus d'opportunités, mais il faut être deux pour danser le tango. L'UE veut-elle encore danser avec nous ? Je me sens triste de ce que fait Macron et je suis inquiet que cela puisse en influencer d’autres. J'ignore ce qui arrivera maintenant. Comment le gouvernement justifiera-t-il le changement de nom de notre pays ? »
La ville se développe inégalement : des immeubles neufs, parfois copiés sur des monuments célèbres d'autres métropoles, voisinent avec des quartiers anciens.
Bojan, 27 ans, président du Conseil national des associations de jeunesse : « Nous avons besoin de cultiver l'espoir et nous méritons la possibilité d'entamer les négociations d'adhésion. Notre société doit cependant changer en premier lieu pour les citoyens eux-mêmes, pas seulement pour l'UE. Nous croyons avoir besoin d'entrer dans l'UE pour nous améliorer, mais en réalité il faut que le changement parte de l'intérieur. Nous sommes aujourd'hui à un tournant et notre seul choix est d'aller de l'avant, sinon nous ferions un énorme bond en arrière. Une date de début des négociations nous est aussi nécessaire que l'air que nous respirons. »
Eva, 18 ans, lycéenne : « Je suis d'accord quand Macron dit que l'UE a besoin de temps pour retrouver son équilibre, mais c’est injuste que la Macédoine en paie le prix. Toutefois, je ne crois pas que notre pays soit prêt pour entrer immédiatement dans l'Union. Ce serait une bonne chose pour les étudiants et cela nous simplifierait bien la vie, mais avant nous devons résoudre quelques problèmes internes. J'aimerais pouvoir être optimiste, mais ce n'est pas facile. Beaucoup de choses doivent encore changer. »
Un chien errant se repose près de l'entrée d'un immeuble non rénové, à deux pas de la gare centrale.
Simon, 16 ans, lycéen : « Je pense que la Macédoine du Nord a un brillant avenir dans l'UE. Notre entrée dans l'Union améliorerait, je crois, notre système éducatif et nous pourrions donner de meilleures chances aux étudiants. L'UE peut faire disparaître la corruption de notre pays. Bruxelles est au courant de nos problèmes et c'est la raison pour laquelle on nous a refusé l'entrée, mais je suis convaincu qu'un jour nous réussirons.»
Darko, 24 ans, vice-président de la section jeunesse des syndicats de la santé : « Maintenant nous devons nous concentrer sur l'avenir pour avancer. Notre région est remplie de divisions, mais si nous regardons uniquement le passé, nous resterons englués. Les jeunes pensent que l'UE est un lieu où chacun peut être respecté pour ce qu'il fait, où certaines valeurs sont partagées et les droits fondamentaux garantis. »
Le centre de Skopje a récemment vu surgir de nombreux monuments avec l'objectif, fixé par le précédent gouvernement conservateur, de faire ressembler la ville à d'autres capitales européennes tout en renforçant l'identité nationale macédonienne. Le projet, qui a soulevé de nombreuses critiques, tant pour son coût que pour ses partis pris esthétiques, a été baptisé «Skopje 2014 ».
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Anita, 25 ans, psychologue : « Nous ne sommes pas stupides, nous savons que l'UE n'est pas parfaite, mais nous nous sommes sentis trahis. Notre histoire récente a été turbulente, pourtant beaucoup de choses ont changé, même s’il reste beaucoup à faire. Je pense que la Macédoine du Nord est comme une classe sans maître. L'UE pourrait être le guide qu'il faut à notre pays, mais s'ils veulent nous aider, ils devraient le faire à travers le processus d'adhésion et ne pas nous laisser dehors. Je crains malheureusement que les délais ne soient longs avant que quelque chose n'arrive, mais je voudrais voir des changements dans mon pays. »
Une mosquée près de l'autoroute qui relie Skopje à la ville voisine de Tetovo. Environ un quart de la population est d'ethnie albanaise et la majorité d'entre elle est musulmane.
Muhamad, 25 ans, étudiant en sciences politiques et membre du parti Mouvement Besa : « Je pense que pour nous beaucoup de choses s’amélioreraient avec notre entrée dans l'UE : il existerait un mécanisme contrôlant nos hommes politiques. Nous avons besoin d'une poussée en avant. Le gouvernement actuel n'a rien changé par rapport au précédent, à part le nom. La corruption est encore massive et la langue albanaise n'a toujours pas le rôle qu'elle devrait avoir. Notre système judiciaire doit être réformé et soustrait au contrôle politique. Je ne pensais pas que nous pourrions entrer dans l'UE cette fois. Je comprends pourquoi Macron a refusé : nous avons encore du travail à faire. »
Filip, 29 ans, photographe : « Je pense que nous sommes amis avec l'UE et parfois les amis se querellent et se déçoivent mutuellement. Peut-être que ce qui est arrivé sera une leçon pour tous les deux. Je crois encore que l'adhésion est pour nous l'unique voie car nous ne sommes pas capables de changer seuls. Je suis déçu, mais j'espère encore. Ce n'est pas juste que la Roumanie et la Bulgarie aient adhéré et que depuis l'UE soit devenue plus exigeante. Je suis optimiste pour l'avenir mais je n'irai pas voter aux prochaines élections car je n'en peux plus de nos hommes politiques. »
Julijana, 27 ans, graphiste : « Je pense que les jeunes d'ici voudraient des choses mieux organisées. Beaucoup se sentent piégés, coincés par le manque de mobilité. J'en ai assez de voir des gens qui attendent que quelque chose arrive. J'encourage ceux que je rencontre à être actifs et à avancer dans leur vie, à faire les choses importantes pour eux, avec ou sans l'Union. Rester assis à attendre ne mène à rien. »
Un panneau autoroutier rappelle la contribution de l'UE à la construction de la route. Bien qu'elle ne soit pas un pays membre, la Macédoine du Nord reçoit déjà des aides économiques de Bruxelles. L'autre autoroute du pays a été construite grâce à l'aide de la Chine.
Jacopo Landi est un photographe freelance né à Salerne et élevé à Trieste. Il a étudié la photographie à l'école EFET de Paris. Il a vécu un an à Skopje, en Macédoine du Nord. Il réside actuellement à Trieste. Pour une vue d'ensemble des travaux de Jacopo Landi, voir le site web du photographe.
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Translated from Se l'Europa snobba i giovani della Macedonia del Nord