UE : le citoyen a-t-il disparu ?
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L’Union européenne ne fait plus rêver les citoyens. Elle s’est éloignée de leurs espérances – preuve en est avec la montée des partis eurosceptiques – et elle semble figée dans son fonctionnement. Pourtant, les europhiles n’attendent qu’un mouvement de la part des Européens pour changer la trajectoire du continent. Ils le répètent sans cesse : c’est à vous de manifester vos choix.
Les conférences sur l’avenir de l’Union européenne (UE) commencent à se multiplier à l’approche des élections européennes. Si les salles restent parsemées, les intervenants sont unanimes pour souligner le rôle que doivent néanmoins tenir les citoyens. « Nous sommes à un moment important de ce continent et les gens ne le voient pas » regrette l’eurodéputée Sylvie Goulard lors d’une conférence au Conseil Régional d’Alsace. Ces élections sont cruciales dans la mesure où elles vont déterminer l’élection du prochain président de la Commission, et par cette même occasion la direction politique de l’Union.
L’intérêt pour les questions européennes décroît cependant toujours plus. Alors qu’en 2009, 16% des citoyens européens avaient une image négative de l’UE, ils sont désormais 29% selon l’Eurobaromètre. Le projet européen est devenu une victime collatérale du sauvetage de l’euro. Les politiques menées visent davantage à maintenir la monnaie unique la tête hors de l’eau qu’à susciter un sentiment d’appartenance au sein de la population. Alternative pour l'Allemagne, le nouveau parti anti-euro en Allemagne, prône justement une sortie de la monnaie unique. Une action qui mènerait vers des dangers géopolitiques avec le retour des crises de change, selon les propos de François Heisbourg. L’auteur de La Fin du rêve européen et président de l’institut international pour les études stratégiques a débattu des orientations que pourrait suivre l’Union, avec l’économiste Michel Dévoluy et l’historien Martial Libera, lors d’une table-ronde organisée par France Culture dans le cadre du Forum mondial pour la démocratie. L’eurodéputée du Modem estime pour sa part, en analysant la situation, que les extrêmes font tout dans les pays membres pour mettre à mal la construction européenne. « Beaucoup partent en guerre contre l’Europe mais ils n’y connaissent rien. Ils confondent cette élection avec un défouloir », s’emporte-t-elle.
Une Europe à réinventer
Car si l’eurosceptisme grimpe, c’est parce que les institutions de l’UE semblent inopérantes. « On dénonce son intrusion dans la vie quotidienne mais son inaction dans les sphères importantes de la diplomatie » souligne Martial Libera. Pour Sylvie Goulard, l’UE ne doit justement pas être proche des citoyens mais s’occuper de l’international. « Pour les problèmes locaux, il y a la Région. L’UE devrait se charger des relations avec la Chine, les États-Unis ou du changement climatique. Il y a une répartition des compétences à trouver. » L’Europe ne correspond plus du tout au projet qu’on s’en faisait, d’après les sondages. « La crise a révélé des problèmes fondamentaux » confesse Michel Dévoluy.
« L’Europe a investi depuis 1990 des prérogatives qui n’étaient pas les siennes » explique Martial Libera. Et les dysfonctionnements sont aussi internes. Depuis le début de la crise économique, le Conseil européen a pris une importance anormale. « Si l’on poursuit dans cette logique intergouvernementale, on va droit dans le mur », prévient Michel Dévoluy. L’issue avancée par les trois hommes est de transformer l’Union en une Europe fédérale. Mais voilà, la solution n’est pas si simple. Comme le soulève Michel Dévoluy, « si l’on faisait une offre fédérale aujourd’hui en Europe, les citoyens l’accueilleraient mal car ils veulent des solutions à leurs problèmes économiques. Et les États n’ont aucune raison de changer de modèle ».
Rien n’est encore perdu. « L’histoire de l’UE est jalonnée de crises, comme avec la CED dans les années 50, ou avec le rejet du référendum en 2005 », rappelle Martial Libera. Cette crise n’est donc qu’une épreuve supplémentaire que les Européens doivent résoudre ensemble. L’historien propose l’élection d’un président de l’Union européenne pour raviver l’engagement des Européens. « Cette solution ne suffit pas, s’exclame François Heisbourg, fut-elle une belle image. Il faut un gouvernement élu qui prenne des décisions au nom de tous et vote des impôts européens. »
Tous les intervenants s’accordent finalement sur un point : pour changer l’Europe ou donner plus de poids au Parlement européen, élu démocratiquement, il faut changer les traités. « Ce ne peut qu’émaner d’une initiative des citoyens », conclut François Heisbourg.
Tous propos recueillis par Célia Garcia Montero, à Strasbourg.