« Ubériser » : la concurrence à fond la caisse
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En bonne linguiste, je suis attentive aux néologismes – ces petites créations linguistiques qui viennent bouleverser notre rapport à la langue. En voilà un issu d’un processus de suffixation en passe de glisser d’une langue spécialisée de marketeur à la langue courante : ubérisation. Mettez votre ceinture, ça va aller très vite.
En tapant « définition ubériser » sur Google, aucune occurrence ne s’affiche. Et pourtant, Rue89, Les Échos, Le Point, France Inter et France Info parlent d’un phénomène créé par Uber, créateur depuis 2009 d’applications mobile de mise en contact entre les utilisateurs et les conducteurs de différents services de transport, qui bouleverse l’entreprise du 21ème siècle. Ce serait Marc Levy, le PDG de Publicis, qui l’aurait utilisé pour la première fois, impuissant face à la montée des entreprises dites technologiques, véritables viviers de geeks qualifiés.
Au-delà de l’email et du Powerpoint
Voici des tentatives de définition de « uberiser » - sans accent - issues de Wikipédia. Sens n° 1 : « Modifier en prenant Uber comme exemple ». Exemple : « Si vous ne croyez pas que votre métier puisse être uberisé, vous allez vous faire surprendre par des acteurs qui ne sont pas des historiques de votre métier. » Sens 2 : « Ringardiser, faire disparaître, un concurrent dépassé par l’innovation technologique. » Contexte : « Tout le monde a peur de se faire uberiser ».
Il semblerait pourtant qu’une autre définition se dégage de tous ces articles. On parle de « l’avènement de l’autoentrepreneur », de « l’uber économie ». Autant de périphrases qui annoncent une transition particulière de notre économie vers des échanges de services atomisés, d’indépendant à indépendant. Après AirBnB et Amazon, Uber grignote des parts de marché aux plus grands, et supprime les intermédiaires du transport. Le salariat va-t-il se faire uberiser lui aussi ?
« Les grandes entreprises ont longtemps cru que le numérique se limitait à créer un site vitrine pour leur entreprise, communiquer par e-mail et faire des présentations PowerPoint. Elles réalisent que c’est beaucoup plus vaste que ça : cela affecte le rapport au client/consommateur, la circulation de l’information au sein de l’entreprise, la gestion des relations humaines, la conception même des produits... », expliquait Pierre Haski sur Rue89.
Tête-à-queue numérique
En résumé, l’ubérisation démontre encore un peu plus à quel point notre rapport au temps change depuis la création d’Internet. Avant que Facebook ne devienne plus populaire que le chat d’MSN en l’espace de 3 ans, avant que Wordpress ne remplace nos petits Skyblogs, les entreprises devenaient millionnaires sur des décennies. Aujourd’hui, les grands du Net s’imposent en 5 ans en moyenne.
« Le succès d'Uber est évidemment l'exemple le plus criant. Créée en 2009, l'entreprise est aujourd'hui présente dans 58 pays, génère un milliard de chiffre d’affaire et représente une valorisation boursière de 40 milliards de dollars, c'est colossal, c'est plus que toutes les compagnies aériennes américaines réunies, affirme Isabelle Chaillou, journaliste, sur France Info. Gare à l’indigestion cependant, car le Web semble aller si vite qu’une sortie de route reste probable, même pour les grands acteurs du numérique. On parlerait alors « d’auto-uberisation », sorte de tête-à-queue numérique.