Tusk fait le service après-vente du plan Juncker au Parlement européen
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Le 13 janvier, le nouveau Président du Conseil européen, Donald Tusk, venait défendre le bilan de la réunion du premier sommet européen. Entre l’Ukraine et Charlie Hebdo, le plan Juncker a occupé une place de choix dans le plaidoyer du nouveau Président du Conseil européen.
Le deuxième et nouveau Président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, est venu soutenir le bilan du premier sommet européen sous son mandat devant le Parlement européen le 13 janvier.
Ainsi, après un bref hommage aux victimes des attaques terroristes de Charlie Hebdo et de la Porte de Vincennes, Donald Tusk a tenu à éclaircir ses positions quant à la nouvelle version « allégée » du sommet européen, qu’il a su résumer en quelques mots cinglants : « Tout défendre, ce n’est rien défendre. Avoir dix priorités, c’est n’en avoir aucune ». D’où le choix de n'en inscrire que deux seulement à l’ordre du jour : le plan d’investissement et les relations entre l’UE et l’Ukraine.
Sans doute, la part du roi dans les débats est revenue au plan d’investissement. Le « Fonds européen pour les investissements stratégiques n’est pas la panacée. Mais si quelqu’un a une idée pour surmonter la crise d’un coup, s’il vous plaît, parlez ! », a lancé en anglais le Polonais au Parlement européen durant son intervention.
Un peu plus tard, il a dû délaisser un temps la langue de Shakespeare au profit de la sienne afin de mieux manipuler le glaive rhétorique pour exposer le plan du FEIS sans ambages. Il a ainsi rappelé que les critères afin de sélectionner les projets ne seront pas politiques, mais économiques. « C’est pour cela que les États ont décidé de laisser la gestion du fonds à des gens qui connaissent vraiment le sujet, en particulier les banques, car seules celles-ci sont à même de trouver la meilleure façon pour garantir la croissance et l’emploi », a-t-il ainsi affirmé avec force et aplomb devant l’hémicycle.
Le plan Juncker : kézako ?
Mais au fait, qu’est-ce donc le plan Juncker au juste ? Le 25 novembre dernier, la Commission présentait le plan d’investissement de plus de 300 milliards d’euros annoncé par Jean-Claude Juncker en juillet, plan sur lequel il avait grandement capitalisé afin de sécuriser les votes des sociaux-démocrates à l’époque.
Le projet révélé par Jyrki Katainen, Vice-Président de l’exécutif en charge de l'emploi, de la croissance, des investissements et de la compétitivité, a pourtant de quoi décevoir. Le Fonds européen pour les investissements ne sera en effet pas stricto sensu doté de 315 milliards d’euros, comme peuvent le chanter à tue-tête promoteurs et détracteurs du projet, mais d’un capital de 21 milliards d’euros, dont 5 milliards d’euros en provenance de la Banque d’investissement européenne (BEI), en plus de la garantie d’une provision de 8 milliards de fonds européens existants qui pourrait atteindre 16 milliards. L’objectif ici affiché est de créer un effet multiplicateur de 15, c’est-à-dire qu’un euro garanti par le fonds permettrait de lever 15 euros d’investissements privés, soit 315 milliards d’euros. Certes, libre aux États membres de mettre plus d’argent sur la table.
Ainsi, le plan financerait de grands projets déjà partiellement listés, mais aussi ceux de moindre envergure portés par des PME. Selon les dires de l’instigateur même du plan, il s’agit avant tout d’un fonds de solidarité destiné aux pays du Sud et en difficultés. Ainsi, le Fonds est dirigé par un conseil d’administration paritaire entre la Commission et la Banque européenne d’investissement. Aucun quota par pays n’est en l’occurrence prévu, faisant la part belle au fédéralisme plutôt qu’à l’intergouvernementalisme. L’autre objectif visé est de dépoussiérer le mode opératoire de la BEI, considérée par nombre comme trop timorée dans ses investissements, ceux-ci ciblant en priorité les projets présentant le moins de risques.
Entre déception et craintes
Le projet semble pavé de bonnes intentions. Il le serait aux yeux de certains plutôt semé d’embûches. Des eurodéputés, à l’image de Philippe Lamberts, président du groupe des Verts/ALE au Parlement européen, mettent en doute même l’efficacité du plan. « Difficile de croire qu'avec 21 milliards d'argent déjà sur la table, nous allons pouvoir mobiliser 315 milliards d'euros », déclare-t-il dans un communiqué. Pour lui, il serait plus efficace de lutter contre l’évasion fiscale et de réinjecter les sommes colossales ainsi récupérées dans l’économie réelle.
Pour nombre d’experts, les modalités du plan reproduisent les erreurs des plans actuels : les risques financiers vont être endossés par le public afin d’attirer davantage de fonds privés. Ainsi, si un projet se solde par un échec commercial, ce seront ces mêmes fonds publics qui courront à son secours, selon l’ancienne règle bien connue disant qu’il faut socialiser les pertes et privatiser les profits.
L’autre risque, c’est celui de financer de grands projets en minorant leurs coûts sociaux et environnementaux, à l’instar du barrage de Sivens ou de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui menacent des petits producteurs locaux et des biotopes protégés.
D’aucuns enfin s’inquiètent de voir attribuer un tel rôle à la BEI, à l’instar de Xavier Sol, de l’ONG Counter Balance qui s’était confié à Médiapart en décembre dernier. Selon lui, la banque cumulerait en effet les tares. Le processus décisionnel n’aurait pas évolué depuis sa création à la fin des années 1950 : le comité de gestion aurait toute puissance, sans que les États membres aient de réel contre-pouvoir. Les activités de la banque resteraient peu transparentes. Il serait par exemple difficile d'accéder à la liste des PME soutenues. Les rapports qu’elle publie restent vagues, ce qui empêcherait de mesurer avec précision l’impact réel de ses activités sur l'économie. Enfin, il existe un problème de moyens humains : « la BEI prête aujourd’hui deux fois plus que la Banque mondiale, avec trois fois moins de personnel » rappelle Xavier Sol.