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Tunis libérée, reportage un mois après l'insurrection

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Simona M.

Politique

Un mois après le déclenchement de la révolution qui a contaminé le reste de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, Tunis resurgit, avec ses habitants qui découvrent la saveur des libertés retrouvées. Un reportage au milieu de ses flamants roses, ses hôtels fermés, ses commençants et ses citoyens remplis d'espoir.

Vu depuis le hublot de l'avion, Tunis apparaît comme une vaste rangée de maisons blanches accrochées aux rochers là où le lac enlace la mer. Des flamants roses rident l'eau en marchant légers sur sa surface, comme s'ils imitaient Jésus Christ. Dans les rues, le parfum du jasmin et du thé aux pignons accueillent le visiteur qui a la chance de voir le pays au moment le plus excitant de son histoire contemporaine. Les autres activités sensorielles se retrouvent partagées entre, d'une part, l'étourdissement provoqué par les klaxons et le chaos autour de l'avenue Bourguiba et, d'autre part, l'étonnant image des chars de combat qui surveillent les banques, les rues et les palais du gouvernement. Et même quelques supermarchés.

« Les touristes demeurent une illusion lointaine »

En effet, à cause des attaques récents à la chaîne Monoprix (qui appartient à la liste noire des entreprises proches de la famille de Leïla Trabelsi-Ben Ali), les clients du supermarché Carrefour sont invités à se diriger, depuis le parking, vers la seule entrée qui n'est pas barrée par une double couche de fil de fer électrifié. L'hôtel qui aurait dû m'héberger est fermé : un assaut mené par des cambrioleurs a obligé le manager à fermer les portes du Regency. « De toute façon, en ce moment les touristes demeurent une illusion », m'explique-t-il. On m'envoie au Ramada, pas très loin, dans le quartier qui se trouve entre la Marsa et le splendide village de Sidi Bou Saïd. Là aussi, on craint les incursions et les « effets domino » ; le personnel est réduit au minimum.

Les Tunisiens redécouvrent aujourd'hui – ou découvrent simplement, ce qui est le cas de beaucoup d'entre eux – le plaisir de s'informer avec la radio, la télévision, les journaux. Sur Internet aussi, depuis que, il y a quelques semaines, la censure de Twitter, Facebook et You Tube s'est achevée. Mais c'est surtout dans la rue que les voix se lèvent. La place publique reste le principal vecteur de l'information, dans un pays où la profession de journaliste a été anesthésiée par des décennies d'inaction, habituée aux informations toutes prêtes des bureaux des relations presse présidentiels : le sujet, son développement et ses ouvertures déjà prêts sur la table, à publier sans révision.

Liberté de la presse

Le journal la Presse joue un rôle fondamental dans le réveil après cette longue torpeur médiatique. La preuve, lors du premier jour d'arrêt du couvre-feu du soir (mardi 15 février), le journal sortait avec une initiative à la Orson Welles en proposant une édition postdatée symboliquement au 16 juin 2014, jour où on aurait dû assister à de nouvelles élections fictives qui auraient célébrées l'omni-président Ben Ali. Cette représentation s'étale sur plusieurs pages ; le journal nous indique aussi que le Musée de la Révolution Tunisienne fait maintenant partie de la liste de l'Unesco qui énumère les 50 sites les plus visités au monde, et nous décrit le tremblement des Brésiliens qui débutent la compétition pour la Coupe du Monde face aux aigles de Carthage. Même les dessinateurs ont chargé leurs stylos avec de l'encre au vitriol: il est évident que l'état d'urgence toujours en vigueur n'arrive pas à arrêter l'envie des journalistes de se racheter. La même envie est partagée par tout un peuple qui, pendant trop longtemps, a évité de parler de politique et qui n'a sûrement jamais osé le faire sur un ton satyrique.

Avec une édition spéciale, le quotidien tunisien s'est projeté en 2014

Les plus pauvres partent à Lampedusa

Dans les rues de la médina (vieille ville), le sentiment de fierté dépasse même la peur : « On a enfin compris quelle était la valeur de 94% des voix pour Ben Ali. Le peuple a montré ce qu'il est capable de faire, je suis fier que la révolution soit partie d'ici, que la Tunisie soit un exemple pour nos frères nord-africains ». Naceur a 44 ans et un étal de quincaillerie et d'artisanat local à Sidi Bou Saïd. Lorsque nous lui achetons quelques objets, il s'incline, déférant: « Merci, messieurs, pour avoir contribué à relancer l'économie tunisienne », remercie-t-il à la fin d'une négociation particulièrement épuisante. Puis, en l'absence d'autres clients à qui consacrer son attention, il se livre à des confidences : « De nombreuses personnes, les plus pauvres, partent pour l'île de Lampedusa ou la Sicile dans des embarcations de fortune et peuvent payer jusqu'à 4000 dinars (2000 euros) pour se faire transporter en Italie ». Mais , malgré les déclarations du ministre italien de l'Intérieur, Roberto Maroni, la botte transalpine est rarement la destination finale de ces immigrés : la destination rêvée des Tunisiens reste souvent la France. Non seulement pour une question linguistique, mais aussi pour des raisons d'attraction et d'opportunités.

« Ils doivent nous l'emmener ici, avec le cercueil ouvert ! »

Adel, 49 ans, la peau foncée et asséchée par le sable de Tozeur où il a passé son enfance, nous avoue qu'il craint que les militaires ne prennent le pouvoir. Mais, après quelques jours de blâmables pillages qui ont fait suite à la révolution, mêmes les grèves s'essoufflent et le pays semble doucement se diriger vers un retour à la normale. Le couvre-feu est fini et les gens commencent à trouver le courage de sortir le soir. En même temps, la haine contre l'ancien président ne s'apaise pas, malgré les dernières informations sur l'état de santé de Ben Ali : Massimo, 35 ans, immigré italien de la troisième génération, n'y va pas avec le dos de la cuillère : « Ils doivent nous l'emmener ici, mais avec le cercueil encore ouvert, pour qu'on puisse vérifier que c'est bien lui. Et il vaut mieux pour lui qu'il ne se représente pas vivant dans notre pays, car sa fin serait certainement pire que n'importe quelle conséquence de sa maladie ».

Le pays peine à remettre l'industrie du tourisme en marche après le mois de révoltes populaires

Dehors, la pluie coule sur le décor saturé de couleurs, remplit les fleuves, les lacs et les rues dépourvues de bouches d'égouts, tandis que les véhicules font de l'aquaplaning sur d'énormes flaques. Un groupuscule d'individus s'agite devant les écrans de télé à l'extérieur d'un bar. Les images racontent les émeutes qui ont lieu à Bahreïn et au Yémen. La révolution partie du désert autour de Tozeur a marché en avance rapide, à grand coup de social network et de bouche-à-oreille, en chassant des dictatures et en faisant trembler des régimes vieux de plusieurs décennies dans le monde arabe. Un jeune que j'ai rencontré dans la journée me demande mon amitié sur Facebook. Il n'a pas encore d'image personnelle sur son profil. La métaphore est là, limpide : comme dans son cas, le visage de ce pays reste à esquisser.

Photo: Une : (cc) (cc) John Yavuz Can/flickr; La Presse, impression d'écran da lapresse.tn; Sidi Bou Said (cc) jean-pierre jeannin/flickr

Translated from Libertà di stampa, sete di giustizia, voglia di democrazia: Tunisi cerca il suo nuovo volto.