« Tous les jeunes Iraniens sont de potentiels journalistes »
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En visite en Espagne à la mi-janvier, l’avocate iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix en 2003, est venue dialoguer avec ses confrères madrilènes. L'occasion surtout de l'entendre parler des mouvements sociaux actuels dans son pays. Depuis le semblant d'élections de juin 2009, le peuple revendique sa voix pour un autre président. Et se joue de la censure grâce aux nouvelles technologies.
Le 11 février 2010, les opposants et les supporters d'Ahmadinejad descendront dans la rue pour célébrer le 31e anniversaire de la révolution islamique. Une manifestation sous haute-tension.
En juin dernier, les élections présidentielles iraniennes reconduisaient Mahmoud Ahmadinejad aux commandes de l’Iran avec 62,6 % des suffrages. Une élection ? Plutôt une plaisanterie, si tant est que l’on ait envie d’en rire… Depuis l’annonce des résultats, on ne compte plus les voix s’élevant, d’Iran et d’ailleurs, pour dénoncer cette mascarade qui a tenu lieu de processus électoral. Des observateurs internationaux empêchés d’observer, des urnes bourrées, d’autres volées, des taux de participation dépassant 100% dans certains villages…, les nombreux témoignages laissent peu de doutes quant à la véracité de la fraude.
Selon des fuites ministérielles, le candidat réformateur Mir Hussein Moussavi serait en réalité arrivé en tête des suffrages avec 45,2 % des votes, suivi de Mehdi Karoubi, l’autre candidat réformateur. Le chanceux président, en revanche, n’aurait du avoir droit qu’à la troisième marche du podium avec ses 13,6 % d’électeurs. Dès l’annonce des résultats, des millions d’Iraniens sont descendus dans les rues pour manifester leur désaccord. « Where is my vote ? », a-t-on pu lire sur des pancartes griffonnées tantôt en farsi tantôt en anglais. Très vite, le peuple iranien a été relayé dans le monde entier par l’autre peuple iranien, l’expatrié, qui se demande lui aussi où est passé son vote.
Les médias bâillonnés
«Ce que nous attendons de l’Occident, c’est de la solidarité»
En Europe, on a dit et entendu beaucoup de choses sur cette élection. Pour Shirin Ebadi, les deux médias étrangers Voice of America et BBC sont parasités depuis le début des manifestations. « Les journalistes étrangers ont été renvoyés et ceux qui sont sur place n’ont pas le droit de transmettre les informations. En Iran, la censure est extrêmement forte. Selon Reporters sans frontières, c’est le pays qui compte le plus de journalistes emprisonnés au monde », ajoute-t-elle. En prison également les manifestants jugés par le gouvernement comme représentant « une menace à la sécurité de l’Etat ». Dans ce climat, « les nouvelles technologies ont permis à tous les jeunes Iraniens de se transformer en journalistes potentiels. Il n’y a que grâce à eux que l’information continue d’être transmise à l’étranger », conclut Shirin Ebadi qui s’occupe elle-même d’une ONG interdite en Iran, le Cercle des défenseurs des droits de l’homme, qui consiste justement à défendre gratuitement les prisonniers politiques.
Une mobilisation profonde
Une vague verte a frappé l’Iran et continue d’y laisser sa trace indélébile. Le vert, c’est la couleur de Moussavi, le candidat malheureux. C’est aussi celle de l’Islam et celle de la liberté. Dans ce combat, les Iraniens font preuve d’une grande intelligence : ils ne réclament ni la démocratie, ni ne contestent le régime. Ils demandent simplement que leur voix soit entendue et que ne leur soit pas volée (aussi) la liberté de choisir leur dirigeant. La seule chose que les Iraniens revendiquent aujourd’hui, c’est l’annulation des élections. D’ailleurs, certaines voix se sont élevées au sein même de l’appareil politico-religieux iranien pour, les unes, dénoncer la fraude électorale, et les autres condamner la violence utilisée contre les manifestants. Le grand ayatollah Montazeri notamment avait déclaré au sujet des résultats électoraux qu’il s'agissait là de « quelque chose qu’aucun esprit sain ne peut accepter ». Pour autant, Shirin Ebadi rejette toute intervention extérieure, « ce que nous attendons de l’Occident, c’est de la solidarité. Faites pression sur vos gouvernements pour que soit abordée avec l’Iran la question de la violation des droits de l’homme et non plus seulement celle du nucléaire. »
Et l'avenir
Depuis huit mois, la mobilisation ne faiblit pas. La violence de la répression non plus. Les manifestations hostiles au gouvernement étant interdites, les opposants redoublent d’imagination pour envahir les rues en profitant par exemple des manifestations officielles religieuses. Nul n’est prophète pour savoir quel sera l’avenir de ce soulèvement postélectoral, mais il est certain que dans le cas où les protestations se poursuivraient, « ce mouvement n’aboutira pas du jour au lendemain. La Révolution iranienne de 1979 avait commencé trois ans plus tôt », ajoute la chercheuse Azadeh Kian-Thiébaut. En refusant d’écouter le peuple, le gouvernement pourrait être en train de creuser sa propre tombe. Selon Shirin Ebadi, « le peuple est fatigué et il n’a rien à perdre. Le gouvernement lui a tout pris : sa fierté, son histoire et ses droits. » Cette fraude électorale et la violence de la réponse étatique face à la légitimité et le pacifisme des manifestations achèvent la mutation de la République islamique en dictature. « Rien ne sera plus jamais comme avant », lancent les Iraniens en exil à Paris.