Tour d'Europe des révoltes en 1968
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Après des années de forte croissance économique, la rébellion couve dans les usines de l'Europe entière. Droit du travail, hausse des salaires mais aussi liberté d'expression et libération sexuelle, les revendications de 1968 ont fait vibrer le Vieux continent. C'était il y a 40 ans.
Place de la Bastille, à Paris, les étudiants manifestent en mai 1968. (Jean-Claude Seine/DR)
Avec Franco, seules les femmes mariées ont droit de 'cité'
Les échos de Prague et de Paris parviennent aux portes des universités espagnoles. Les étudiants manifestent contre les « gris », la police 'politique et sociale'. Les facultés sont fermées. La classe ouvrière manifeste massivement dans les rues pour exiger, enfin, des droits sociaux et des libertés publiques.
5 000 mineurs du Nord du pays se mettent en grève alors qu'ils n'en ont tout simplement pas le droit. Le régime de Franco se voit dans l'obligation de s'ouvrir à la modernité. Résultat : les femmes, mariées uniquement, peuvent devenir conseillère municipale.
1968, c'est aussi l'année de naissance du prince héritier. Aux terrasses des cafés, on fredonne avec une fierté toute patriotique l'air de la chanson La, la, la de Massiel, la grande gagnante de l'Eurovision que l'Espagne remporte pour la première fois.
Au nom de la démocratie : le Printemps de Prague
Alors que les étudiants des autres pays se rebellent contre le matérialisme et la société de consommation, les citoyens tchécoslovaques se battent pour leurs droits fondamentaux, de leur liberté d'expression à leurs droits sociaux.
Le Printemps de Prague est une envolée démocratique qui tente d'instaurer « le socialisme à visage humain ». Alors que des réformes sont envisagées dans la structure monolithique de l'économie communiste, alors que les socialistes se penchent sur les droits de l'homme, le pays est envahi par les troupes soviétiques qui se chargent de le remettre dans le droit chemin.
Encore aujourd'hui, dans la presse, dans les squares, à la télévision, le printemps de Prague est largement commémoré en République Tchèque. Les citoyens se souviennent de l'immense espoir soulevé par cette période de dégel politique. Vaclav Havel, opposant communiste, alors homme de théâtre, devenu président du pays, est toujours présent et très respecté dans l'opinion public tchèque.
La chienlit pour de Gaulle
En France, deux mondes, pourtant si différents, se rejoignent dans d'immenses manifestations. D'un côté, les étudiants qui investissent la rue et se battent avec la police à coup de slogans et de pavés. De l'autre, les ouvriers : des millions d'entre eux se mettent en grève. Une grève qui devient générale et paralyse le pays : « En 66, les salaires des travailleurs français étaient les plus bas de la CEE, les semaines les plus longues, et les impôts les plus élevés », se souviennent les ouvriers de la Ligue pour une Internationale communiste révolutionnaire.
La société change aussi : la parole se libère. Les générations débattent dans la rue, dans les cafés, dans les entreprises. La rigidité des moeurs de l'époque vole en éclat. Finalement, Charles de Gaulle face aux soulèvements qu'il qualifie de « chienlit » dissout l'Assemblée nationale et organise des élections anticipées. Il quitte le pouvoir l'année suivante après un référendum en forme de pugilat.
Dieu est mort en Italie
La chanson de Francesco Guccini, interprêté par le groupe Nomadi, remporte un immense succès en 1967 et donne le don de la rentrée universitaire italienne. Dieu est mort et la société est fatiguée. Comme en France, les étudiants sont les premiers à déclencher le mouvement contre des institutions archaïques et fermées.
Inédit : les étudiants se politisent radicalement. Leurs critiques portent sur le système capitaliste mais aussi sur les partis politiques de gauche accusés de renoncement. Le vent de la contestation ne tarde pas à atteindre les grandes industries du Nord de l'Italie. Le pays connait aussi des grèves générales, avec comme fait marquant l'implication des ouvriers de l'entreprise Fiat, la plus grosse du pays. Plus tard, l'opposition se durcit. L'Italie rentre dans une décennie dite des 'années de plomb' marquée par la violence de groupuscules gauchistes et néofascistes.
La Pologne contre l'antisémitisme
C'est une pièce de théâtre, Dziady de Adam Mickiewicz, écrite en 1824, qui enclenche les événements de mars 1968 en Pologne. Trop russophobe et anticommuniste, le spectacle est interdit et les étudiants manifestent. Les défilés se succèdent dans de nombreuses villes polonaises. Les artistes, les étudiants et les intellectuels se mobilisent pour leur liberté de parole. Et les yeux des manifestant se tournent vers la Tchécoslovaquie voisine et ses espoirs démocratiques. La guerre en Israël divise le parti communiste. L'Union soviétique supporte les États arabes et les membres juifs du parti sont progressivement poursuivis et expulsés. Certains émigrent aux Etats-Unis ou en France.
Les émeutes de Pâques en Allemagne
De 1968, en Allemagne, on se souvient des baskets de Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères et soixante-huitard de la première heure et des assemblées générales des étudiants. Une année de la libération des moeurs et de devoir de mémoire pour des jeunes confontrés au silence étouffant de leurs parents.
Les jeunes sont solidaires de Paris et se mobilisent contre la guerre du Vietnam au son du slogan Ho ho ho Chi Minh. Le meurtre de l’étudiant Benno Ohnesorg, en 67, alors qu'il venait manifester contre la visite du Shah d'Iran à Berlin s'ajoute à l'insatisfaction politique. Et un nouveau parti d'opposition, extraparlementaire, emmené par les membres du SDS, l'Union socialiste allemande des étudiants, prend forme. La presse s'échauffe jusqu'à l’attentat qui touche le leader des étudiants en colère, Rudi Dutschke, en 1968.
Les « émeutes de Pâques » s'ajoutent à la cacophonie européenne. Mais plus vite qu’ailleurs, en Allemagne, le calme regagne le pays. Une grande partie du mouvement se tourne vers le parti socialiste (SPD). Quelques militants passent au terrorisme armée d’extrême gauche dans des organisations comme Fraction armée rouge ou la Rote Zora.
Merci à Katharina Kloss, Fernando Navarro Sordo, Vitek Nedjelo et Natalia Sosin.
L'Eurovision en 1968 : l'Espagne triomphante avec Massiel, La, la, la