Participate Translate Blank profile picture
Image for Tinariwen, rencontre avec le groupe malien : « la musique est notre arme »

Tinariwen, rencontre avec le groupe malien : « la musique est notre arme »

Published on

Culture

Ce groupe de Touaregs a quitté les dunes et le sifflement des balles pour la scène et la poésie. Actuellement en tournée, ils font voyager toute l'Europe comme par magie dans le désert du Mali, grâce à leurs guitares, aux vibrations de leurs djembés et à leurs danses où souffle le sirocco.

Avec Eyadou Ag Leche, bassiste, guitariste et chanteur de Tinariwen, nous évoquons la façon de transformer la musique en une arme indestructible de guerre et de libération.

cafebabel.com : Cela fait plus de 20 ans que vous faites de la musique, et pourtant vous dites de votre nouvel album, Tassili, qu'il ressemble beaucoup à votre tout premier album, le surprenant The Radio Tisdas Sessions. Tassili, c'est quoi au juste ?

Eyadou Ag Leche : Tassili est une ville du sud de l'Algérie, entourée de montagnes et de dunes. C'est un endroit très spécial, et c'est là qu'on a enregistré le CD. C'est un lieu chargé de nombreux souvenirs. Les chansons de l'album parlent des mêmes sujets que toutes les chansons de Tinariwen. Nous chantons la nature, la liberté, l'amour, la vie touarègue, la souffrance...

cafebabel.com : Il n'y a donc pas eu d'évolution dans la musique de Tinariwen entre cet album et les précédents ?

Eyadou Ag Leche : Je crois que ce qui est toujours différent, c'est juste l'« esprit » de l'album. Le CD reflète l'état d'esprit dans lequel nous étions à ce moment-là. L'enregistrement a été en quelque sorte un exercice de mémoire, un retour à nos origines, c'est pourquoi on a réutilisé les guitares acoustiques, comme à nos débuts dans les années 80. On a constaté que le monde allait très vite, et on a essayé de ralentir un peu. Espérons que cet album aidera les gens à prendre les choses avec plus de calme, et aussi à sauver la planète, victime de cette vitesse.

cafebabel.com : Vous croyez qu'il y a en Europe une certaine indifférence vis-à-vis de la culture et de la situation de nos voisins africains ? Qu'on ne se soucie que de notre crise et de nos propres problèmes ?

À lire aussi : « Slim, caricaturiste algérien : "Il faut que l'on défende les doigts de l'homme » sur cafebabel.com

Eyadou Ag Leche : Le problème, c'est que l'économie du monde entier vient de l'Afrique. Le pétrole, les ressources naturelles, le commerce... Aujourd'hui, l'Afrique a besoin d'aide. Et ce problème nous touche aussi, nous, les Touaregs. Depuis 1963, on est en lutte : nous luttons, nous luttons, nous luttons, mais personne ne parle de notre conflit. Nous, on veut juste notre liberté, on veut être tranquilles dans notre bout de désert. Il ne s'agit pas que de nous : tous les peuples africains doivent avoir droit à leur territoire.

cafebabel.com : Et au Mali, la lutte continue ?

Eyadou Ag Leche : Bien sûr qu'elle continue.

cafebabel.com : Il n'y a pas eu un accord de paix, il y a quelques années, avec le gouvernement du Mali ?

Eyadou Ag Leche : Nous, les Touaregs, on accepte toujours la paix quand on nous la propose, on est les premiers à vouloir la paix. Mais après la décolonisation en 1963, le Mali est arrivé, et depuis ils nous traitent avec mépris.

cafebabel.com : Quand tu dis «le Mali», tu parles du gouvernement ?

Eyadou Ag Leche : Bien sûr. On n'a aucun problème avec la population : il ne s'agit pas d'un problème de personnes, ni d'un problème de races, mais d'un problème de dictature. Tout comme en Libye, en Égypte et en Tunisie, ils se sont débarrassés de leurs oppresseurs. Au Mali, il se passe la même chose depuis 50 ans. Les Touaregs se sont dispersés dans 4 pays. On n'est pas dans un seul pays, mais dans 4, c'est pour cela qu'aujourd'hui, ce qu'on demande, c'est d'être respectés et d'avoir au moins la moitié de notre pays. On ne demande pas grand-chose, on veut juste la moitié, la région d'Azawag. Et les Occidentaux, qui ont provoqué l'arrivée de cette dictature, restent muets et passifs. À la télé, tout ce que tu vois, ce sont des Africains qui se battent et s’entre-tuent. Et ce n'est pas ça qui va nous aider.

cafebabel.com : Est-ce que vous justifiez la lutte armée pour la cause touarègue ?

Eyadou Ag Leche : Nous, on a choisi la voie de la musique. C'est la voie qui nous offre la possibilité de parler aux gens. Le monde doit savoir que la justice n'est pas rendue aux Africains. Aujourd'hui, les problèmes que nous avons ont été provoqués par les Occidentaux. Nous méritons le respect et la liberté. Nous sommes un peuple hospitalier, nous avons un mode de vie lié à notre culture, pas du tout matérialiste. Nous voulons vivre simplement. On vit dans un monde où tout le monde rêve de beaux vêtements et d'ascension sociale, mais pas nous. Nous, on veut la paix sur terre, c'est tout.

cafebabel.com : Pourquoi est-ce que les gouvernements européens ne se soucient pas de votre cause ? Parce qu'il n'y a rien qui les intéresse dans votre désert ?

« Le monde doit savoir que la justice n'est pas rendue aux Africains. Aujourd'hui, les problèmes que nous avons ont été provoqués par les Occidentaux. »

Eyadou Ag Leche : Si, ils s'en soucient. Dans le désert, il y a de l'uranium et du pétrole. C'est bien pour ça que les Occidentaux s'y intéressent. Et qu'ils essaient de créer un système qui n'est pas du tout clair. Ils disent que des salafistes s'y cachent, ou encore Al-Qaïda... alors qu'il n'y a ni Al-Qaïda ni personne ! Ce sont des prétextes, ils sont en train de préparer le terrain pour parvenir à cet uranium et à ce pétrole. Nous, toutes nos ressources, on les offre, on les donne gratuitement ; tout ce qu'on veut, c'est notre terre, et vivre en paix.

Deux jours après cette interview, réalisée le 20 mars, un coup d'État a éclaté au Mali. Un groupe de militaires rebelles a renversé le gouvernement, le jugeant incapable de faire face à la résistance touarègue qui combat pour l'indépendance dans le nord du pays. Ibrahim Ag Alhabib, l'un des fondateurs de Tinariwen, a quitté la tournée quelques jours plus tôt pour retourner au Mali, protéger sa famille et lutter pour sa terre. Cela fait des années que le peuple touareg, d'origine berbère, revendique un bout de désert qui lui appartient depuis des centaines d'années et qui, après la décolonisation européenne, est tombé aux mains de dictateurs connus par tous pour leurs répressions, leur corruption et pour les atrocités qu'ils ont commises contre la population qui vit sur ces terres.

Pour plus d'informations sur Tinariwen et pour connaître les dates de leurs prochains concerts en Europe, consultez leur site officiel.

Photos : Une © courtoisie de la page officielle de Tinariwen ; Texte, © Paula Ibáñez; Vidéo: (cc) ronozer/youtube

Translated from Tinariwen, grupo de música de Mali: “la música es nuestra arma”