Tibor Navracsics : un discours poli et rodé mais peu convaincant
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Selon les plans du nouveau président de la Commission, Tibor Navracsics devrait récupérer le portefeuille de l’éducation et de la culture. À condition d’obtenir la bénédiction du Parlement européen. Un objectif ambitieux tant le passif politique de ce proche de Viktor Orban est controversé.
« Valeurs européennes », « respect des droits fondamentaux et des minorités », « unis dans la diversité » sont quelques-uns des nombreux éléments de langage égrenés lors du plaidoyer du Hongrois Tibor Navracsics, taillé sur mesure pour l’occasion et pour convaincre le Parlement européen lors de son audition du 1er octobre. L’enjeu est de taille. Il s’agit d’obtenir le portefeuille de l’éducation et de la culture, actuellement aux mains de la Chypriote Androulla Vassiliou.
Le cas échéant, cet universitaire spécialiste de l’ex-Yougoslavie serait alors responsable de la modernisation des systèmes éducatifs, du réseau universitaire et de la promotion de la culture et du monde de l’art à travers l’Europe. Son action se ferait cependant sous le pilotage étroit du Finlandais Jyrki Katainen, vice-président de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité et du Letton, Valdis Dombrovskis, responsable de l’euro et du dialogue social.
Mais entre le poste convoité et le candidat hongrois se dresse son bilan politique et celui de son gouvernement, entâchés de dérives autoritaires, réactionnaires et ségrationnistes, notamment à l’encontre de la minorité rom.
Un bilan politique contrasté
Car Tibor Navracsics, membre du Fidesz, fait partie de la garde rapprochée du très controversé premier ministre hongrois, Viktor Orban, et a accompagné l’action gouvernementale pendant deux mandats.
Avant sa nomination en tant que ministre des affaires étrangères, il était ministre de l’administration publique et de la justice de 2010 à 2014. C’est sous son autorité que des réformes judiciaires en violation flagrante avec les principes démocratiques prônées par l’Union ont été menées. Le ministre avait été alors vivement contesté à travers l’Europe et jusqu’au sein même des instances européennes, notamment par la commissaire des droits fondamentaux Viviane Reding. C’est en outre sous son mandat que l’action gouvernementale s’est durcie contre la minorité rom et que les ONG étrangères ont vu leur activité entravée.
Néanmoins, le Hongrois est considéré comme un modéré au sein de son parti. Au printemps dernier, il avait ainsi reconnu le rôle joué par les autorités hongroises dans la Shoah, rompant avec les discours ambiants et les dérapages antisémites du gouvernement, ainsi que les récusations de l’implication hongroise dans la solution finale. Plus récemment, il s’était opposé à la nomination d’un skinhead du Jobbik à la vice-présidence du Parlement hongrois.
Opération brouillard
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le discours de l'ancien ministre hongrois avait été minutieusement préparé et rôdé. Durant sa déclaration introductive, le commissaire a présenté son programme en quinze points, scandant régulièrement son engagement européen. « Nous ne sommes pas de simples ressources économiques, nous ne faisons pas partie d’une machine, nous contribuons à quelque chose de plus grand que nous ! », a-t-il ainsi déclaré.
Cependant, les eurodéputés, principalement issus de la commission culture et éducation, l’attendaient de pied ferme et ont commencé à rapidement ferrailler contre le Hongrois. Le scepticisme était pour ainsi dire général parmi les eurodéputés. Les paroles de Tibor Navracsics semblaient en dissonance totale avec son action politique.
Deux inquiétudes principales sont ressorties en substance lors des échanges. La première était celle justement de la non-correspondance entre les propos et l’action de l’homme politique. La deuxième portait sur ce qu'il ferait dans le cas où son propre pays irait à l’encontre des principes défendus par l'UE.
Randori rhétorique
Dès la cinquième minute, la sociale-démocrate Petra Kammerevert a ouvert le feu, citant l’article 167 du TFUE consacré à l’épanouissement et le respect des cultures nationales et régionales. Elle a accusé le Hongrois et son gouvernement de réprimer la minorité rom. Elle lui a demandé ce qu’il comptait faire une fois commissaire. « En tant que commissaire, je serai gardien des traités et des principes fondamentaux de l’UE. Je protégerai la diversité des valeurs culturelles » lui a-t-il assuré. Puis, il lui a opposé l’action de la présidence hongroise de l’UE qui avait fait la promotion de la minorité rom.
Ce fut au tour du Danois Rikke Karlsson de tirer une salve sur les réformes judiciaires menées par le Hongrois quand il était ministre de l'administration publique et de la justice. Tibor Navracsics s'est contenté de réitérer son engagement en faveur de la pluralité des médias et des opinions, précisant qu’il avait modifié les lois après avoir négocié avec le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. À l’époque, certaines ONG des droits de l’Homme n’avaient pourtant pas semblées être convaincues.
La libérale Yana Toom a poursuivi en abordant la question de l’introduction d’auteurs antisémites hongrois dans les manuels scolaires. « Si mon pays va à l’encontre des lois européennes, alors je le combattrai », a rétorqué Tibor Navracsics, peu après applaudi par une partie de la salle.
« Vous parlez comme un libéral, mais votre gouvernement ne l’est pas », lui a alors lancé Curzio Maltese, membre de la GUE, avant d’enchaîner sur les politiques restrictives et répressives à l’encontre des ONG étrangères dans son pays. Le Hongrois s'est dit ne connaître aucune ONG réprimée dans son pays.
Plus tard, durant les échanges, le potentiel commissaire a cherché à asseoir son engagement européen.
« J’avais 23 ans lors de la transition démocratique en Hongrie. J’ai connu le communisme, la dictature, le totalitarisme [...] C’est pourquoi je me sens Européen. Nous sommes une communauté » tout en reprenant à plusieurs reprises la devise européenne : « Nous sommes unis dans la diversité ».
« Faut-il s’attendre à ce que Mein Kampf soit de nouveau étudié à l’avenir par nos enfants ? » a demandé avec cynisme l’Allemand Martin Sonnenborn, habitué au postiche et à la satire. « Je ne suis pas antisémite, j’ai de très bonnes relations avec la communauté juive hongroise », a rétorqué calmement le Hongrois.
Les échanges ont continué, parfois proches de la complaisance, parfois à mots doux et feutrés, parfois avec hostilité. Un eurodéputé a abordé la question des étudiants hongrois boursiers contraints de rester au pays un temps une fois leurs études terminées. Tibor Navracsics a reconnu que ce n’était en effet pas la meilleure des solutions pour lutter contre la fuite des cerveaux.
Peu de projets concrets
Au final, il est difficile de connaître clairement les plans du Hongrois s’il devait obtenir le poste. Sur la plupart des sujets, il est resté évasif, mis à part la promesse d’une semaine européenne consacrée à la promotion du sport dès 2015. Il faut améliorer l’insertion des jeunes, soutenir le programme Erasmus +, garantir le respect de la diversité culturelle, le multilinguisme, a-t-il sans cesse répété, entonnant l’antienne de la compétitivité, ponctuée de-ci de-là d’interludes dédiés à la cohésion sociale. Mais les débats se sont principalement concentrés sur l’action politique du candidat, qu’il a pu soit tenir soit esquiver.
« Vous êtes très habile, mais nous sommes également très habiles », lui a lâché au bout d’un moment l’eurodéputée libérale Cecilia Wikström. Sophie in’t Veld s'est quant à elle emporté sur son compte twitter : « La Hongrie est un modèle étincelant que devraient suivre les autres pays. C’est une insulte à notre intelligence ».
À la question posée par Daniel Hannan de la CRE quant à savoir si Tibor Navracsics pensait être le meilleur candidat pour le poste, celui-ci a répliqué qu’il existait certainement bien d’autres candidats meilleurs que lui-même, étant donné que la Hongrie regorge de personnes hautement qualifiées. Ce sera en fin de compte au Parlement européen de trancher la question.
Une source travaillant au Parlement européen confiait à cafebabel à la sortie de l’audition que l’approbation de Tibor Navracsics n’était vraiment pas acquise, les groupes de la GUE, des Verts, mais aussi une frange du PPE et du S&D comptant voter contre le Hongrois.