Tensions entre l’UE et la Russie : le point de vue d’une Russe vivant en Europe
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Vincente MorletEn début d’année, les relations entre l’UE et la Russie ont commencé à se dégrader. La raison : le conflit en Ukraine. L’atmosphère tendue a évidemment des répercussions sur les Européens et les Russes. Comment ces derniers sont affectés par cette situation ? Alexandra Ovchinnikova, 27 ans, une Moscovite étudiant à Munich, tente d’expliquer la position de la Russie à ses amis européens.
Quel est ton point de vue sur les difficultés actuelles qui existent entre la Russie et l’UE ?
Afin de répondre à cette question, il est d’abord nécessaire de définir ce que l’on entend par « difficultés actuelles ». Selon moi, il s’agit de l’échec dans l’établissement d’un modèle durable dans les relations entre la Russie et l’UE qui conviendrait aux deux parties à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique. Ainsi, ces difficultés ne sont pas juste actuelles, il s’agit d’un phénomène qui perdure depuis près de 15 ans. Je trouve qu’il est dommage que tant de temps ait été perdu. Toutefois, ces difficultés atteignant leur paroxysme, cela me donne l’espoir qu’un véritable dialogue puisse être instauré et nous mettre sur les bons rails.
Cette situation a-t-elle eu un impact sur ta vie en Allemagne ?
Ces trois dernières années, je suis un peu devenue l’ambassadrice officieuse de mon pays. Beaucoup de mes amis étrangers et de personnes que je croise me posent des questions sur la Russie. Et je les en remercie. Premièrement, pour tenter de penser en dehors des sentiers battus, d’en savoir plus et de rassembler des informations venant de sources différentes. Deuxièmement, parce que leurs questions me permettent de mieux comprendre mon propre pays et ce qui rend les Russes différents ou proches des Européens. En ce moment, avec la situation en Ukraine, je réfléchis à pas mal de questions.
Qu’est-ce que cela donne quand tu parles avec des Européens du conflit en Ukraine ?
Un mélange de tout. Des amis étudient les relations internationales, alors nous échangeons des informations et nous tenons au courant de l’actualité. Sur quoi sommes-nous d’accord ? Sur le fait que le contexte politique et médiatique actuel ne facilite pas la compréhension mutuelle et la recherche de compromis, que ce soit en Ukraine, en Russie ou en Europe. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut trouver une solution plutôt que de s’accuser mutuellement. Toutefois, j’ai également fait un autre genre d’expérience. Tu connais Elizabeth Lotus ? Cette psychologue américaine qui s’est spécialisée dans l’étude de la construction de la mémoire humaine. En général, les Américains sont très bons dans ce domaine. Récemment, Mme Lotus a fait la découverte suivante : elle a pu prouver qu’il était relativement facile de manipuler la mémoire humaine. Elle mène des expériences durant lesquelles elle présente des faits qui n’ont jamais existé à des personnes. Et soudainement, ces personnes commencent à s’en souvenir, les décrivent et ajoutent même des détails. Ces derniers temps, je ne peux m’empêcher de penser à Elizabeth Lotus.
Quel est ton point de vue sur le conflit en Ukraine ?
Ce conflit a volé la vie de beaucoup trop d’individus, a eu pour conséquence de nombreuses tragédies pour les pro-russes comme pour les anti-russes, ainsi que pour ceux qui n’ont absolument aucun lien avec la Russie ou l’Ukraine. C’est horrible. J’ai peur également. Quand je lis les messages de certains hommes politiques sur Facebook et que je me rends compte de la haine et de la division qu’ils nourrissent, je n’arrive pas à y croire ! Il est difficile de penser que ces messages puissent être écrits par des humains. Je suis choquée par le manque d’humanité à notre époque. Récemment, nous avons commémoré le centenaire du début de la Première Guerre mondiale – je regrette de le dire, mais je n’ai pas le sentiment que notre génération ait retenu la moindre chose des erreurs de nos ancêtres.
Que penses-tu des réactions de la Russie et de l’UE ?
Au niveau humain, les réactions sont les mêmes. Mon père héberge en ce moment nos amis ukrainiens dans notre dacha (maison de campagne). Mes amis allemands apportent leur aide en faisant des dons. Au niveau politique, je crois que l’information rapportant de « nouvelles sanctions » a repoussé au second plan la souffrance humaine et comment elle peut être résolue. Étonnamment, presque personne n’a mentionné le fait que la conséquence principale de ces sanctions risque de peser sur la population du pays ciblé par ces sanctions. Selon moi, elles pourraient détruire la vie de mes compatriotes, ces gens ordinaires qui ont leur vie et leurs rêves. C’est pour cela que je suis en colère.
Que penses-tu de la couverture du conflit par les médias européens et russes ?
Je travaille depuis de longues années comme journaliste, je préfère donc m’abstenir de commenter le travail de mes collègues. Toutefois, je suis de près les médias russes, européens, américains et même arabes, je comprends par conséquent ce que les téléspectateurs et lecteurs vivent. Nous sommes trop souvent exposés à des interprétations de faits et d’événements. À qui devons-nous faire confiance ? En tant que journaliste, je tiens compte de l’opinion de mes collègues mais ce qui m’intéresse en particulier ce sont leurs sources. Grâce à Internet, il est facile de les suivre. Ainsi, je regarde les vidéos des points presse au département d’État des États-Unis avec Barack Obama. J’écoute les interviews de Sergueï Lavrov et Vladimir Poutine. Je n’oublie pas non plus Angela Merkel et David Cameron. Certes moins éthiques mais assez pertinentes, les fuites crédibles font aussi partie de ma liste. Et enfin, l’histoire, l’ÉCONOMIE, « quid prodest » (qui va en tirer profit ?), et le sens commun. En m’appuyant sur tout cela, j’essaie de réfléchir à la manière dont je peux résumer les informations que j’ai collectées. Quel article écrirais-je si je devais le faire ?
Alexandra Ovchinnikova, 27 ans, est étudiante à l'Université Louis-Maximilien de Munich où elle prépare son diplôme d’économie. Auparavant, elle a obtenu un diplôme de journalisme international à l'Institut d'État des relations internationales de Moscou (MGIMO-University) et travaille comme journaliste depuis l'âge de dix-huit ans. Avant de s’installer en Allemagne, Alexandra s’occupait d’une ONG avec ses amis de l’université dans le but d’aider les orphelins et les personnes âgées vivant seules dans le district de Moscou. Alexandra vit depuis près de trois ans et demi à Munich. Elle parle russe, anglais, allemand, italien et étudie l’arabe. Alexandra s’intéresse aussi à l’aide et au développement humanitaires.
Translated from Russian-EU tensions from a personal point of view