Tennis, adversaires et révolution copernicienne: Emmanuel Carrère rencontre Alessandro Baricco à l'école Holden
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Elodie BossioDans le General Store de la nouvelle École Holden (Scuola Holden) l’auteur français Emmanuel Carrère, en tournée en Italie pour présenter Le Royaume (Adelphi), s’est entretenu avec Alessandro Baricco, l’auteur et fondateur de l'école d'écriture créative à Turin. Adversaires, perte, artisanat et foi sont les mots clés de la rencontre, animée par Marco Missiroli.
La rencontre est de celle qui se font attendre avec impatience. Surtout quand la salle comble regorge d’aspirants écrivains et de créatifs, comme le sont les étudiants de l'École Holden de Turin (Scuola Holden), qui mercredi 18 Mars a accueilli deux pointures de la littérature contemporaine, à savoir Alessandro Baricco et Emmanuel Carrère, interviewés par jeune écrivain Marco Missiroli.
Du côté italien, nul besoin de présenter Alessandro Baricco: auteur de longs-sellers mais aussi fondateur de la Scuola Holden, où sont enseignées depuis plus de 20 ans les techniques d'écriture créative et où, aujourd'hui, plus de 250 étudiants étudient.
Au nouveau siège, la caserne Cavalli, place Borgo Dora, s’est tenue la confrontation entre Emmanuel Carrère, écrivain français à la renommée internationale pour ses récits tels que Limonov et L'Adversaire, ainsi que pour son travail en tant que scénariste de films et séries TV, entre autres pour la série Les Revenants, dont l’adaptation italienne sortira bientôt.
Tous deux avec des oeuvres fraichement sorties des presses, La Sposa Giovana pour Baricco et la traduction italienne de son livre Le Royaume, pour Adelphi, les deux auteurs ont abaissé leurs armes et se sont confrontés sur leur véritable champ de bataille, l'écriture, poussés par les questions de Missiroli.
L’ecriture de Carrère
Le début est imprévisible, comme un service de John McEnroe, "une première personne du singulier" du tennis selon Mirrisoli. Le tennis, justement à partir de David Foster Wallace, est devenu une métaphore efficace de l'écriture et Missiroli, en bon passionné, ne manque jamais une occasion de l'utiliser.
McEnroe n'était pas seulement un champion du monde dans les années 80, mais il est aussi connu pour sa personnalité, souvent irascible. Un caractère entier, mais, avant tout, un héros de son histoire, tout comme Carrère qui, avec la publication de La classe de neige, en 1995, commence à utiliser la première personne dans ses livres, débutant alors «sa» révolution copernicienne. Un changement qui indique la transition de la fiction à la réalité, de la distance à la pleine immersion dans les histoires qu'il raconte, comme ce sera ensuite le cas tant dans ses derniers romans que dans Le royaume, tout droit sorti des presses.
Carrère, explique que l'utilisation de la première personne, dans son récit, n'est pas une question de choix, mais plutôt une solution spontanée et naturelle, qu'il met en œuvre quand il sent que quelque chose le rapproche inévitablement du protagoniste. Un mimétisme, capable d’éloigner son travail du compte rendu impartial d'une histoire.
Points forts
Le royaume raconte la naissance du christianisme, à travers les figures des évangélistes Luc et Paul de Tarse. L'écrivain se met dans la peau du premier des deux. Luc, qui, près de cinquante ans après la mort du Christ, débute cette enquête sur le Christ lui-même, qui le conduira à la rédaction de l'Évangile. Carrère, avant de plonger dans la phase dans laquelle il raconte ses histoires à la première personne, a traversé une période de fervente réflexion catholique, qui l'a amené à se réaligner avec son sens le plus profond de l'humanité, duquel l'écriture l'avait séparé.
Le royaume est loin d'être une réflexion sur la foi, et représente plutôt l'accomplissement d'une évaluation critique de l'écriture, ou plutôt, de la narration. Les Evangiles et le Nouveau Testament sont, pour autant qu'il soit concerné, l'exemple le plus réussi de la narration. Il n'y a aucune mention d'un résultat obtenu par hasard, parce que l'écrivain français réaffirme, qu'avec ce livre, il a atteint la fin d'une phase : ses œuvres antérieures ont été écrites en superposition l'une avec l'autre, alors que Le royaume est le seul qui ait été terminé sans que rien d'autre ne soit en cours simultanément. Sachant que pour Carrère, le pire ennemi dans l'écriture d'un roman est la conscience même de le faire, il est tout aussi vrai que plus le risque de faillite est grand plus les chances de succès sont grandes.
La rencontre entre Baricco et Carrère s'est révélée une grande leçon sur l'art d'etre écrivain de profession et il le fait, pour paraphraser le titre d'un des livres de l'auteur français, racontant "d'autres vies que la [sienne]."
Comme pour le tennis de John McEnroe, personne ne peut savoir comment finira le set seulement avec le service initial.
Translated from Tennis, avversari e rivoluzioni copernicane: Emmanuel Carrère incontra Alessandro Baricco alla Scuola Holden